Les circuits courts, une garantie de qualité ?

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Les crises sanitaires et économiques ont remis au goût du jour les circuits courts, avec un nombre très réduit d'intermédiaires entre le producteur et l'acheteur. En se multipliant, ces circuits se diversifient.

Qui dit circuit court pense souvent Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), bio, traçabilité, faible impact environnemental et locavorisme*. Les circuits courts seraient une garantie de qualité pour la santé, l’environnement , la biodiversité, l’emploi local et le lien social. Alors, parés de toutes les vertus ? A une époque de défiance généralisée, ils rassurent. En 2010, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ils représentaient 6 % à 7 % des courses alimentaires. Mais, à l’instar du bio et du commerce équitable, lorsque leur notoriété a pris de l’ampleur, ils ne sont pas à l’abri de quelques confusions.

Un approvisionnement pas forcément local

Les circuits courts ne datent pas d’hier. Ils existent depuis l’invention du commerce ! Aux formes traditionnelles (vente à la ferme, sur les marchés ou à domicile) se sont ajoutées depuis la fin des années 1990 de nouvelles pratiques, comme les points de vente collectifs ou les Amap. Créées en 2001, les Amap sont devenues aujourd’hui le symbole par excellence des circuits courts. Leur principe : proposer aux consommateurs, dits "Amapiens", des abonnements pour une durée de trois mois à un an aux produits d’un ou plusieurs producteurs, distribués sous forme de panier une fois par semaine dans un lieu précis.

Des formes moins contraignantes sont aussi apparues. Ainsi, la plate-forme Internet La Ruche qui dit oui permet à des consommateurs de se constituer en collectifs partout en France afin de passer des commandes groupées auprès de producteurs locaux. Autre pratique : la Louve, un supermarché collaboratif géré par les consommateurs, qui doit ouvrir en 2015 dans le 18e arrondissement de Paris ; il s’inspire d’expériences similaires qui existent à l’étranger, telles que la Park Slope Food Coop1 à New York. Sans compter l’essor d’Internet : de mescarottes.com (l’équivalent du Bon coin pour les aliments), à Ecomiam.com (qui propose aux Bretons la livraison de produits surgelés en circuit court), en passant par le plus traditionnel mon-panier-bio.com, les sites Web "circuit court" se sont multipliés et le consommateur a l’embarras du choix.

A condition de ne pas se méprendre. Officiellement, depuis la définition qu’en ont donnée les pouvoirs publics en 2009, le circuit court est caractérisé par un nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur très réduit, puisque limité à un. Pas d’équivalence donc, entre circuits courts et circuits de proximité. Une banane qui a poussé à l’autre bout du monde peut être achetée en circuit court s’il n’y a qu’un intermédiaire. A l’inverse, un consommateur peut se procurer du fromage produit dans un rayon de moins de 200 kilomètres sans s’approvisionner par le biais d’un circuit court ; il suffit qu’il y ait deux intermédiaires.

Un bilan carbone à vérifier

En pratique pourtant, circuit court et production locale se recoupent souvent. Est-ce à dire que l’empreinte écologique du circuit court est moindre ? En 2013, une étude du Commissariat général au développement durable2 remettait en cause ce présupposé en soulignant le manque d’optimisation logistique des circuits courts : un véhicule utilitaire de 3,5 tonnes utilisé pour vendre ses produits au marché émet 1 000 grammes de CO2 par tonne au kilomètre alors qu’un ensemble articulé de 40 tonnes transportant des marchandises sur longue distance en émet 84.

La comparaison occulte toutefois le fait que les circuits traditionnels font aussi intervenir des véhicules légers. L’étude n’analyse pas non plus en détail les déplacements des consommateurs en circuit court, dont beaucoup, qui sont des urbains, vont au marché et à l’Amap à pied, en vélo ou en transport en commun. Enfin, elle ne tient pas compte du comportement des paysans producteurs se rendant sur les marchés et qui peuvent profiter de ce déplacement pour faire une course qu’ils auraient dû faire de toute façon.

Zoom Zoom : le Biau Jardin ou quand circuit court rime avec insertion

Le Biau Jardin est une entreprise de maraîchage biologique située à Gerzat, dans le Puy-de-Dôme. Sa particularité ? Etre une entreprise d’insertion sociale et professionnelle : parmi ses 20 salariés, 9 sont en CDD d’insertion. Avec 14 hectares de maraîchage, le Biau Jardin livre 950 paniers de légumes chaque semaine et tient une boutique de vente directe.

Le projet, qui fonctionne presque uniquement dans une logique de circuit court, permet aux salariés de se former aux méthodes agricoles biologiques, ainsi qu’à la gestion et à l’entrepreneuriat. Seul bémol : durant la basse saison, la PME, une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), peine à assurer une livraison continue. Elle se voit dans l’obligation de compléter ses paniers avec des produits venant de l’extérieur. Une démarche nécessaire, car les postes d’insertion sont permanents : la masse salariale reste donc stable, même durant les périodes creuses. Malgré tout, le Biau Jardin s’est imposé en Auvergne comme un acteur de premier plan dans la filière de l’agriculture biologique et génère aujourd’hui 1 million d’euros de chiffre d’affaires.

Les circuits courts induisent également des comportements vertueux chez les consommateurs en les incitant le plus souvent à suivre la saisonnalité des produits, essentielle pour réduire les émissions de CO2 issues de la culture sous serre. Et ils permettent la réduction des déchets de conditionnement puisque les produits sont peu ou pas emballés, à l’inverse du bio vendu en supermarché dans des emballages plastiques polluants et énergivores.

Autre confusion courante : entre bio et circuit court. 44 % des personnes interrogées dans le cadre d’une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sur les consommateurs et les circuits courts3 font cet amalgame. Or, "acheter en circuit court n’implique pas nécessairement que le produit soit bio ou de meilleure qualité", observe Yuna Chiffoleau, chercheuse à l’Inra. Dans les Amap elles-mêmes, "on estime que 75 % des paysans proposent du bio", déclare Sylvie Barrans, administratrice du Miramap, le réseau interrégional créé en 2010 et qui regroupe aujourd’hui près de 1 600 Amap.

La confusion, pourtant, s’explique : le taux de producteurs bio en circuit court est supérieur à celui en circuit long (10 % contre 2 %). Et surtout, cette confusion a des effets positifs : "Les attentes de fraîcheur et de qualité des consommateurs vis-à-vis des circuits courts sont une bonne chose,c’est incitatif pour les agriculteurs qui font souvent évoluer leurs pratiques", juge Yuna Chiffoleau. Quant à la charte des Amap, dont une nouvelle version vient d’être adoptée en mars 2014, elle exprime l’attachement des Amapiens et des producteurs aux valeurs de l’agriculture paysanne, qui favorise l’emploi social, mais aussi à l’esprit de l’agriculture bio, sans toutefois se soumettre aux principes de certification du label. "Nous favorisons une évaluation participative en coproduction", explique Didier Loufrani, administrateur du réseau Miramap.

Un impact social certain

Finalement, un des bénéfices les plus évidents des circuits courts est de permettre à des paysans indépendants de vivre de leur métier en augmentant leurs marges et de favoriser ainsi l’emploi local, tout en proposant au consommateur un produit à un prix abordable. Commercialiser en circuit court mobilise plus de main-d’oeuvre, quels que soient la taille de l’exploitation et les produits vendus, rappelle le recensement agricole de 2010 : en moyenne, ces exploitations mobilisent 2,2 unités de travail par an, contre 1,4 pour les autres exploitations4. Car il faut produire, vendre et, dans certains cas, transformer, autant d’activités gourmandes en temps de travail.

Les circuits courts permettent de tisser du lien social. "Le consommateur y retrouve le plaisir du contact ; on n’achète pas seulement un produit, mais aussi son histoire", explique Nicolas Bricas, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). "Les agriculteurs font un métier difficile, ajoute Sylvie Barrans. Ils sont souvent dans une grande incertitude et une grande solitude, et il leur faut beaucoup de courage pour ne pas vendre leurs terres. Les Amap permettent de les soutenir à la fois moralement et économiquement." L’insertion d’un exploitant dans une Amap l’incite à modifier, lorsque ce n’est pas déjà le cas, son réseau professionnel en se rapprochant de paysans qui pratiquent une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Les réseaux Amap peuvent aussi travailler avec d’autres commerçants, comme des boulangers. "C’est la notion de dissémination de l’esprit Amap, décrit Didier Loufrani. Le boulanger est rarement un boulanger-paysan, c’est le plus souvent un artisan. On passe avec lui un contrat solidaire dans lequel il s’engage à acheter de la farine bio. " La boulangerie autogérée de Montreuil, la Conquête du pain, fournit ainsi une vingtaine d’Amap du réseau francilien.

Pas de garanties de qualité

Reste la question des garanties. Certains circuits courts profitent des confusions entretenues pour s’attribuer des mérites qu’ils n’ont pas. Une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de 2012, réalisée auprès de 1 476 circuits courts, faisait état d’un taux d’anomalies de 46 %5 ; celles-ci correspondaient le plus souvent à une mauvaise connaissance par les professionnels de leurs obligations en matière d’information du consommateur sur l’origine des produits, mais aussi à l’utilisation de mentions comme "médaille d’or" ou "agriculture biologique" sans autorisation.

"Pour l’instant, les circuits courts reposent sur un principe de confiance a priori", note Yuna Chiffoleau. Mais dès que l’on sort d’une logique militante où la confiance interpersonnelle remplace le label ou la marque, les garanties sont nécessaires. Faut-il aller plus loin et imaginer une charte globale des circuits courts ? "Les commerçants détaillants y sont favorables, avance la chercheuse. Mais les producteurs, eux, redoutent une concurrence entre leurs labels et une telle charte. C’est aussi au consommateur de rester vigilant." Par exemple, pour un site Internet qui propose un circuit court, il faut se demander : quelles sont les conditions pour être référencé sur le site ? Qui est derrière ce site ? Aujourd’hui, les marques territoriales, locales ou régionales, constituent un équilibre intermédiaire entre un système de garantie national, inexistant, et l’absence totale de garantie.

* Locavorisme

Mouvement qui privilégie les produits fabriqués près de chez soi, dans un rayon de 200 kilomètres maximum.

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