Des monnaies alternatives pour transformer la société

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Depuis les années 1980, plusieurs projets de monnaies locales, sociales et complémentaires ont émergé, avec l'objectif de servir des projets citoyens.

Permettre le développement d’échanges au sein de communautés locales selon une autre logique que celle purement marchande : nées au Canada au début des années 1980, les monnaies sociales et complémentaires - les MSC pour les initiés - ont essaimé depuis dans le monde entier et en Europe en particulier. Par-delà leur grande variété, elles ont toutes été conçues pour répondre à des besoins non satisfaits par l’économie standard. Trois principalement : le renforcement de l’entraide et de la solidarité, le soutien au développement territorial et la valorisation d’éco-comportements.

Une première génération regroupe des monnaies de "crédit mutuel" comme les Lets (local exchange trading systems), les Sel (systèmes d’échange local) et les banques de temps. Ces dispositifs cherchent à renforcer la cohésion sociale et à lutter contre l’exclusion par la création de nouvelles formes de solidarité et d’entraide. Citons pour exemple les Accorderies, qui se sont d’abord développées au Québec au début des années 2000, puis en France à partir de 2011. Une Accorderie est une banque de temps permettant à ses membres d’échanger des services sur la base du temps consacré à leur prestation (suivant le principe une heure = une heure, quel que soit le service rendu). Certaines Accorderies développent aussi des services collectifs (crédit solidaire, groupement d’achats).

Aider les territoires

En se limitant à un espace de circulation géographiquement défini, un autre type de monnaie locale cherche à favoriser la consommation de produits et de services locaux. Il s’agit d’aider les territoires à mieux valoriser leurs potentiels en (re)localisant l’échange entre les acteurs économiques et citoyens. Pour cela, elles privilégient l’usage des revenus tirés d’une production locale par la création d’un circuit autonome. Ces monnaies s’efforcent ainsi de rééquilibrer les rapports de force entre grandes entreprises déterritorialisées et entrepreneuriat local (artisans, PME, commerces de proximité, producteurs locaux).

Cette génération de monnaies locales, qui a démarré avec l’Ithaca Hour aux Etats-Unis en 1991, connaît un second souffle depuis le début des années 2000 avec le Regiogeld en Allemagne et les banques communautaires sur le modèle du Banco Palmas au Brésil. Ce n’est que dans la seconde moitié des années 2000 qu’elle apparaît au Royaume-Uni avec les monnaies locales de quelques "villes en transition"1, puis en France, au tout début de 2010 (l’occitan à Pézenas et l’abeille à Villeneuve-sur-Lot).

La France connaît une vogue de projets monétaires locaux depuis le début des années 2010. Une vingtaine d’expériences ont été lancées, parmi lesquelles le Sol-Violette à Toulouse ou encore l’Eusko au pays Basque. Au moins autant étaient en cours de création début 2015. L’Eusko est un des dispositifs les plus dynamiques : il totalise environ 2 300 membres et 550 prestataires pour une masse monétaire de 343 000 euros2. Il existe aujourd’hui autour de 200 monnaies de ce type dans le monde, dont une moitié au Brésil et un tiers en Europe.

Par rapport aux monnaies de "crédit mutuel", ces modèles se veulent plus efficaces dans leur gestion et leur impact économique. Dans ce cadre, des partenariats avec des banques ou des collectivités locales peuvent être déterminants. Avec pour objectifs, d’une part, de renforcer la crédibilité du dispositif à travers une forme de garantie institutionnelle et, d’autre part, de faire en sorte que les taxes et les impôts locaux ainsi que certains services publics (transport, culture, etc.) puissent être réglés en monnaie locale.

Favoriser les éco-comportements

Les monnaies complémentaires peuvent enfin favoriser ou valoriser les éco-comportements : protection de l’environnement, covoiturage, économies d’énergie, recyclage des déchets, entraide... Cela permet de comptabiliser comme des richesses des activités sources de bien-être collectif. Et donc de créer une incitation positive à des comportements écologiques.

L’Eco-Iris, monnaie développée entre 2012 et 2015 dans cinq communes bruxelloises à l’initiative de Bruxelles Environnement (l’administration de l’environnement et de l’énergie de la région Bruxelles-Capitale), est un exemple de cette démarche. Mais l’expérience, qui a finalement été abandonnée, illustre aussi la fragilité des monnaies locales. Pour obtenir des Eco-Iris, les citoyens devaient réaliser des éco-gestes comme utiliser les transports en commun, réduire leur facture d’énergie ou leur consommation d’eau, participer à un compost/jardin collectif, "verdir" une façade ou un toit, acheter un vélo, pratiquer le covoiturage, etc. Ils pouvaient ensuite dépenser leurs Eco-Iris en achetant des produits ou des services auprès de commerces partenaires (alimentation, santé, bricolage, décoration, etc.).

Peu nombreux

Dans l’ensemble, ces systèmes restent peu nombreux car très lourds en termes financier et d’ingénierie. Et les monnaies sociales et complémentaires sont aujourd’hui confrontées à de nombreux défis. L’un d’eux est de s’insérer dans une stratégie de développement territorial. Car leur effet de levier s’accroît lorsque ces monnaies sont combinées avec les logiques et les outils de l’économie sociale et solidaire (microcrédit, groupements d’achats, épiceries sociales, finance solidaire, pôles territoriaux de coopération économique, etc.) ou avec des politiques de transition écologique (incitation aux comportements éco-responsables, revenu inconditionnel*).

Mais en amont, l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes est cruciale, pour autant que ces dernières se placent dans une perspective transformatrice : il s’agit bien de définir collectivement un nouveau cadre de valeurs et de mettre en oeuvre un nouveau modèle de développement autour desquels construire des relations économiques et sociales.

  • 1. Ces villes se sont engagées dans une démarche de transformation économique et sociale face aux changements climatiques et à la baisse de la production pétrolière, à travers la relocalisation d’activités liées à l’énergie, à l’agriculture, à la santé, etc.
  • 2. Pour un territoire comptant plus de 200 000 habitants, cela reste cependant peu.
* Revenu inconditionnel

également appelé revenu de base ou revenu universel, il vise à verser sans condition ni contrepartie à tous les membres d'une communauté politique donnée un revenu d'un montant suffisant pour pouvoir être à l'abri de la pauvreté, accéder aux biens et aux services jugés essentiels et se passer durablement d'emploi.

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