Entretien

" Les collectivités territoriales, garantes des emplois de demain "

5 min
Daniel Delaveau président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF)

L’organisation des territoires en France est actuellement à un tournant. Pouvez-vous rappeler les prises de position de l’Assemblée des communautés de France (ADCF), que vous présidez, sur la réforme en cours ?

Sur le volet concernant le " bloc " des communes et de leurs communautés, la réforme des collectivités territoriales prévoit des avancées qui font consensus et qui ont largement donné suite aux propositions de l’ADCF. Née en 1989 pour promouvoir l’intercommunalité et la représenter, notre association rassemble à ce jour plus de 1 200 communautés de communes, d’agglomération et urbaines. Elle s’est félicitée que la nouvelle loi programme d’ici à 2013 la généralisation de la coopération intercommunale, en appelant toutes les communes à participer à ce mouvement. La loi apporte également des outils importants pour renforcer nos communautés et améliorer leur fonctionnement.

La loi suscite en revanche de nombreuses critiques sur les volets départemental et régional. La réforme des collectivités est en effet intervenue après la réforme de la fiscalité locale, donnant ainsi l’impression qu’elle était davantage guidée par les préoccupations de finances publiques de l’Etat que par une vision cohérente de la gouvernance territoriale. La réforme de la taxe professionnelle était certes nécessaire, mais la répartition des impôts de remplacement est problématique, car elle pénalise très fortement les territoires industriels. Elle aura pour effet de réduire la participation des entreprises et les ressources dont nous disposerons sur le plan local. Alors qu’il serait nécessaire de franchir une nouvelle étape afin d’aller plus loin dans la décentralisation, nous assistons à un processus de recentralisation lié au recul de l’autonomie fiscale des collectivités. Or, les collectivités doivent répondre à des défis économiques, environnementaux et sociaux considérables, sans qu’ait été amorcé un véritable débat sur les échelons les plus pertinents pour mettre en oeuvre de telles actions.

Comme l’avait rappelé le rapport Balladur remis en 2009, la France a aussi besoin de régions plus fortes et plus puissantes. Intercommunalités et régions sont les deux échelons de l’avenir et une clarification de la hiérarchie des compétences selon ce schéma nous permettrait de mettre en oeuvre des stratégies de développement local efficaces. C’est en effet à l’échelle intercommunale que nous pouvons impulser les politiques d’aménagement et d’habitat qui vont permettre d’éviter l’étalement urbain et de préserver les territoires agricoles, de densifier les villes en répondant aux enjeux sociaux et environnementaux de la mobilité, mais aussi d’assurer une gestion écologique des déchets. Les régions, quant à elles, doivent impulser les politiques de développement économique local et jouer un rôle moteur dans les secteurs clés de la formation et de la recherche. Cette architecture ne se retrouve pas dans la réforme actuelle et la France, par une vision encore trop jacobine et centralisatrice, demeure le seul pays où les régions doivent passer par l’Etat pour avoir voix au chapitre sur les questions européennes.

Etes-vous pour autant en faveur d’une disparition du département ?

Les départements ont une fonction de proximité qui reste importante et je suis pour leur maintien, sachant qu’à terme, il faudrait que leurs assemblées émanent des intercommunalités plutôt que des cantons, qui ne sont que des circonscriptions administratives et électorales et non le niveau où se dessine le projet de vie du territoire.

Que faudrait-il faire pour accroître le caractère démocratique et l’efficacité des instances intercommunales ?

Il est tout d’abord nécessaire que les intercommunalités épousent au mieux les bassins de vie existants, que les citoyens reconnaissent en elles le cadre quotidien au sein duquel ils se déplacent, travaillent, consomment, s’adonnent à des pratiques culturelles, sportives ou récréatives. La carte des communautés de France telle qu’elle se dessine actuellement avec les projets de schéma de coopération intercommunale, en débat dans tous nos départements, devrait répondre à cette ambition. Nos communautés de communes et d’agglomération reposent également sur un principe de solidarité financière qui est double, puisque l’intercommunalité, d’une part, assure un meilleur partage des ressources entre les communes et, d’autre part, permet de conduire des politiques communes en direction des citoyens. Plus de 20 000 communes en France ont moins de 500 habitants et elles ne peuvent agir efficacement que si elles se regroupent pour offrir l’ensemble des services qu’elles doivent apporter : petite enfance, éducation, logement, etc. Et dans un contexte de désengagement financier de l’Etat, il leur est d’autant plus nécessaire de mutualiser leurs moyens.

Enfin, les élus des communautés de communes et des communautés d’agglomération (voir encadré page XX) sont aujourd’hui choisis à travers un mode de scrutin au deuxième degré 1. La loi a introduit une avancée importante avec l’instauration d’un scrutin direct " fléché ", par lequel les électeurs désigneront directement sur les listes municipales les futurs conseillers communautaires. Mais, à terme, il nous faudra certainement aller plus loin en matière de suffrage universel direct.

Vous avez parlé des restrictions de budget imposées aux collectivités. Quels seront les effets de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?

La RGPP, qu’il faudrait plutôt qualifier de " régression générale des politiques publiques ", est née d’une nécessité, celle que l’Etat se réforme et se modernise. Mais le fait que la réduction des coûts soit le seul objectif poursuivi par cette politique pose problème, car notre pays a besoin de services publics forts.

Les collectivités locales réalisent 75 % des investissements publics civils, ce sont des acteurs économiques à préserver. Leur capacité d’investissement est garante des emplois de demain, car au-delà des services de la vie quotidienne, les agglomérations, les départements et les régions sont appelés à investir, de plus en plus, à travers leurs projets de territoire, dans l’innovation, l’enseignement supérieur, la recherche. La place et le rôle des collectivités territoriales sont appelés à être de plus en plus importants. Par exemple, celles-ci sont au premier rang dans la mise en oeuvre du développement durable à travers leurs politiques de l’habitat, des transports, des déchets, de l’assainissement... Cela rendra indispensable une nouvelle et forte étape de la décentralisation qui clarifie les compétences des uns et des autres et donne aux collectivités territoriales, à travers une réforme du système fiscal local, les moyens de répondre aux enjeux et défis urbains du XXIe siècle.

  • 1. C’est-à-dire désignés par et parmi des élus au scrutin direct.
Propos recueillis par Naïri Nahapétian

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