Microcrédit : grands espoirs, petits impacts

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Pendant plus d'une décennie, le microcrédit a été présenté comme l'allié providentiel des femmes pauvres en quête d'émancipation. Un outil utile, mais non dénué d'effets pervers.

Le microcrédit est devenu une composante centrale des stratégies de développement de beaucoup d’agences de donateurs et de gouvernements nationaux sur le thème de l’égalité des droits entre les sexes, de réduction de la pauvreté et du développement communautaire ", écrivaient en 2002 les auteures d’un rapport consacré au rôle moteur de la microfinance dans l’émancipation des femmes les plus pauvres 1. La création de services financiers pour les plus défavorisés, et en particulier de microprêts pour la création d’activité, est un outil de développement qui a en effet le vent en poupe depuis les années 1990. Entre 2000 et 2009, le nombre de clients d’institutions de microfinance (IMF) vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 19 à 129 millions et la part des femmes a progressé de 74 % à 82 % de cet effectif. Réputées fiables dans leurs remboursements et pertinentes dans leurs investissements, les femmes sont devenues l’objet de toutes les attentions de la part des IMF, qui sont invitées par les bailleurs et organisations internationales à favoriser leur accès au microcrédit.

" On sait bien que l’argent de la famille est souvent mieux gardé dans les mains d’une femme, mais ce n’est pas suffisant pour justifier d’une orientation particulière de la microfinance ", estime Dominique Lesaffre, responsable géographique à la société financière Solidarité internationale pour le développement et l’investissement (Sidi), qui soutient des IMF à travers le monde. Cet expert du développement rural tant en Afrique qu’en Amérique latine pointe du doigt la perversité de la tendance " féministe " de la microfinance : " Le coeur de l’économie locale en Afrique rurale, c’est l’exploitation familiale à laquelle chaque membre participe au bénéfice de la collectivité. Si l’offre de microcrédit est dédiée aux femmes, la femme viendra chercher l’argent à la demande du mari, pour le compte de la cellule familiale. " L’impact en termes d’émancipation est alors nul. En revanche, " dès lors qu’un système de microcrédit est juste et formulé dans des conditions d’accessibilité équitables, autant vis-à-vis des hommes que des femmes, alors oui, la microfinance oeuvre à la promotion de la condition féminine. Car par leur capacité à investir, à développer une activité économique, elles bénéficient d’une reconnaissance en tant qu’agent économique ", complète Dominique Lesaffre.

Le mythe de l’entrepreneuse aux pieds nus

Isabelle Guérin, économiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), a étudié l’impact de la microfinance sur la condition des femmes en Inde notamment 2. Son analyse déconstruit le mythe de la femme qui, grâce au microcrédit, gagnerait son autonomie économique et abattrait d’un seul coup tous les obstacles à son émancipation. Selon cette chercheuse, dans un pays comme l’Inde, où la microfinance est devenue un phénomène de masse dans des villes surpeuplées, seulement 5 % à 10 % des femmes détentrices d’un prêt créent effectivement leur entreprise. Les autres accèdent plutôt à des crédits à la consommation qui les aident soit à subvenir aux besoins vitaux (santé, éducation, alimentation) dans les situations de grand dénuement, soit à la volonté d’imiter le consumérisme occidental (téléviseur, portable), une tendance aujourd’hui bien installée en Inde.

Et le parcours de ces créatrices d’entreprise reste semé d’embûches, bien au-delà de l’accès au crédit. Autant en Afrique de l’Ouest ou en Afrique centrale les femmes n’ont pas à se battre outre mesure contre leur mari pour développer un petit commerce, autant " au Bangladesh ou au Moyen-Orient, la liberté de mouvement des femmes est très réduite. Ce n’est pas le microcrédit seul qui les aidera à créer des entreprises. C’est pourtant dans ces zones que les besoins d’émancipation sont les plus importants ", constate Isabelle Guérin.

Avoir une vision plus globale de l’autonomie sociale

Pour autant, les quelques dizaines d’euros empruntées à chaque crédit (et qui sont le plus souvent remboursées) aident à la gestion du budget familial dans beaucoup de cas. Et les femmes qui créent leur activité acquièrent ainsi " le choix dans ce qu’elles font et ce qu’elles sont ", relève la chercheuse.

Certains programmes de microfinance dédiés aux femmes gardent aussi leur utilité dès lors qu’ils dépassent le simple champ de l’activité financière pour aborder une vision plus globale de l’autonomie sociale. La Sidi appuie de nombreuses mutuelles de solidarité en Afrique. Ce modèle repose sur une mutualisation de l’épargne au sein d’un groupe d’une vingtaine de personnes en moyenne qui se choisissent pour tenter de remédier à des difficultés extrêmes en attribuant des microprêts à leurs membres. Le système n’est pas spécifique aux femmes, mais au Rwanda, par exemple, trois associations de veuves de victimes du génocide ont développé 150 mutuelles regroupant 3 800 femmes. Elles y trouvent un appui économique et une solidarité entre femmes qui ont tout perdu, notamment parce que le droit coutumier ne leur donne aucun droit à hériter de leur mari. Emmanuel Vuillod, en charge du suivi de ces mutuelles de solidarité à la Sidi, explique que " la solidarité du groupe aide à continuer à vivre pour ces femmes qui se réjouissent de sortir de l’isolement ".

  • 1. " Le renforcement du pouvoir d’action des femmes par la microfinance ", par Susy Cheston et Lisa Kuhn, toutes deux expertes en microfinance au sein de l’ONG américaine Opportunity International.
  • 2. Voir Femmes et microfinance, espoirs et désillusions de l’expérience indienne, par Isabelle Guérin, Jane Palier et Benoît Prévost, Editions des archives contemporaines, 2009. Isabelle Guérin a également publié en 2011 Femmes, économie et développement. De la résistance à la justice sociale, avec Madeleine Hersent et Laurent Fraisse, aux éditions Erès.

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