Les filles sont-elles privilégiées à l’école ?

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Même si les filles affichent en moyenne des résultats scolaires supérieurs à ceux des garçons, elles choisissent moins souvent les filières donnant accès aux meilleurs débouchés professionnels.

Les sources statistiques 1 révèlent unanimement un avantage quantitatif des filles dans la scolarité. Elles font des études un peu plus longues que les garçons (en 2009, respectivement 18,9 et 18,3 années au-delà de l’âge de 2 ans) et acquièrent du coup un diplôme plus élevé : elles sont plus souvent que les garçons dotées d’un diplôme de niveau bac (respectivement 87 % et 84 % en 2010). Réciproquement, les garçons ayant une formation de niveau inférieur sont plus nombreux et ils sont plus souvent dépourvus de toute formation qualifiante : en début de vie active, 23 % des garçons n’ont aucun diplôme ou seulement le brevet, contre 12 % des filles.

Mais après le bac, les filles effectuent des études moins souvent sélectives : ainsi, on compte une majorité de garçons en classes préparatoires aux grandes écoles (56 % en 2010), en écoles d’ingénieurs (73 %) et en écoles de commerce (51 %), même si c’est quasi équilibré dans ce dernier cas. La sélectivité des études étant un gage de prestige et de débouchés professionnels, il faut donc se garder de conclure trop rapidement à un avantage des filles, bien qu’elles fassent des études globalement plus longues.

Au-delà, toutes les spécialités fines sont sexuées, que ce soit dans les formations techniques courtes (dont les spécialités industrielles comptent rarement plus de 3 % de filles) que dans les filières du supérieur. Les écoles paramédicales sont en effet rarement mixtes (85 % de filles), de même pour les écoles préparant aux fonctions sociales (79 %), les universités de technologie (25 %) ou les IUT (40 %).

Un "apparent privilège" ?

Il est certain que les filles parcourent le système scolaire de manière apparemment plus aisée, au moins pendant les premières années de la scolarité. Elles sont notamment moins affectées par les difficultés en lecture, comme le montrent les tests passés lors des "journées défense et citoyenneté" (JDC). Et si l’on considère que l’accès à un niveau de formation générale élevé constitue un bien en soi, alors on conclura que les filles sont privilégiées, même si les garçons de milieu favorisé le sont encore plus, eux qui monopolisent les filières d’excellence du supérieur.

Mais ne s’agit-il pas d’un "privilège apparent", dans la mesure où cette orientation vers de longues études générales est l’envers d’un accès relativement limité aux formations professionnelles les plus rentables ? De plus, à tous les niveaux de formation, les filles sont, par rapport aux garçons, concentrées dans un nombre beaucoup plus restreint de filières et de spécialités. Ces différences de choix de spécialités semblent en outre découler avant tout d’inégalités en matière de sentiment de compétence. Ce n’est pas leur niveau académique, mais bien leur confiance en soi et leur légitimité supposée à s’engager dans ces matières qui écartent les filles des filières scientifiques. Ne pouvant bien sûr s’expliquer par le sexe biologique, ce phénomène renvoie donc à la socialisation antérieure, familiale mais aussi scolaire.

A l’école des stéréotypes

Car à l’école, on n’acquiert pas seulement un diplôme, mais aussi des attitudes et des présupposés sur les disciplines et les métiers. Au quotidien, et bien qu’officiellement ils ne soient pas traités différemment, filles et garçons reçoivent une grande quantité d’informations sur les comportements adéquats pour leur sexe. Celles-ci passent par le biais des attentes de leurs enseignants et par la confrontation aux contenus des programmes et des manuels. Bref, par l’intermédiaire de tout un curriculum caché. Intervient aussi tout le jeu des contacts avec les autres élèves, face auxquels il faut se positionner comme garçon ou comme fille.

L’ensemble de l’environnement scolaire, comme lieu de socialisation, rappelle ainsi aux filles que si elles veulent être perçues comme féminines, il leur faut prendre soin des garçons, ne pas blesser leur susceptibilité, masquer toute velléité de compétition individuelle. En gros, prendre part à la course, mais tout en gardant sa minijupe et ses talons, ce qui ressemble fort à une double contrainte... De même, l’échec scolaire des garçons de milieu populaire n’est pas sans rapport avec une certaine image de la virilité, qui considère comme féminin tout travail livresque, encadré de plus par des enseignantes.

Tout bilan du bagage scolaire doit donc inclure cet apprentissage du féminin et du masculin, qui va jouer un rôle dans les choix ultérieurs. Or, les enquêtes sur les projets des jeunes 2 montrent clairement que les jeunes filles, bien plus que les jeunes gens, pensent de manière indissociable avenir professionnel et avenir familial. Le thème des arbitrages perçus comme nécessaires entre travail et famille est une spécificité des projets des filles, tant elles se sentent responsables de ces problèmes et n’imaginent pas redéfinir le partage des tâches avec leurs futurs compagnons.

Le fonctionnement actuel de la famille et les insuffisances du partage du travail à l’intérieur de celle-ci constituent une pierre d’achoppement majeure de l’égalité des trajectoires professionnelles et scolaires entre filles et garçons. Cela ne revient pas à décharger l’école de toute responsabilité : c’est une microsociété où se fabrique au quotidien le masculin et le féminin, qui font le lit des inégalités de genre.

  • 1. Voir, chaque année, la publication du rapport "Filles et garçons. Sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur", par le ministère de l’Education nationale, disponible sur http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/66/0/DEPP-filles-garcons-...
  • 2. Pour une synthèse sur ce sujet, voir L’école des filles, par Marie Duru-Bellat, L’Harmattan, 2004.

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