Le jeu des cinq familles

Cela ne s’invente pas. Le premier économiste s’appelle Adam. Serait-ce que Dieu a veillé à la venue au monde des économistes ? Quoi qu’il en soit, Adam (prononcer "adame" si l’on veut être accepté dans la tribu des économistes) Smith, écossais et professeur de morale de son état (cela ne s’invente pas non plus), publie en 1776 ce qui est considéré aujourd’hui comme l’acte de naissance de l’analyse économique, Recherche sur les causes et la nature de la richesse des nations, généralement abrégé en La richesse des nations.

Certes, on peut chipoter, et chez les économistes, on chipote souvent. Avant Smith, on ne compte pas les auteurs qui se sont plus ou moins piqués d’économie. Depuis Aristote (qui s’intéressait notamment au juste prix) jusqu’à Quesnay, médecin de la cour de Louis XV et fondateur d’un courant de pensée appelé "physiocratie", qui influença notamment Turgot et dont on s’accorde à penser qu’il a été l’inventeur du circuit économique, c’est-à-dire de l’analyse expliquant comment naissent puis circulent les revenus dans une économie nationale. Sans oublier Isaac Newton qui, avant de s’intéresser à la physique et de découvrir l’attraction universelle, se passionnait pour les questions monétaires, ou Richard Cantillon qui, au début du XVIIIe siècle, insista sur le rôle de l’entrepreneur et du mécanisme des prix.

Les historiens de la pensée économique ont fait leur miel de tous ces brillants esprits, plus ou moins précurseurs de certains grands économistes. Mais aucun ne peut être considéré comme le fondateur de l’analyse économique. Tout simplement parce que l’économie de marché ne jouait qu’un rôle mineur dans la société avant Smith. Les échanges étaient corsetés par une infinité de règles, de barrières ou de passe-droits. Les prix résultaient davantage de décisions publiques ou corporatistes que du marché. Et l’essentiel de la production était destiné à l’autoconsommation ou livré à titre de redevances aux propriétaires du sol, seigneurs ou clergé. Seuls quelques originaux s’intéressaient alors aux questions économiques, un peu comme d’autres, aujourd’hui, collectionnent les couvercles de camembert ou cultivent des variétés de pommiers en voie de disparition.