Un regain d’intérêt pour la politique

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Les jeunes s'intéressent davantage à la politique et s'engagent de plus en plus souvent. Néanmoins, les moins scolarisés d'entre eux restent à l'écart de cette tendance.

Dépolitisation, crise de confiance dans les institutions politiques, développement de mobilisations protestataires, l’avant-dernière enquête "Valeurs" en 1999 (voir encadré page 138) témoignait de tendances fortes dans le rapport des jeunes à la politique. Neuf ans plus tard, les résultats de l’enquête suivante font apparaître une politisation des jeunes à la hausse, comparable aujourd’hui à celle des adultes.

Une politisation peu importante, mais en hausse

Les enquêtes "Valeurs" proposent quatre questions relatives à la politisation. Deux d’entre elles, posées à partir de 1990, concernent l’importance prise par la politique dans la vie et l’intérêt déclaré pour celle-ci. Entre 1990 et 1999, cette importance et cet intérêt n’ont pas évolué (faibles chez les 18-29 ans et inférieurs à ceux des adultes), puis ils ont augmenté fortement en 2008. Par ailleurs, même s’il reste à un niveau relativement modeste, le pourcentage de jeunes les plus politisés, ceux qui considèrent la politique comme très importante dans la vie et qui se déclarent très intéressés par cette dernière, a doublé entre les deux dernières enquêtes. Aujourd’hui, sur ces deux indicateurs, les jeunes ne se différencient pas des adultes, voire ils les dépassent !

La troisième question relative à la politisation concerne la fréquence des discussions politiques entre amis. Après avoir baissé entre 1981 et 1999 parmi les 18-29 ans, celle-ci a augmenté en 2008, pour dépasser le taux initial de 1981. En revanche, les résultats du quatrième indicateur, concernant le suivi de l’actualité politique dans les médias, étaient à la baisse. En 2008, les jeunes ne sont pas plus nombreux qu’en 1999 à suivre l’actualité politique à la télévision, à la radio ou dans le journal. Si 36 % d’entre eux suivent l’actualité chaque jour, les 30 ans et plus étaient 63 % à le faire.

De l’abstentionnisme intermittent

L’abstention en France a toujours été plus forte chez les jeunes. Cette moindre participation électorale est une donnée structurelle qui s’explique par un effet de cycle de vie : la politologue Anne Muxel parle ainsi du "moratoire électoral des années de jeunesse". Le vote augmente avec l’entrée dans la vie adulte, au fur et à mesure de l’insertion sociale et professionnelle et d’une familiarisation avec la vie politique. Selon Anne Muxel 1 et Vincent Tournier 2, le différentiel de participation électorale entre les jeunes et les adultes demeure toutefois assez stable depuis trente ans. Les abstentionnistes systématiques ne représentent qu’environ 10 % des inscrits, proportion qui reste stable elle aussi.

Ce qui augmente, tout particulièrement parmi les jeunes, c’est l’abstentionnisme intermittent. Le vote est moins conçu comme un devoir, autrefois accompli sans même être politisé, que comme un droit exercé au gré des enjeux mobilisateurs. En même temps, des formes de participation politique non conventionnelles tendent à s’accroître parmi les jeunes. Les réponses à une question de l’enquête "Valeurs" sur les formes d’action politique protestataire sont particulièrement significatives (voir graphique page 141). Près de deux jeunes sur trois ont déjà signé une pétition en 2008 ; près d’un sur deux a participé à une manifestation. Les autres formes d’action : participer à un boycott ou à une grève, occuper des bureaux ou des usines sont des pratiques beaucoup moins courantes chez les jeunes, mais qui ont augmenté depuis l’enquête de 1999.

Un clivage gauche-droite qui fait toujours sens

Des commentaires insistent souvent sur le caractère dépassé du clivage gauche-droite. Or les résultats de la dernière enquête "Valeurs" font apparaître que les Français, et tout particulièrement les jeunes, refusent nettement moins qu’auparavant de se classer sur une échelle politique. Les analyses politiques ont montré que, depuis une quarantaine d’années, l’orientation politique dominante des jeunes générations privilégie la gauche, mais que l’écart avec la droite diminue régulièrement. Dans l’enquête "Valeurs" (voir graphique page 140), le positionnement à gauche est quasiment stable par rapport à 1981. Le positionnement à droite a augmenté de 6 points en 2008. Le positionnement au centre a lui aussi augmenté de 6 points depuis 1981. Alors que la plus grande partie des jeunes se situaient alors à gauche de l’échelle, c’est au centre qu’ils se trouvaient majoritairement en 2008. Parallèlement à ce mouvement vers le centre et la droite, on constate une montée des positionnements aux extrémités de l’échiquier politique. Les jeunes se classent en 2008 davantage à l’extrême gauche, permettant ainsi à l’ensemble du positionnement à gauche de retrouver son résultat global de la première enquête.

Des jeunes plutôt réformistes

Quant au positionnement très minoritaire à l’extrémité droite de l’échelle, il tend à augmenter très faiblement mais régulièrement depuis 1981. L’évolution la plus forte depuis 1999 est toutefois la baisse du non-positionnement, celle-ci a pu profiter à toutes les orientations politiques.

Peut-on dire cependant qu’une partie des jeunes serait aujourd’hui davantage sensible à une logique de transformation sociale et politique ? A une question relative aux modalités de changement dans l’organisation sociale, une nette majorité de jeunes se prononce pour une amélioration progressive de la société par des réformes (65 %). Mais l’évolution la plus notable concerne les adeptes de la position radicale, visant à changer toute l’organisation de la société par une action révolutionnaire, position qui concerne près du quart des jeunes en 2008. Ce résultat témoigne d’une certaine radicalité, peut-être ponctuelle, d’une forte minorité des jeunes générations.

L’influence du niveau d’études

Enfin, l’influence du niveau d’études sur les rapports des jeunes générations à la politique est très importante. Les jeunes les plus instruits sont tout aussi critiques à l’égard de la classe politique que les jeunes les moins instruits. Selon l’enquête "Valeurs" de 2008, seuls 19 % des jeunes font confiance aux partis politiques. Mais les plus instruits restent davantage attachés aux principes de la démocratie représentative : 52 % des jeunes qui ont fini leurs études après 21 ans ont confiance dans le Parlement, contre 34 % de ceux qui les ont terminées avant 19 ans.

Zoom Un hémicycle toujours vieillissant et masculin

L’Assemblée nationale française est une des plus monochromes du monde occidental. Au Palais-Bourbon, les députés âgés de plus de 61 ans sont près de quatre fois plus nombreux que ceux de moins de 40 ans : c’est plus qu’en Italie (3,3) ou en Allemagne (1,2), et beaucoup plus qu’en Suède, au Royaume-Uni ou en Espagne, où les moins de 40 ans sont plus nombreux que les plus de 61 ans.

Même constat lorsqu’on s’intéresse au niveau de féminisation : seules 152 députées sur 577 (soit 26 %). L’Hexagone est, sous ce rapport, très loin de la Suède (45 %), mais est plus près de l’Espagne (35 %) ou de l’Allemagne (33 %). Et les résultats ne sont pas meilleurs si on examine l’origine socioprofessionnelle des députés : les professions libérales et les professions intellectuelles supérieures y dominent très largement, au détriment des ouvriers et des employés, quasiment absents de l’hémicycle.

Comment introduire davantage de diversité au sein de la classe politique et la rajeunir ? Un seul moyen : l’interdiction du cumul des mandats 1. En avril 2000, de nouvelles dispositions légales ont interdit le cumul de plus de deux mandats entre les fonctions de conseiller régional, conseiller général et conseiller municipal. Elles ont également interdit de cumuler la présidence d’un conseil général ou d’un conseil régional avec une mairie. Elles ont enfin prohibé le cumul député/député européen et contraint les représentants de la nation à ne pas ajouter à leur siège parlementaire plus d’un mandat parmi les fonctions suivantes : conseiller régional, conseiller général et conseiller municipal d’une ville de plus de 3 500 habitants.

Ces lois ont eu le mérite de clarifier les choses. Elles ont notamment permis d’éviter les cumuls horizontaux au niveau local au moment où la décentralisation, puis la création des intercommunalités multipliaient le nombre de mandats à l’échelle des territoires. Mais elles n’ont pas conduit à la baisse du nombre de cumulards dans l’hémicycle, où les jeunes peinent encore à trouver leur place.

  • 1. Voir Faut-il abolir le cumul des mandats ?, par Laurent Bach, coll. du Cepremap, Editions de la rue d’Ulm, 2012.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les actions de protestation ne sont pas le fait des jeunes les plus en difficulté, elles sont davantage présentes parmi les jeunes diplômés. Les résultats de l’enquête "Valeurs" montrent que les personnes les plus désavantagées d’un point de vue socio-économique sont les moins actives politiquement. Plus abstentionnistes, plus en retrait des formes de participation protestataires, ces jeunes seraient toutefois davantage partisans d’un changement radical de la société par une action révolutionnaire : 32 %, contre 19 % pour les plus diplômés. Ils sont également plus nombreux à refuser de se situer sur une échelle politique (14 % pour les moins diplômés, contre 5 % pour les plus diplômés).

Reste à savoir quels peuvent être les lieux, les contextes institutionnels et les modalités d’action qui pourraient permettre de remédier à ce déficit de citoyenneté, entre le rôle central attribué à l’école, la place des associations ou des conseils de jeunes au sein du quartier ou de la commune, ou encore des dispositifs institutionnels promouvant la participation et le volontariat 3.

  • 1. Avoir 20 ans en politique. Les enfants du désenchantement, par Anne Muxel, Le Seuil, 2010.
  • 2. "Comment le vote vient aux jeunes. L’apprentissage de la norme électorale", par Vincent Tournier, Agora Débats/Jeunesses n° 51, 2009.
  • 3. "L’engagement des jeunes dans l’espace public", par Valérie Becquet, in Les jeunes en France, Bernard Roudet (dir.), coll. Regards sur la jeunesse du monde, Presses de l’université Laval-Injep, 2009.

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