Une bonne affaire pour l’environnement ?

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Acheter un lave-linge d'occasion, louer une tondeuse ou partager sa voiture sont des pratiques vantées pour leurs vertus écologiques. Un impact pas si évident.

L’achat d’une machine à laver d’occasion sur Le Bon Coin, la location d’une tondeuse sur zilok.com, le partage d’un trajet en voiture via le site de covoiturage BlaBlaCar sont autant de pratiques qui, à première vue, s’inscrivent dans une démarche respectueuse de l’environnement. En permettant la réutilisation d’un bien ou sa mutualisation, l’économie collaborative contribue a priori à la transition écologique. Selon l’Ademe, en effet, en 2011, 40 % des congélateurs et réfrigérateurs ont été remplacés alors qu’ils étaient encore en état de fonctionner, quand 25 % des lave-vaisselle et 14 % des lave-linge ont connu le même sort1. Quant à la durée technique d’un téléphone portable, elle est estimée à plus d’une dizaine d’années, mais les Français en changent en moyenne tous les 2,5 ans.

Vers l’hyperconsommation ?

Avec l’économie collaborative, la durée d’usage du bien augmente, son utilisation est donc maximisée. Au final, pour un même niveau de service, cette économie ne permet-elle pas de produire moins et de réduire tout à la fois les prélèvements de ressources, les déchets associés à la production et la quantité finale de déchets ? Une aubaine dans des sociétés qui voient s’étioler le paradigme de la croissance et sont confrontées en particulier au défi du réchauffement climatique. Pourtant, "ce bilan environnemental est en réalité moins évident qu’il n’y paraît", indique l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) dans une note sur le sujet2.

Les pratiques de réemploi en 2012, en %

N. B. : les déclarants ont répondu à la question : "Si vous avez délaissé un de ces objets ces six derniers mois, qu’en avez-vous fait ?" Pour chaque type de bien, la somme des colonnes peut être supérieure à 100 %, car les déclarants peuvent avoir délaissé plusieurs biens de même nature ces six derniers mois.

Les pratiques de réemploi en 2012, en %

N. B. : les déclarants ont répondu à la question : "Si vous avez délaissé un de ces objets ces six derniers mois, qu’en avez-vous fait ?" Pour chaque type de bien, la somme des colonnes peut être supérieure à 100 %, car les déclarants peuvent avoir délaissé plusieurs biens de même nature ces six derniers mois.

Répartition des appareils remplacés selon leur état lors de ce remplacement en 2011, en %

L’économie collaborative ne signifie en effet pas nécessairement une moindre consommation globale : l’argent économisé en faisant le choix du covoiturage peut être utilisé pour un voyage en avion en Indonésie... On parle alors d’"effet rebond".

Certaines entreprises en ont d’ailleurs fait un argument de vente, à l’instar de Vodafone. Le programme de location longue durée de téléphones que la société propose est en effet couplé à une offre permettant de changer de téléphone tous les ans, soit deux fois plus vite que le rythme moyen actuel. Quant à Airbnb et ses équivalents, ces pratiques permettent certes une utilisation plus intensive du capital immobilier sur une aire géographique donnée, limitant ainsi le besoin de constructions nouvelles, mais cela abaisse aussi le coût des voyages à longue distance, très émetteurs de gaz à effet de serre, contribuant alors indirectement à leur développement. Les pratiques de l’économie collaborative qui reposent sur le don plutôt que sur la revente échappent cependant à cette critique : on n’économise pas en donnant.

Autre question, celle de la durabilité des produits mutualisés ou remis sur le marché, la durabilité étant entendue à la fois au sens d’allongement de la durée de vie, mais aussi de recyclabilité et de recyclage effectif. Ainsi, l’auto-partage implique, pour être durable, que la voiture ne s’use pas plus vite lorsqu’elle est plus utilisée. C’est le cas d’Autolib’, le système d’auto-partage parisien, pour lequel les constructeurs des véhicules ont pris en compte cette dimension en choisissant notamment des matériaux plus résistants.

Par ailleurs, selon l’Ademe3, ce choix de transport fait baisser le nombre de kilomètres parcourus en voiture de près de 50 %, l’auto-partage venant souvent en complément des transports en commun. Quant aux covoitureurs, chacun d’eux économiserait en moyenne une tonne de CO2 par an4, selon une étude d’Atema Conseil pour l’Ademe : les trois quarts auraient en effet opté pour une voiture individuelle en l’absence de covoiturage, tandis qu’un quart seulement aurait choisi les transports en commun.

Tout est affaire de seuil

Pourtant, à long terme, ces pratiques ont des effets ambivalents : l’efficacité du covoiturage peut inciter les pouvoirs publics à construire moins de lignes de transport en commun. Et l’utilisation de la voiture reste polluante. Par ailleurs, en allongeant la durée de vie d’un produit, on peut aussi ralentir la diffusion de progrès technologiques qui permettent de diminuer la consommation énergétique. Or pour certains produits, comme les réfrigérateurs, les gains entre générations de produits peuvent être considérables.

L’économie du partage implique aussi souvent de transporter les biens échangés. Certains échanges reposent sur la proximité, comme la location d’une machine à raclette ou le covoiturage. Mais ce n’est pas forcément le cas de la revente sur Internet, via eBay par exemple : comme pour un produit neuf, celui revendu doit parfois parcourir beaucoup de kilomètres pour rejoindre son nouveau propriétaire. Là encore, tout est affaire de seuil : si l’on multiplie les achats d’occasion de biens venant des quatre coins du monde, l’effet environnemental positif n’est plus si évident.

Enfin, l’utilisation d’Internet, qui permet la mise en relation entre usagers, est en elle-même très consommatrice d’énergie : lancer une recherche dans Google ou envoyer un mail sont, contrairement à ce qu’on peut penser, des pratiques qui ne sont pas neutres sur le plan environnemental : selon Alex Wissner-Gross, physicien à l’université de Harvard, une requête Google génère 7 g d’émissions de CO2. Deux recherches émettent autant que le fait de faire chauffer de l’eau dans une bouilloire électrique pour un thé ! Les plates-formes d’échange mobilisent par ailleurs elles-mêmes des centres de données très gourmands en énergie : en 2013, ils représentaient à l’échelle mondiale 1,5 % de la consommation électrique, soit l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires5.

Autrement dit, l’économie collaborative n’est vraiment une bonne chose pour l’environnement que si un certain nombre de conditions sont réunies.

  • 1. Selon une étude TNS Sofres et Gifam. Voir "Etude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques", Ademe, 2012.
  • 2. "Economie du partage : enjeux et opportunités pour la transition écologique", Iddri, juillet 2014.
  • 3. Voir "L’autopartage en trace directe : quelle alternative à la voiture particulière ?", Ademe, 2014.
  • 4. Voir "Caractérisation de services et usages de covoiturage en France : quels impacts sur l’environnement, quelles perspectives d’amélioration ?", Atema Conseil pour l’Ademe, 2010.
  • 5. Voir La face cachée du numérique, par Fabrice Flipo, Michelle Dobré et Marion Michot, L’Echappée, 2013.

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