L’apprentissage en Allemagne, un modèle à suivre ?

4 min

L'apprentissage est réputé occuper une place importante dans le système éducatif outre-Rhin. Une réalité qui a cependant beaucoup évolué depuis une vingtaine d'années.

Le système éducatif et le mode d’insertion des jeunes dans le monde du travail constituent une des différences les plus frappantes entre l’Allemagne et la France. Ils se caractérisent en effet outre-Rhin par la prédominance de l’apprentissage. En 2009, 56 % des jeunes s’étaient engagés en France dans l’enseignement secondaire général. En Allemagne, cette proportion n’était que de 47 %. 53 % des jeunes Allemands ont donc choisi un enseignement secondaire professionnalisant, contre 44 % de leurs homologues français. Mais surtout, la quasi-totalité de ces jeunes engagés dans la voie professionnelle (85 %, soit 45 % de l’ensemble des jeunes Allemands) sont entrés en apprentissage, alors que ce mode de formation ne concerne en France que 12 % des jeunes d’une génération.

Un marché du travail propice

Le rôle majeur joué par l’apprentissage en Allemagne est connu et fréquemment envié en France. On ne peut cependant comprendre l’efficacité du système de formation initiale outre-Rhin sans prendre en compte en même temps le fonctionnement du marché du travail. En Allemagne, les emplois industriels - et plus généralement les métiers manuels - sont nettement plus valorisés socialement qu’en France. De plus, de réelles possibilités de promotion interne sont ouvertes aux jeunes qui ont démarré leur vie professionnelle dans le cadre de l’apprentissage, ce qui est très loin d’être le cas chez nous. Ce sont d’abord ces caractéristiques du marché du travail qui font que ce système est accepté par la société allemande. Et les profondes différences qui persistent entre la France et l’Allemagne sur ce terrain rendent la tentation de copier le modèle de formation initiale allemand largement illusoire.

Zoom Un système scolaire allemand très inégalitaire

L’Allemagne n’a toujours pas de "collège unique" analogue à celui qui est en place en France depuis les années 1970. Ce sont les Länder qui sont responsables de l’organisation de l’école et celle-ci n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire national. Dans la plupart de ces Länder existe encore un système à trois branches au niveau du collège. Les "bons" élèves vont directement au Gymnasium, le lycée, qui a accueilli 34 % d’entre eux en 2010. Ils sont destinés, sauf accident, à poursuivre des études supérieures. Les élèves "moyens" vont dans des Realschulen, cela a été le cas en 2010 de 26 % d’entre eux. Suivant leurs performances, ils se tourneront ensuite vers l’enseignement professionnel ou rejoindront, pour les meilleurs d’entre eux, le Gymnasium au niveau de la première. Les plus "mauvais" élèves sont orientés vers la Hauptschule, qui a accueilli 16 % des collégiens en 2010. A l’issue de leur cursus, ils se tourneront obligatoirement vers l’enseignement professionnel. Ce sont principalement les dysfonctionnements croissants des Hauptschulen qui expliquaient les mauvais résultats allemands dans l’enquête Pisa en 2000 (voir page 57).

En France, "apprenti" signifie en effet volontiers "jeune taillable et corvéable à merci", celui qui balaie et fait le café, même si ces réalités évoluent. L’apprenti en Allemagne est intégré à des structures très encadrées et régulées dans le cadre des branches professionnelles. Leur statut est d’autant plus protégé que ces apprentis, loin d’être une population marginale de laissés-pour-compte du système scolaire, forment le gros de la jeunesse allemande.

Incertitude sur le futur

Cela dit, ce système, admiré et envié à l’extérieur, traverse en Allemagne même une profonde crise. Depuis le début des années 1990 déjà, les entreprises offrent de moins en moins de places d’apprentissage en leur sein. Soumises, comme leurs homologues en Europe et dans le monde, à des contraintes financières de court terme pressantes, et incertaines de leur avenir à moyen terme, elles rechignent de plus en plus à cette forme d’investissement dans le capital humain. Former un apprenti ne présente en effet aucun intérêt immédiat pour une entreprise, même si la rémunération de ces apprentis est, en Allemagne comme en France, nettement plus faible que celle des salariés en poste. Une telle action n’a de sens que dans la perspective d’embaucher par la suite ces apprentis censés demeurer durablement dans l’entreprise. Or, de plus en plus d’entreprises n’ont pas une visibilité suffisante pour apporter à leurs apprentis cette garantie implicite d’embauche future et encore moins de carrière.

Au-delà de cette incertitude sur le futur, l’évolution des métiers rend l’apprentissage souvent moins intéressant : quand les gestes manuels sont de plus en plus remplacés par la surveillance ou la commande de machines, la formation sur le tas, qui est à la base de l’apprentissage, perd de son utilité. Pour maîtriser les processus industriels, il faut désormais pouvoir comprendre le fonctionnement de la machine elle-même, ce qui appelle une formation plus théorique.

Ce faisceau de causes a amené un déséquilibre croissant entre l’offre et la demande de postes d’apprentis. Pour le stopper, l’Allemagne a introduit à son tour une taxe d’apprentissage en 2004 : les entreprises qui n’accueillent pas assez d’apprentis doivent s’acquitter d’un impôt compensatoire. Ont été également développées des structures d’apprentissage interentreprises qui se substituent de plus en plus aux structures internes aux entreprises, dominantes jusque-là. Ce qui change la nature de ces formations et les banalise. Enfin, l’Etat a créé des structures destinées à "parquer" les jeunes qui ont fini leur parcours scolaire mais n’ont pas encore trouvé de place en apprentissage. Malgré la détente intervenue sur le marché du travail ces dernières années, ces dispositifs accueillaient toujours près de 300 000 personnes en 2012. Bref, si l’apprentissage a sans conteste concouru jusqu’ici aux succès de l’économie allemande, et en particulier de son industrie, l’avenir de ce dispositif envié n’est pas aussi solidement établi en Allemagne qu’on le croit ailleurs, et notamment en France...

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !