Et si on démocratisait l’économie ?

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De l'instauration d'un salaire maximum à la construction d'une vraie sécurité sociale professionnelle, quelques pistes pour corriger les graves dérives qui ont mené à la crise.

Ça suffit comme ça ! Après les affaires Enron et tant d’autres en 2000-2001, la crise actuelle confirme qu’il est plus que temps de limiter les inégalités et de faire entrer un peu de démocratie dans les entreprises. Pourquoi les actionnaires devraient-ils décider seuls de leur avenir avec les dirigeants qu’ils nomment ? Alors que ce sont surtout les salariés qui trinquent dès que cela tourne mal. Par ailleurs, limiter les inégalités, ce n’est pas seulement une question de morale mais aussi d’efficacité économique : ces inégalités fantastiques et la cupidité sans borne des plus riches sont à l’origine des prises de risque insensées qui ont provoqué la crise actuelle. Quelques pistes, sans prétention à l’exhaustivité, pour corriger ces graves dérives.

Et si... les membres des conseils d’administration étaient pour moitié des salariés ?

Vous n’y pensez pas ! Pourtant, c’est déjà le cas en Allemagne, et ce depuis 1951 : dans toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés, la moitié des membres du conseil de surveillance sont des représentants des salariés. Et cela n’empêche pas les succès de l’économie allemande. On peut même penser que cela les explique en bonne partie. La présence de salariés au sein du conseil d’administration contraint en effet les dirigeants à ne pas avoir pour seule préoccupation de satisfaire les attentes des actionnaires lors des prochains résultats trimestriels. Elle les incite à adopter une gestion moins soumise à la dictature du court terme, à développer de nouveaux produits, à investir dans la recherche, etc.

Cette présence des salariés, qui n’est pas du tout une exclusivité allemande, ne résout évidemment pas tous les problèmes et la gestion des entreprises outre-Rhin n’est pas toujours un modèle de transparence. Reste que la gouvernance d’entreprise à l’américaine a définitivement fait faillite. Il est donc grand temps que l’ensemble des parties prenantes à la vie des entreprises soient associées à leur gestion. Et pas seulement d’ailleurs dans les grandes entreprises.

Et si... on instaurait un salaire maximum ?

Cette idée pouvait passer, il y a quelques années encore, pour une utopie fumeuse, mais entre-temps, le gouvernement allemand, puis Barack Obama, le président des Etats-Unis, l’ont fait : les salaires des dirigeants des grandes entreprises américaines aidées par l’Etat fédéral ont été plafonnés à 500 000 dollars par an tant que cette aide ne sera pas remboursée. Pourquoi ne pas appliquer cette règle à toutes les entreprises ? Après tout, elles sont en permanence indirectement aidées par la puissance publique à travers les infrastructures que celle-ci met à leur service. Que ces infrastructures soient matérielles - routes, électricité, téléphone - ou immatérielles - éducation, santé...

Le succès d’une firme dépend bien davantage des efforts qui ont été réalisés, souvent sur plusieurs siècles, pour lui fournir un environnement favorable que des qualités personnelles de ses dirigeants. La société est donc parfaitement légitime à s’immiscer dans le niveau des rémunérations distribuées dans les entreprises quand le marché engendre des déséquilibres qui mettent en cause la cohésion sociale. Après tout, la puissance publique instaure bien un salaire minimum, qui traduit le revenu au-dessous duquel la société considère qu’on ne peut vivre dignement de son travail.

Certes, mettre en place un salaire maximum est une affaire complexe : quel niveau fixer ? comment lutter contre les possibilités de contournement ? Mais on ne peut plus faire confiance à la vertu des dirigeants : les " codes de conduite " adoptés par les entreprises ont surtout permis d’éviter que le législateur interfère dans le petit jeu entre amis qui se joue au sein des comités des rémunérations...

Et la crise actuelle rend encore plus légitime un plafonnement des hauts revenus. En effet, après que ceux qui les reçoivent ont pris les décisions qui ont plongé l’économie dans la récession, ce sont les contribuables qui paient l’addition et les salariés qui trinquent. Ceci dit, la mise en oeuvre de taux marginaux d’impôt sur le revenu très élevés aurait des résultats analogues.

Et si... on supprimait l’héritage ?

Les dernières décennies ont été marquées par une forte baisse de la taxation pesant sur les héritages. Comment croire qu’on puisse établir cette fameuse égalité des chances dont se réclament même les plus libéraux si on permet une transmission quasi intégrale des plus gros patrimoines ? Des patrimoines dont la distribution est encore plus inégale que celle des revenus. L’héritage engourdit les sociétés et les économies, car il favorise la reproduction des positions sociales de génération en génération et empêche l’émergence de nouveaux talents.

Un retour à une forte taxation des héritages ne sera cependant socialement et politiquement acceptable qu’à condition de garantir à chacun le droit à une éducation de qualité, l’accès à un logement décent et à des soins de santé..., autrement dit des services publics de haut niveau. Cette abolition de l’héritage serait facilitée par la mise en oeuvre parallèle de taux marginaux élevés pour l’impôt sur le revenu, ce qui réduirait mécaniquement toute possibilité d’accumuler des patrimoines colossaux.

Et si... tous les salariés étaient syndiqués ?

Le syndicalisme, un des contre-pouvoirs majeurs au sein des entreprises comme dans la société, s’est fortement affaibli au cours des dernières décennies. Cette évolution résulte de causes multiples : diminution de l’emploi industriel, individualisme plus poussé, chômage de masse aggravant la concurrence sur le marché du travail, pression à la baisse sur les salaires liée à la montée des pays émergents... Le recul syndical est cependant particulièrement marqué en France, notamment dans les petites entreprises, pourtant de plus en plus nombreuses, où les salariés ne disposent, en général, d’aucun moyen de se défendre collectivement. Du coup, faute de disposer de suffisamment d’adhérents, les organisations syndicales sont à la merci d’arrangements plus ou moins compromettants avec les entreprises et l’Etat pour se financer, limitant par là même leur capacité à représenter en toute indépendance les intérêts des salariés.

A contrario, on constate que, même dans la mondialisation mal régulée d’aujourd’hui, les pays qui ont conservé un syndicalisme puissant, comme les pays scandinaves, sont aussi ceux qui ont su le mieux éviter jusque-là les dérives du capitalisme à l’anglo-saxonne. Sans rencontrer de difficultés particulières pour s’insérer dans la division internationale du travail.

Et si... on construisait une vraie " sécurité sociale professionnelle " ?

On peut rêver de supprimer le chômage ou d’interdire les licenciements. L’exemple de l’Union soviétique, où ce programme avait été réalisé, est là pour rappeler que ce n’est pas une solution, en termes d’efficacité économique comme de libertés individuelles. L’interdiction du chômage débouche toujours sur l’obligation de travailler. Une tentation totalitaire qui n’est malheureusement pas morte avec la chute du communisme : on la retrouve dans de nombreux pays capitalistes sous la forme du workfare, qui consiste à contraindre les pauvres à travailler en contrepartie de la maigre assistance qui leur est versée.

Le licenciement doit être encadré pour éviter tout abus. Il faut également que la politique économique ait pour priorité de limiter au maximum le chômage. Mais il faut aussi et surtout garantir à ceux qui se trouvent momentanément dans cette situation des revenus décents, qui leur permettent de continuer à être des citoyens à part entière, et des possibilités réelles en termes de formation et d’accompagnement qui les aident à revenir aisément dans l’emploi. Et même d’y revenir avec davantage de billes que lorsqu’ils l’ont quitté, contribuant ainsi à accroître à la fois leurs capacités personnelles et le potentiel de l’ensemble de la collectivité.

Cela fait un certain temps déjà que cette idée est affirmée en France, mais elle peine à être mise en oeuvre. Nous vivons toujours dans une société où la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés et où les minima sociaux ne représentent que la moitié du seuil de pauvreté. Le revenu de solidarité active (RSA) n’y change rien, puisqu’il améliore seulement la situation des travailleurs pauvres.

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