Chine : mettre en pièces les violences conjugales

5 min

Pour que la Chine ouvre les yeux sur les violences faites aux femmes, des féministes utilisent des modes d'action inventifs, moins risqués que les manifestations publiques.

Depuis la fin des années 1980, des femmes se sont organisées en Chine pour lutter contre les inégalités dont elles sont victimes. Parfois en collaboration avec des hommes, elles ont créé de nombreuses ONG qui abordent des problèmes tels que la santé reproductive, les droits de propriété et du travail, les migrations, les violences à l’endroit des femmes... Ces mouvements tentent de faire évoluer les esprits et les comportements dans la population, mais aussi d’obtenir des avancées en matière de législation. Des modes d’action qui vont des services d’assistance téléphonique et des sessions de formation sur les questions de genre jusqu’au lobbying auprès des responsables gouvernementaux.

Dans le contexte politique chinois, les animatrices de ces groupes ne peuvent pourtant pas recourir aux manifestations de rue 1. Aussi, les diverses formes de militantisme en Chine intègrent des activités artistiques et créatives. La pièce féministe Les monologues du vagin, de la dramaturge américaine Eve Ensler, est utilisée pour sensibiliser le public aux violences faites aux femmes. La professeure Ai Xiaoming, de l’université Zhongshan, à Guangzhou, dont les étudiantes furent les premières à jouer la pièce en chinois dans le pays, s’est d’ailleurs vu décerner en 2010 le prix Simone de Beauvoir pour son action en faveur des droits des femmes 2.

Sortir la violence de l’espace privé

Les monologues du vagin ont été écrits en 1996. Quelques jours plus tard, le mouvement V-Day était lancé dans le but de faire connaître la pièce et de collecter des fonds destinés à lutter contre les violences faites aux femmes. Le " V " se réfère à la Saint-Valentin, à la victoire sur la violence et au vagin. Chaque année, la pièce est représentée dans le monde entier entre le 14 février (jour de la Saint-Valentin) et le 8 mars (Journée internationale des femmes). En 2002, plus de 800 représentations eurent lieu. Une d’elles fut donnée à Shanghai par une Américaine, une Britannique et une Chinoise. Mais elle ne pouvait faire l’objet de publicité, le monologue était dit en anglais et les billets avaient surtout été vendus à des expatriés. Les bénéfices furent versés au Réseau contre les violences domestiques, une des ONG créées en Chine depuis la fin des années 1980.

Si ce réseau est basé à Pékin, les organisations qui en font partie sont présentes dans presque toutes les provinces du pays et ont réussi à faire sortir la violence de l’espace privé familial pour en faire un sujet de débat public. La prise en compte de cette question à l’échelle internationale, à partir des années 1990, a fortement influencé l’attitude des autorités comme des ONG chinoises en la matière. Ces violences sont en effet un des douze domaines de la " plate-forme d’action " adoptée à Pékin en 1995, lors de la Conférence mondiale sur les femmes des Nations unies. En Chine, cela s’est traduit par l’intégration, pour la première fois, du concept de violence domestique dans un texte de loi au niveau national : la loi sur le mariage amendée en 2001.

Pour autant, les actions des militantes féministes se heurtent à la censure. Une représentation des Monologues du vagin avait ainsi été préparée en 2004 par le Réseau contre les violences domestiques dans un objectif de sensibilisation. Les comédiennes, des étudiantes de la professeure Ai Xiaoming, avaient joué la pièce en décembre 2003, dans l’enceinte de leur campus. Ai Xiaoming, qui avait vu des représentations des Monologues aux Etats-Unis, utilisait le texte dans le cadre de son enseignement des études de genre à Zhongshan. Mais des parents d’étudiantes se sont inquiétés en apprenant que leur fille allait prononcer en public le mot vagin.

De même, en mars 2004, à Shanghai, une représentation des Monologues du vagin a été annulée sous prétexte que la pièce n’était pas conforme à la culture chinoise. A Pékin, où elle devait être présentée quelques jours plus tard, la représentation a également été interdite, et les journalistes de la capitale ont reçu l’ordre de ne pas en parler. Ainsi, faute d’accéder à des manifestations publiques, fussent-elles simplement théâtrales, une grande partie du militantisme en faveur des droits des femmes se déroule en cercle fermé.

Bébés filles abandonnés

La pièce importée d’un pays capitaliste comme les Etats-Unis et le mouvement V-Day qui lui est associé ont été critiqués pour leur manque d’appréhension des différences sociales, économiques, religieuses, culturelles... Or le texte est généralement adapté de façon créative par les militantes chinoises. Ainsi, lors de la représentation de Guangzhou, une danse évoquant les mères qui abandonnent leurs filles à la naissance a été intégrée au spectacle, sujet essentiel (voir encadré page 71) que la plupart des associations chinoises de défense des femmes n’abordent pas alors qu’elles traitent de bien d’autres inégalités de genre. Ce n’est en effet que depuis peu qu’il est possible de parler publiquement en Chine du ratio déséquilibré entre les deux sexes, chez les nourrissons et les enfants de 1 à 4 ans.

Autre exemple de manifestation créative : en 2009, le jour de la Saint-Valentin, des militants homosexuels ont réalisé au centre de Pékin une séance de photos de couples gays et lesbiens en tenue de mariés. Le happening a été diffusé sur Internet et est évoqué dans New Beijing, New Marriage, du cinéaste Fan Popo. Un film qui, lui aussi, lutte malgré les obstacles contre les discriminations en Chine.

  • 1. Lire " Non-Governmental Feminist Organizing in the People’s Republic of China - Communicating Oppositional Gender Equality Knowledge ", par Cecilia Milwertz et Bu Wei, dans Emerging Social Movements in China, Gilles Guiheux et Khun-Eng Kuah-Pierce (eds.), Amsterdam University Press, 2009.
  • 2. Ai Xiaoming n’a pu se voir remettre son prix à Paris, les autorités chinoises ne lui ayant pas délivré de visa de sortie du territoire [NDLR].

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !