Quelle réforme du système monétaire international ?

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Le système monétaire international fondé sur le dollar tend à s'effacer au profit d'un système caractérisé par un polycentrisme monétaire, propice à une concurrence féroce entre les devises. Renforcer le rôle du Fonds monétaire international et de sa monnaie, le DTS, est la condition d'une maîtrise des mouvements désordonnés des taux de change.

Va-t-on vers la fin de l’hégémonie internationale du dollar ?

Ce n’est pas la première crise du dollar. En 1971-1973 ou encore en 1985-1987, beaucoup avaient prédit la fin du dollar comme devise clé unique. Il n’en a rien été. Le billet vert a beau avoir perdu les trois quarts de sa valeur contre le yen depuis 1971, et les deux tiers contre le mark (puis l’euro), sa part dans les réserves de change n’en a pas été sensiblement modifiée. Ce qui montre bien que l’hégémonie monétaire a d’abord des raisons politiques.

Zoom Le dollar toujours dominant pour l’instant

Aujourd’hui, la méfiance grandit à l’égard du dollar : le niveau des déficits extérieurs et les déséquilibres manifestes du modèle de développement américain incitent à rechercher des alternatives. Depuis sa création en 1999, la monnaie européenne a gagné sa place dans le concert des devises mondiales. Quel que soit l’indicateur retenu, elle est aujourd’hui la deuxième plus grande monnaie du monde, loin devant les autres devises, mais largement derrière le dollar.

En matière de facturation du commerce international, tandis que les firmes américaines vendent exclusivement en dollars et importent à plus de 90 % dans leur propre devise, les firmes allemandes exportent en dehors de la zone euro à 65 % et importent à 57 % en euros (respectivement 51 % et 44 % pour la France).

Du côté des banques centrales, on ne connaît avec certitude la décomposition par devises que pour 60 % des 7 500 milliards de dollars de réserves qu’elles détenaient en septembre 2009. Le dollar y tient la première place (62 %), largement devant l’euro (28 %). La part de ce dernier n’a certes pas cessé de monter au cours de la dernière décennie (elle n’était que de 17,5 % en 2000), mais celle du dollar reste largement prédominante. De plus, la part de l’euro reste encore inférieure à ce que représentait la somme des différentes devises européennes avant sa création.

L’euro a encore plus de mal à s’imposer auprès des acteurs privés. Si l’on se place du point de vue des emprunteurs, le dollar représente environ 45 % des actions et des obligations émises internationalement, c’est-à-dire par des entreprises ou des Etats dans une monnaie qui n’est pas celle de leur pays d’origine. La part de l’euro est légèrement supérieure à 30 %, ce qui n’est certes pas négligeable, mais lorsqu’on regarde de près qui, parmi les étrangers, émet des obligations en euros, on s’aperçoit que pour moitié, il s’agit du Danemark, de la Suède et du Royaume-Uni, soit des pays fortement intégrés économiquement dans la zone euro. De la même manière, ces pays sont ceux qui décident de placer leur épargne internationale prioritairement en euros, le reste du monde préférant le faire en dollars.

Part des différentes monnaies détenues par les banques en juin 2009, en %

L’euro reste donc avant tout une monnaie régionale et ne représente pas un substitut au dollar. Et en dépit des succès économiques récents de la Chine, le yuan, monnaie dont le cours reste déterminé par le gouvernement, n’est pas susceptible lui non plus de concurrencer le dollar à un terme prévisible.

Dans les années 1970 et 1980, les pays dont les monnaies auraient pu concurrencer le dollar, celles de l’Allemagne et du Japon, étaient dans l’orbite politique des Etats-Unis. En outre, sur le plan économique, ni le mark ni le yen n’avaient vraiment les caractéristiques d’une monnaie internationale : la taille de leur économie restait très en deçà de celle des Etats-Unis et leurs marchés financiers, beaucoup moins développés et surtout étroitement contrôlés, n’offraient pas du tout la même liquidité que le marché américain. Résultat : le système monétaire international est resté celui d’un semi-étalon dollar : certaines monnaies se sont découplées par rapport au billet vert, notamment en Europe ; d’autres lui sont restées liées, comme dans la majorité des pays émergents. A la mi-2008, en pleine crise financière, le gouvernement chinois a même renforcé les liens du yuan avec le dollar.

Pourquoi cela pourrait-il changer aujourd’hui ?

L’hégémonie du dollar se détériore sur tous les fronts. Au plan politique, les principaux créditeurs des Etats-Unis sont pour beaucoup aujourd’hui hors de l’orbite américaine (comme la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil) et leurs intérêts économiques prennent de la distance par rapport à ceux des Etats-Unis. La fin du surendettement des ménages américains va provoquer le recentrage de la croissance sur la zone asiatique. Car le dynamisme occidental sera trop affaibli pour que les exportations soutiennent une croissance suffisante de la Chine et de l’Inde.

Comment le système va-t-il évoluer ?

La fonction d’ancrage jouée par le dollar pour les monnaies de nombreux pays émergents va s’effacer au profit d’un polycentrisme monétaire. Dans les régions du monde où le commerce intrazone devient déterminant, comme en Europe hier et en Asie aujourd’hui, les pays ont besoin de rapports de change relativement stables. De même que la naissance du système monétaire européen (SME) dans les années 1970 a été une réaction à la baisse du dollar, la crise actuelle pourrait accélérer la mise en place d’arrangements monétaires en Asie, même si ceux-ci ne seront pas forcément aussi formels que le SME ou l’euro. On peut aussi imaginer voir naître un système monétaire en Amérique latine, autour du Brésil, appelé à devenir une forte puissance économique fondée sur les matières premières agricoles. On voit que les pays du Golfe se cherchent eux aussi une voie de sortie du dollar.

A plus long terme, la monnaie de certains pays émergents accédera à une dimension internationale. Ce sera bien évidemment le cas de la Chine, quand son système financier sera suffisamment robuste à l’intérieur et ouvert sur l’extérieur.

Un tel système n’est-il pas fortement instable ?

En effet. Le polycentrisme monétaire est propice à une concurrence entre les devises qui peut être ravageuse. Or la monnaie internationale est un bien public mondial qu’il importe de préserver pour conserver une économie mondiale ouverte. Si les politiques économiques des pays à devise clé sont trop discordantes, on assistera à une très grande instabilité des changes qui aura des effets déstabilisants pour l’économie mondiale. Pour l’éviter, il faudra trouver les formes d’une cogestion internationale de ce bien public qu’est la monnaie. Les moyens pour y parvenir sont une meilleure gouvernance du Fonds monétaire international (FMI) et la promotion du droit de tirage spécial (DTS) comme instrument de réserve ultime.

En quel sens faut-il réformer le FMI ?

Si le FMI reçoit pour mission de prévenir les déséquilibres macroéconomiques mondiaux et de superviser les facteurs communs de l’instabilité financière, il doit renforcer son poids politique. Cela implique des changements dans sa gouvernance, pour renforcer le poids des pays émergents et améliorer le soutien de son directeur général.

L’Europe est le partenaire le plus faible du FMI. Depuis la création de l’euro, les pays européens bénéficient d’un total de 30 % des droits de vote au FMI, alors qu’ils n’ont plus de monnaie nationale. Parallèlement, l’euro - deuxième monnaie mondiale - n’a pas de représentation politique et n’a personne au sein du FMI qui soit capable - et légitime pour cela - d’exprimer une opinion sur son rôle international. Aucune réforme substantielle de la gouvernance monétaire internationale ne pourra aboutir tant que cette anomalie persistera. En laissant 15 % à 20 % des quotas à l’Europe, la fusion des droits de vote de tous les membres de la zone euro aurait un double avantage : créer une autorité politique sur la gestion macroéconomique dans la zone euro et donner un pouvoir de vote important au représentant de l’euro. Et cela libérerait suffisamment de droits de vote pour améliorer sensiblement la part du reste du monde.

Outre une réforme des quotas plus radicale que celle prévue a minima en 2011, l’amélioration de la gouvernance du FMI réclame d’autres dispositions. La capacité d’un seul pays d’opposer son veto au vote à la majorité qualifiée devrait être abrogée par l’abaissement de la majorité requise 1. Le comité exécutif devrait être transformé en un conseil politique, comptant des représentants politiques mandatés par leur gouvernement. Il devrait se réunir chaque mois et être en mesure d’appuyer instantanément les initiatives du directeur général. La désignation de celui-ci doit être ouverte. L’exclusivité de l’Europe - et d’ailleurs des candidats occidentaux (car elle est couplée avec l’exclusivité de l’Amérique à la tête de la Banque mondiale) - devrait être abrogée.

Et quel pourrait être le rôle du DTS ?

Il y a trois raisons au renforcement du rôle du DTS. La première est de limiter le penchant des banques centrales à acquérir des dollars. La deuxième est de fournir des ressources inconditionnelles aux pays victimes d’un problème de liquidité. C’est cette action de prêteur en dernier ressort , destinée à atténuer la pénurie de liquidités dans les pays fragilisés par la crise, qui était derrière l’allocation de DTS en août 2009.

Zoom Le DTS, un embryon de monnaie mondiale

" Une décision historique. " C’est en ces termes que Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), a salué la décision du G20 d’avril 2009 d’autoriser la création de 280 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS).

Le DTS est une quasi-monnaie internationale, un objet bizarre qu’on croyait remisé au grenier des innovations sans lendemain. Le FMI ne crée normalement pas de monnaie : ce n’est pas une banque, encore moins une banque centrale internationale, comme l’aurait souhaité Keynes. C’est un fonds d’assistance mutuelle, constitué par les réserves apportées par les Etats et sur lesquelles chaque membre a des " droits de tirage " en cas de besoin, en proportion de ses propres apports.

Par rapport à cette logique, les droits de tirage spéciaux, créés en 1969, ont constitué une innovation radicale. Il s’agit d’un actif purement fiduciaire, créé ex nihilo sur décision des membres du FMI et qui vient compléter les réserves des Etats, aux côtés de l’or et des devises. La valeur du DTS et son taux d’intérêt sont déterminés par rapport à un panier de monnaies, qui comprend actuellement le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen. Fin février 2010, le DTS valait environ 1,50 dollar. La création de DTS reste cependant très contrainte : elle nécessite une décision à la majorité de 85 % et est allouée aux Etats membres en proportion de leur quote-part au sein du FMI.

Les 280 milliards de dollars de DTS récemment créés constituent un véritable changement d’échelle : auparavant, il n’y avait eu que deux allocations de DTS, au début et à la fin des années 1970, pour un montant total de 30 milliards de dollars environ. Pour autant, les DTS restent une goutte d’eau (3 %) dans la mer des réserves de change mondiales.

A plus long terme, le DTS pourrait bien être appelé à un plus grand destin. Le 24 mars dernier, Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la Banque de Chine, a clairement plaidé pour une monnaie de réserve mondiale " déconnectée des conditions économiques et des intérêts d’un seul pays ". Il estime que le DTS pourrait remplacer graduellement les monnaies de réserve existantes. A condition d’assouplir les règles de sa création et de son utilisation, et d’élargir le panier de monnaies qui le composent aux monnaies de " toutes les grandes économies ". On en est encore très loin. La monnaie mondiale rêvée par Keynes n’est pas pour demain.

Le troisième intérêt est de permettre aux pays dotés d’une quantité excessive de réserves en dollars, comme la Chine, de diversifier la répartition de leurs réserves en dehors du marché des changes, à travers un compte de substitution au sein du FMI, et donc d’éviter de fortes variations perturbatrices des taux de change. Ce sont là des avantages importants du point de vue de la stabilité financière globale.

  • 1. Toutes les décisions importantes du FMI réclament une majorité de 85 % des droits de vote. Les Etats-Unis, en cumulant 17 %, disposent donc d’un droit de veto. Abaisser la majorité supprimerait la possibilité du veto.

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