Entretien

Trois questions à Bernard Pinaud : "De nouvelles alliances se construisent"

3 min
Bernard Pinaud délégué général du Centre de recherche et d'information sur le développement (Crid)

Le mouvement altermondialiste est-il en voie d’essouflement ?

Pas du tout. Ce sont les médias qui s’essoufflent. Les participants aux forums sociaux, qui d’ailleurs se renouvellent, n’ont pas du tout de sentiment d’essoufflement. Un forum social marocain vient de se tenir avec un vif succès, même chose au Chili. Et le forum social mondial de Mumbaï l’an passé, a eu une réelle résonance dans la société indienne. Mais il est probable que ceux qui, parmi les altermondialistes, souhaiteraient que la dynamique du forum social mondial se transforme en un mouvement plus structuré, estiment que celle-ci patine... Or, un tel projet risquerait justement de casser cette dynamique.

Pourquoi ?

Le débat porte sur la finalité que l’on donne au mouvement altermondialiste. A mes yeux, il s’agit d’une mouvance plutôt que d’un mouvement au sens strict, organisationnel, du terme. Et cette mouvance est à géométrie variable. Lors de la contestation du G8 à Annemasse, c’était d’abord des jeunes qui s’étaient rassemblés, le public du forum social européen de Saint-Denis était assez différent. Et s’il n’est pas gênant que les partis défilent avec nous contre la guerre en Irak, dans d’autres cas, quand il s’agit de dialoguer entre acteurs de la société civile, leur présence me gêne. En fait, le mouvement se construit en avançant: la grande campagne internationale Action mondiale contre la pauvreté sur les "objectifs du millénaire pour le développement" que nous allons lancer cette année à Porto Alegre nous permet de réunir, en France, des ONG, des congrégations, des syndicats de salariés comme la CGT, la CFDT et le G10 Solidaires sur la base d’un programme qui inclut l’annulation de la dette, une augmentation de l’aide, l’instauration de taxes globales et la lutte contre les Paradis fiscaux...

Des alliances pas toujours faciles à construire...

Les acteurs qui se rassemblent dans les forums sociaux sont très divers. Le Mouvement des sans-terre brésilien, qui compte plus de dix militants assassinés chaque année, est nécessairement plus radical qu’Oxfam. Les cultures sont également différentes entre les mouvements latins d’une part, qui veulent redonner à l’Etat un rôle régulateur et ont souvent une vision globale du changement social à construire et les mouvements d’Europe du nord et anglo-saxons d’autre part, parfois plus soucieux de donner de l’autonomie aux populations pauvres, selon une logique de contre-pouvoir. Enfin, sur le plan politique, les "réformistes" s’opposent aux "révolutionnaires". Ces courants se rencontrant souvent dans les mêmes organisations avec toutes sortes de nuances... Mais cela n’empêche pas, face aux problèmes globaux auxquels nous sommes confrontés, de bâtir des alliances. Ainsi, sur la question de la dette, nous avons été rejoints par les syndicats de salariés regroupés au sein de la CES (Confédération européenne des syndicats), parce qu’ils sont eux-mêmes interpellés par les syndicats de salariés africains. Autre exemple : l’alliance qui s’est nouée entre la Confédération paysanne et certaines organisations de solidarité comme le CCFD et Artisans du monde sur les questions agricoles. Ou encore le rapprochement entre la FIDH, Greenpeace et de nombreuses ONG en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

Propos recueillis par Philippe Frémeaux

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