Poisson cherche label

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La surpêche a pris des proportions inquiétantes, mais les certifications en matière de pêche responsable restent encore balbutiantes et controversées.

Depuis tout petit, on nous le dit : le poisson, c’est bon pour la santé ! Riche en protéines, en acides aminés, en oméga 3 et en vitamines, il est l’aliment vertueux par excellence. Le programme national de nutrition santé recommande d’ailleurs d’en manger deux fois par semaine. Et globalement, les Français respectent ce conseil : ils en consomment en moyenne chacun 34,5 kilos par an. Mais pour se nourrir de poisson aujourd’hui, on n’a guère le choix qu’entre consommer des espèces marines en voie de disparition - et contribuer ainsi à saccager les océans du fait, notamment, de méthodes de pêche intensives et peu respectueuses de l’environnement - ou consommer des poissons issus de l’aquaculture, avec ses multiples vicissitudes, dont une utilisation importante d’antibiotiques. Sérieux dilemme.

Chercher la mention "poisson de ligne"

Du côté des ressources halieutiques, la situation devient en effet de plus en plus inquiétante. Le dernier bilan de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique que 30 % des stocks mondiaux de poissons sont surexploités. En cause, des techniques de pêche particulièrement destructrices. "Si on extrapole les tendances lourdes actuelles, on peut arrêter la pêche dans le monde en 2050", alerte Philippe Cury, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste du milieu marin, en s’appuyant sur un célèbre article de Boris Worm publié dans la revue Science1. "Une des façons de contrecarrer la tendance est de faire pression sur le marché en jouant sur la consommation", poursuit le scientifique.

Or, sur les étals des poissonniers, les logos susceptibles d’aider le consommateur à s’orienter sont plutôt rares. Le fameux Label rouge, accordé à certaines pommes de terre ou volailles, est là pour attester d’une qualité supérieure. Il n’apporte cependant aucune garantie sur l’environnement. En cherchant bien, seule l’appellation "poisson de ligne" ("bar de ligne", par exemple) atteste d’une technique de pêche sélective qui ne menace pas la vie aquatique en évitant les captures d’autres poissons (les "prises accessoires") et des individus juvéniles, habituelles dans la pêche au chalut2. Le choix est un peu limité.

Un projet d’éco-label toujours dans les cartons

Pour l’instant, il n’existe pas d’éco-label public et officiel pour les produits de la pêche ou de l’aquaculture. Un projet, étudié depuis 2006 par le gouvernement français et les professionnels de la filière, est encore dans les cartons. "Dans le domaine des pêches, la réflexion sur les éco-labels est récente. C’est toujours un processus long à mettre en oeuvre. Les normes doivent donner des repères aux consommateurs sans générer de coûts trop élevés", explique Laurent Galloux, directeur international des activités "produits de la mer" de Bureau Veritas, un organisme certificateur. L’Europe s’est un temps intéressée au projet avant de l’abandonner3. Laurent Galloux se veut néanmoins confiant : "Un consensus existe aujourd’hui à tous les niveaux de la filière. "

Zoom Quid du poisson bio ?

Les poissons qui s’ébattent dans la mer vivent dans des eaux pures... ou souillées ! Une information difficile à établir. Le label bio ne peut donc s’appliquer qu’aux produits aquatiques d’élevage.

Qu’est-ce à dire ? Pour les poissons et les crustacés, nourris par le producteur, l’alimentation doit être certifiée bio et l’utilisation d’intrants pharmaceutiques limitée. En revanche, pour les coquillages, qui se nourrissent tout seuls dans le milieu naturel, aucune garantie d’alimentation n’est possible. Autrement dit, l’alimentation des moules bio ne diffère pas de celle des moules non bio.

L’initiative d’éco-labellisation est donc venue des acteurs privés. Certains distributeurs ont pris les devants, comme Carrefour, pionnier en la matière dès 2005, qui a créé un label "pêche durable/responsable". Chaque distributeur s’y est mis, en définissant ses propres critères, plus ou moins sérieux : en cela, il ne s’agit donc pas d’éco-labels au sens strict. Si le cahier des charges proposé par Carrefour était plutôt solide, les critères retenus par d’autres distributeurs sont davantage sujets à caution. Intermarché et son armement, la Scapêche, ont par exemple été épinglés par l’association Bloom pour leur label autoproclamé "pêche durable".

MSC, un label privé qui commence à émerger...

Parmi les démarches privées, seul le label MSC (pour "Marine Stewardship Council") suit les directives de la FAO4 et fait l’objet d’un contrôle indépendant par des tiers. Equivalent du label FSC pour le bois et la papeterie, le MSC est un label privé, créé en 1997 par Unilever et le WWF (Fonds mondial pour la nature).

Encore peu présent dans l’Hexagone, ce label commence néanmoins à faire son apparition dans les grandes surfaces et les magasins bio. On trouve aujourd’hui 1 200 produits référencés chez les distributeurs français, contre 5 700 en Allemagne, allant des conserves jusqu’aux boîtes pour chat, en passant par les bâtonnets surgelés. Pour les pêcheries, elles sont six à être certifiées en France. Contrairement à l’Europe du Nord, il n’y a pas encore, dans l’Hexagone, de poisson frais labellisé MSC sur les étals des poissonneries, car le processus de traçabilité n’a pas encore été adapté. Seuls les homards du Cotentin et de Jersey peuvent afficher un bracelet d’identification.

...mais qui peine à convaincre

Il n’est pas sûr cependant que le MSC arrive à s’imposer, car il suscite des critiques nombreuses. Filets congelés, poissons panés, plats préparés, même s’ils sont éco-certifiés, "restent dans un modèle de pêche industrielle qui menace les océans et leur biodiversité", rappelle François Chartier, responsable du programme océans chez Greenpeace. "Le MSC était une bonne idée, mais en cherchant à augmenter ses parts de marché, le label s’est fait prendre à son propre jeu", ajoute-t-il. En France notamment, les premiers promoteurs du label sont en effet la grande distribution et les transformateurs, qui ont trouvé dans le MSC un outil facile à utiliser à un moment où ils cherchent à donner à leurs clients des garanties sur la durabilité des produits qu’ils proposent. La marque Findus, par exemple, se veut "un soutien clé du MSC".

Des scientifiques sont eux aussi montés au créneau pour le critiquer et le réformer. Jennifer Jacquet et Daniel Pauly, deux chercheurs canadiens de renom, ont publié fin 2010, dans la revue Nature, un article reprochant au label des certifications douteuses : celle de la pêche au chalut du colin d’Alaska en mer de Béring, une espèce dont les stocks fluctuent énormément, ou de la légine antarctique, pour laquelle les scientifiques considèrent les données très insuffisantes.

Didier Gascuel, directeur du pôle halieutique d’Agrocampus Rennes et spécialiste des ressources marines, s’est lui aussi intéressé de près au label. Il a participé à une procédure de certification en tant qu’expert indépendant. "Mon expérience de l’intérieur m’invite à dire que mes collègues canadiens ont raison d’être critiques, avoue le scientifique français. Je suis surpris qu’il y ait autant de pêcheries au chalut qui soient certifiées. Cette technique a des impacts forts sur le milieu marin. Le chalut modifie l’écosystème et après quelques années, un nouvel environnement est en place. Evidemment, sur des fonds marins où il n’y a plus rien, le chalutage peut être durable... Mais il y a en plus un véritable problème de coût énergétique. Un chalut consomme entre deux et quatre litres de pétrole pour un kilo de poisson, avec les émissions de CO2 qui s’ensuivent." A ces aspects environnementaux, Didier Gascuel ajoute que "le caractère local de la production n’est pas pris en compte. On trouve le label MSC sur des poissons importés de l’autre bout du monde et cela peut créer une confusion pour les acheteurs".

Un coût non négligeable

Le logo bleu intéresse en particulier trop peu les structures de pêche artisanales, souvent moins destructrices. Mais ce schéma, classique, reflète le paradoxe d’une situation où les petites pêcheries disposent rarement de tous les documents et des études scientifiques pour pouvoir espérer être éco-labellisées. "Seules des pêcheries bien gérées et bien organisées peuvent espérer le label. Les grandes entreprises disposent des cadres et d’un staff complet pour monter les dossiers. Les groupements de petits producteurs ont plus de mal. Il y a une vraie distorsion", explique Didier Gascuel. En outre, le coût d’une certification oscille entre 10 000 et 100 000 euros, selon la taille de la pêcherie, pour l’ensemble des frais d’audit, d’expertise et de suivi.

Dans une telle situation, un label public pourrait probablement aider à corriger ce biais. Pour l’instant, la labellisation est plutôt mise en place dans des pêcheries de type industriel et qui ciblent une seule espèce en masse. La pêche artisanale, quand elle est polyvalente et exploite plusieurs espèces en petites quantités, devra trouver d’autres méthodes pour rassurer les acheteurs sur ses bonnes pratiques. Une labellisation "par bateau", imaginée un temps par les Britanniques puis par les pouvoirs publics français, a permis de sensibiliser les pêcheurs, mais elle n’a jamais réellement été un outil de communication vers le consommateur.

Avantage de ces inconvénients : contrairement à d’autres produits de consommation courante, le poisson échappe à la cacophonie engendrée par la multiplication des logos "écolos". Et malgré ses limites, le label MSC a au moins le mérite d’exister.

  • 1. "Impacts of Biodiversity Loss on Ocean Ecosystem Services", Boris Worm et alii, Science n° 5800, vol. 314, juillet 2006, pp. 787-790.
  • 2. Le chalut est un filet de grande taille, en forme d’entonnoir, tracté par bateau. Les chaluts de fonds viennent racler le sol, provoquant la destruction des habitats aquatiques.
  • 3. Bruxelles édicte les règles sur la gestion des pêcheries et l’exploitation des stocks européens (quotas...). Difficile pour la même institution de fixer les règles et de distribuer les bons points. Une pêcherie désigne un stock de poissons (unité biologique) et l’ensemble des outils de production qui exploitent ce stock (unité économique).
  • 4. A destination des Etats, le Code de conduite pour une pêche responsable a été édicté par la FAO en 1995.

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