Acheter du bio, mais lequel ?
Le bio a le vent en poupe, grâce notamment au label AB. Mais son succès a aussi entraîné une
En France, la consommation de produits alimentaires labellisés bio a doublé entre 2007 et 2012, pour représenter un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros. Cette croissance favorise le développement de la production hexagonale. Ainsi, la part des produits bio importés ne cesse de baisser, passant de 32 % en 2010 à 25 % fin 20121. Pourtant, la part des terres agricoles converties au bio n’a pas atteint en 2012 l’objectif de 6 % fixé par le ministère de l’Agriculture en 2006. L’agriculture biologique représentait 3,8 % des surfaces cultivées, dépassant tout de même le cap symbolique du million d’hectares.
Les grandes surfaces, leaders des ventes
Cet essor a d’abord profité aux enseignes de la grande distribution, qui réalisent 46 % du chiffre d’affaires du bio. Les réseaux de magasins spécialisés en ont eux aussi bénéficié et captent le quart du marché. On observe toutefois de grandes disparités en fonction du type de produits : 4 produits sur 5 sont vendus en grandes surfaces, alors que celles-ci ne représentent que la moitié du chiffre d’affaires global.
Les consommateurs achètent prioritairement les laitages, les oeufs, la viande, le poisson et les surgelés dans ces magasins, tandis qu’ils s’approvisionnent en fruits et légumes, boissons, produits d’épicerie (pâtes, condiments, céréales, etc.) et pain dans les réseaux spécialisés. Ils cherchent aussi de plus en plus fréquemment à se fournir pour les fruits et légumes, les vins et, dans une moindre mesure, les produits carnés en direct auprès du producteur, via des Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) ou des marchés spécialisés.
Aux origines, la défense d’une agriculture paysanne
En même temps que le marché affiche un contexte global de hausse, plusieurs familles d’opérateurs font aujourd’hui ressortir la différence entre le "biobusiness", qui correspond à une forme d’industrialisation de la production au même titre que l’agriculture conventionnelle, et une agriculture paysanne qui ancre la démarche dans un projet de société plus vaste. Différentes certifications privées coexistent, souvent plus exigeantes que le label européen officiel (voir page 26).
En effet, "la bio", comme beaucoup de paysans la désigne, est née de l’initiative de quelques agriculteurs pionniers et militants qui, dans les années 1960, ont choisi de rompre avec un modèle agricole productiviste. La fédération Nature & Progrès, créée en 1964, en est le premier représentant. Ses membres résistent alors aux pratiques grandissantes de la monoculture, de l’intensification de la production et du recours aux pesticides et aux engrais chimiques pour augmenter les rendements. C’est à cette époque que la terminologie sectorielle évolue et fait du paysan un "agriculteur", puis un "exploitant agricole", assimilant la ferme à une entreprise qui participe autant à la souveraineté alimentaire du pays qu’à l’émergence d’un secteur exportateur, notamment pour ce qu’on appelle les grandes cultures (céréales, oléagineux). Les pionniers de la bio s’opposent à cette tendance et font le choix de conserver des pratiques d’agriculture paysanne reposant sur une diversification des cultures et le respect de l’environnement.
A l’épreuve du succès
La reconnaissance institutionnelle intervient en 1981 avec la mise en place d’un label AB, propriété du ministère de l’Agriculture, qui est attribué aux exploitations contrôlées par un auditeur indépendant. En 1991, l’Union européenne crée son propre cahier des charges qui coexiste avec les certifications nationales. Mais en 2009, les réglementations sont harmonisées sur le territoire de l’Union et le label européen succède au label AB2.
Chacune de ces phases s’est accompagnée d’une croissance de la demande, et donc des volumes de production. Ce qui a contribué au développement d’un bio industriel. C’est alors que sont réapparus des phénomènes d’intégration de filière où des exploitants certifiés se concentrent sur une ou deux productions. La grande distribution influe sur cette évolution, car elle souhaite offrir à ses clients une bio moins chère. Dans La bio, entre business et projet de société (Agone, 2012), le journaliste Philippe Baqué décrit des exploitations bio autour de Huelva, en Andalousie, apparues dans les années 1990, n’ayant rien à envier aux 7 000 hectares d’exploitations conventionnelles qui participent à l’assèchement des nappes phréatiques. La plus grande, Bionest, s’étale sur 500 hectares de serres dédiées à la culture de fraises et de fruits rouges. "Les pratiques agricoles [...] se distinguent peu de celles des serres conventionnelles, observe-t-il. Les plantes plongent leurs racines dans des buttes de sable isolées du sol par une enveloppe en plastique [...]. La grande différence avec les méthodes intensives environnantes réside dans la certification bio de tous les intrants utilisés."
Du coup, aujourd’hui, différents modèles d’agriculture bio coexistent. D’abord, celui du paysan bio, avec une ferme de taille réduite (environ 25 hectares, contre 75 hectares en moyenne en France), pratiquant à la fois la polyculture et l’élevage, et acteur de la biodiversité locale et du patrimoine rural. Ensuite, celui de l’exploitation certifiée bio, qui s’oriente sur quelques cultures afin d’assurer des volumes de production conséquents (le bio intensif). Enfin, celui du bio industriel, qui se caractérise par des filières intégrées verticalement (de la production à la distribution en passant par la transformation) au sein de grandes entreprises, grosses coopératives agricoles ou industriels de l’agroalimentaire, issues de l’agriculture conventionnelle. Le point commun de toutes ces formes d’agriculture bio reste le non-recours aux intrants chimiques.
Où acheter ses produits bio ?
Dans les supermarchés, il est possible de se fournir en fruits et légumes, laits, oeufs et plats préparés certifiés bio à un prix moindre. Cependant, les enseignes ont pour principaux fournisseurs des acteurs du bio industriel ou tout du moins intensif, notamment pour leurs marques "maison", comme Carrefour bio. En effet, pour la grande distribution, gros volumes et bas prix restent les maîtres mots, même en bio.
Toutefois, la demande en produits locaux, apparue plus récemment, pousse ces enseignes à référencer aussi des produits bio régionaux. Le niveau de la production française permet aujourd’hui de ne plus recourir autant qu’avant à l’importation, notamment en provenance d’Espagne et d’Italie, deux pays exportateurs nets en fruits et légumes bio. L’Hexagone est aujourd’hui en capacité de répondre à la demande en viande, vin et oeufs. Toutefois, les jus de fruits (importés à 80 %), les produits transformés (importés à 50 %) ou surgelés (importés à 39 %) ont encore une forte marge de progression. Les fruits et légumes, qui représentent 16 % des ventes de produits bio, viennent de l’étranger pour un peu plus d’un tiers des volumes.
Les surgelés sont principalement commercialisés dans les supermarchés, mais, tout comme les plats préparés, ils proviennent de filières industrielles qui se fournissent encore en grande partie hors de France, ce qui pose la question de l’impact environnemental de chaînes de production qui traversent souvent plusieurs pays avant d’arriver dans notre assiette.
Les réseaux spécialisés, plus chers mais aussi avec une variété de produits plus large, se développent également. Qu’il s’agisse des enseignes historiques comme Biocoop (voir encadré page 22), La vie claire (230 magasins, dont le premier fut fondé en coopérative en 1948) ou Naturalia (groupe Monoprix), ou de nouveaux entrants, tel que Bio C Bon (46 magasins ouverts depuis 2008, surtout en région parisienne). Si ces réseaux se sont d’abord développés sur un modèle de magasin urbain de quartier, ils s’installent de plus en plus souvent sur des zones d’activité commerciales, à l’ombre des hypermarchés afin de toucher plus de clients. C’est dans ces enseignes, que ce soit des franchises (les magasins payent pour utiliser l’enseigne et accéder au catalogue de produits) ou des coopératives, que l’on trouvera la plus grande diversité de certifications attestant d’une approche plus exigeante des pratiques.
Enfin, le circuit court, soit le fait d’acheter local et en direct, est une préoccupation grandissante des consommateurs. La moitié des 25 000 producteurs certifiés bio écoulent au moins une partie de leur production sans intermédiaire. La vente à la ferme est le circuit le plus cité, puis viennent les marchés et, enfin, les Amap (voir page 27).
- 1. Les douanes ne fournissent pas de statistiques sur les produits bio importés. Tous les chiffres cités ici proviennent de l’Agence bio (www.agencebio.org), qui est le groupement d’intérêt public (pouvoirs publics, syndicats professionnels bio et Assemblée permanente des chambres d’agriculture) chargé du développement et de la promotion de l’agriculture biologique.
- 2. Il n’existe plus qu’un cahier des charges, mais les logos des deux labels sont toujours affichés côte à côte, car celui d’AB reste plus connu .