Les jeunes, grands absents des politiques de santé
La santé des jeunes se dégrade. Face à cela, il n'existe pas à l'heure actuelle de politique de santé cohérente. Le point sur une situation préoccupante.
Profondément dégradée." C’est le constat que portait La Mutuelle des étudiants (LMDE) dans la troisième édition de son enquête nationale sur la santé des jeunes. Gabriel Szeftel, alors président de la mutuelle, jugeait sévèrement la situation : "Les résultats de l’enquête que nous avons menée auprès de nos affiliés sont particulièrement frappants. Un tiers des étudiants déclarent avoir renoncé à se soigner et un cinquième d’entre eux ne bénéficient d’aucune couverture complémentaire", contre respectivement 25 % et 10 % de l’ensemble de la population. Même si le diagnostic sur l’état de santé des jeunes mérite d’être nuancé - au global, il est meilleur que celui du reste de la population -, la dégradation dans l’accès aux soins est réelle.
Les jeunes, peu concernés par les pathologies les plus lourdes et les maladies chroniques prises en charge à 100 % par l’assurance maladie, sont frappés à la fois par la baisse des remboursements des soins courants (le taux de prise en charge par l’assurance maladie de ce type de soins est tombé à 55 %) et par l’augmentation du "reste à charge", c’est-à-dire de la dépense qui reste à la charge du patient une fois reçus les remboursements de l’assurance maladie et de la complémentaire santé. Particulièrement touchés par le chômage et l’emploi temporaire, ils sont victimes d’une précarisation croissante qui rend problématique l’accès aux soins et amplifie les inégalités de santé
L’obésité, premier marqueur d’inégalités sociales de santé
L’obésité en est une illustration. Elle touche plus fortement les plus fragiles : leur équilibre alimentaire est précaire (voir encadré page 100), surchargé de produits trop riches, et leur sédentarité très importante : le temps passé devant un écran (6,1 heures par semaine pour les garçons de 11 à 15 ans) est nettement plus conséquent pour les enfants issus de familles défavorisées. Ainsi, les élèves de classe de troisième vivant dans des familles dont le père est cadre supérieur ne sont que 8 % à être en surpoids 1, cette proportion atteint les 16 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés. La prévalence de l’obésité reste aussi inversement proportionnelle au niveau d’instruction : les surcharges pondérales sont par exemple particulièrement présentes chez les jeunes sortis précocement du système scolaire.
Le retour de certaines maladies
D’autres signes marquent une dégradation du contexte sanitaire pour les jeunes, comme le retour de certaines maladies jusqu’ici contenues. L’augmentation du nombre de cas de rougeole est à ce titre révélatrice : rien que pour l’Ile-de-France, il est passé de 40 par an environ en 2007 à plus de 5 000 en 2010. Cette recrudescence traduit les carences en termes de couverture vaccinale des populations les plus jeunes et les plus précarisées, qui n’y ont pas ou peu accès du fait de leur éloignement des dispositifs de prise en charge.
Par ailleurs, les maladies sexuellement transmissibles, comme le VIH, constituent toujours un sujet de préoccupation (12 % des 6 300 nouvelles contaminations au VIH en 2011 concernaient des jeunes de moins de 25 ans), et ce d’autant que l’entrée dans la sexualité est de plus en plus précoce (voir page 108). Une enquête réalisée par l’observatoire régional de la santé d’Ile-de-France en 2010 constate que 21 % de la population ont de fausses connaissances sur les modes de transmission du sida. Et c’est particulièrement le cas chez les moins de 30 ans. L’arrivée sur le marché en 1996 de trithérapies, qui permettent de stopper l’évolution de la maladie sans toutefois pouvoir la soigner, a entraîné une baisse de la vigilance de la part des pouvoirs publics, moins enclins à investir dans des campagnes de prévention, ainsi que des jeunes adultes entrés dans la sexualité après cette période.
De la même manière, la méconnaissance et les difficultés d’accès aux méthodes contraceptives (dont l’achat n’est pas anonyme) poussent de nombreuses jeunes femmes à se faire avorter. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Affaires sociales et de la Santé, près de 29 000 femmes âgées de 15 à 19 ans ont eu recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) en 2010 2. Ces IVG sont pour une partie pratiquées dans des centres dont le nombre insuffisant a été mis en évidence à maintes reprises, notamment dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales rendu en 2010 3. Ce rapport soulignait l’inégale accessibilité à ces centres dans les zones rurales et les refus opposés pour certaines grossesses jugées trop tardives (celles situées entre 10 et 12 semaines, durée limite à partir de laquelle l’avortement est illégal en France). Du coup, parmi les 4 500 adolescentes qui deviennent mères chaque année en France, si certaines manifestent un réel désir de maternité, nombreuses sont celles qui la subissent. C’est notamment le cas des jeunes filles issues des populations les plus fragiles et les plus précaires.
Enfin, s’il est un indicateur important de la dégradation du contexte sanitaire pour les jeunes, c’est bien la santé mentale. En région parisienne, les tentatives de suicide sont passées de 6 % en 1997 à 8 % en 2005 pour les jeunes filles. Ces dernières sont davantage concernées par le phénomène : si 7,8 % des jeunes hommes de 16 à 25 ans ont connu une dépression, ce taux grimpe à 19,2 % pour les jeunes femmes. Certes, le passage à l’âge adulte constitue un moment angoissant et propice au développement de troubles dépressifs. Toutefois, la forte précarité des jeunes (24 % vivent en dessous du seuil de pauvreté), les épisodes de chômage et l’incertitude qu’il engendre tout comme les fortes pressions exercées par la compétition pour décrocher un poste sur le marché du travail sont des facteurs favorisant la dépression. D’ailleurs, cette dernière est autant un marqueur de la détresse sociale que de l’incapacité du système de soins à y répondre de manière satisfaisante.
Une absence de stratégie claire
De manière générale, trop complexes et/ou inadaptés, les dispositifs de santé en direction des jeunes peinent à répondre à leurs besoins. Ainsi, un rapport du Sénat de décembre 2012 4 dénonce la trop grande complexité de la gestion du régime obligatoire pour les étudiants, gérée par des acteurs mutualistes : La Mutuelle des étudiants (LMDE, ex-Mnef) et le réseau emeVia, qui regroupe onze mutuelles régionales (Smerep, Smerra, Smeco, Vittavi, etc.). Résultat : selon un sondage réalisé par l’UFC Que choisir, seuls 42,9 % des étudiants avaient compris que les remboursements sont les mêmes quel que soit l’organisme auquel ils se rattachent. Au final, des dispositifs existent, mais ils sont éparpillés. Comme l’explique Laurent Chambaud, directeur de la santé publique à l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, "les compétences sur la santé des jeunes sont trop éclatées, il n’y a pas de dispositif global qui coordonnerait l’ensemble des acteurs sur ce sujet, notamment les initiatives prises par les collectivités territoriales, avec lesquelles nous signons des contrats locaux de santé". Du coup, les jeunes eux-mêmes connaissent très mal les offres de soins et les aides proposées, comme l’aide à l’accès à une mutuelle en Ile-de-France que seuls 20 % des bénéficiaires potentiels ont réellement demandée.
A cette absence de coordination s’ajoutent des manques de moyens et l’inadaptation des offres de soins. C’est notamment le cas pour la santé scolaire. Au-delà du manque d’effectifs (7 500 infirmières pour 8 000 établissements), elle se trouve confrontée à un contexte nouveau, marqué par des besoins de prise en charge de troubles dépressifs notamment, à propos desquels les personnels sont insuffisamment formés. Plus globalement, note Laurent Chambaud, "la santé scolaire doit se transformer pour aller davantage vers les publics en décrochage", et notamment les populations qui sortent de l’école, pour lesquelles les offres de soins spécifiques sont rares. De la même manière, les services de santé universitaires, mal connus des étudiants, pourraient être transformés en centres de santé spécialisés.
Enfin, la prévention, qu’elle concerne les risques de contamination, la contraception, les addictions ou encore l’alimentation, est trop faible. Certes, il est difficile de prévenir les conduites dangereuses des jeunes, la transgression faisant partie du processus de construction de leur personnalité. Toutefois, dans un contexte d’accroissement des inégalités de santé, prévenir est primordial, surtout vis-à-vis d’une catégorie d’âge qui gardera toute sa vie les marques de comportements risqués.
- 1. Selon l’enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité (Obépi) de 2012, voir sur www.roche.fr/fmfiles/re7199006/enquete_obepi_2012/obepi_2012.pdf
- 2. "Les interruptions volontaires de grossesse en 2010", Etudes et résultats n° 804, juin 2012.
- 3. "Evaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001", rapport de l’Igas remis le 2 février 2010.
- 4. Rapport d’information du Sénat n° 221 (2012-2013) de Ronan Kerdraon et Catherine Procaccia, groupe de travail sur la sécurité sociale et la santé des étudiants, décembre 2012. Disponible sur www.senat.fr/rap/r12-221/r12-2211.pdf