Altermondialisme : globalement positif

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Face aux multiples problèmes de la planète, le mouvement altermondialiste s'est imposé parce qu'il est une force nécessaire. Il doit maintenant gérer son succès.

L’émergence du mouvement altermondialiste, au début de la dernière décennie, est apparue comme une divine surprise. Au moment où la chute du mur de Berlin - bonne nouvelle - semblait signifier la victoire finale du capitalisme, par abandon de l’adversaire, le terrain était vierge pour qu’une nouvelle force affirme qu’un "autre monde était possible ". Face aux dérèglements d’une économie mondialisée, au développement de la pauvreté, duchômage et de la crise écologique, la planète avait besoin de retrouver le goût de l’avenir.

Le mouvement altermondialiste a, en partie, répondu à cette attente, dans un contexte où partis et syndicats traditionnels se révélaient incapables d’endiguer les problèmes auxquels nous étions confrontés. Du global au local.

Près de six ans après les manifestations fondatrices de Seattle, quatre années après le premier Forum social mondial de Porto Alegre, le bilan peut sembler décevant. Le monde n’a pas réellement changé : la pauvreté est toujours là, les multinationales et l’hégémonie américaine structurent plus que jamais l’économie et la politique mondiales, la crise écologique est toujours devant nous. Mais on aurait tort d’en rester là. Le succès des forums sociaux mondiaux, et de leurs déclinaisons régionales ou locales, est une avancée incontestable. En réunissant en un même lieu, tous les acteurs qui, chacun de leur côté, oeuvraient à un monde plus humain, les organisateurs leur ont fait découvrir -ainsi qu’aux médias- qu’ils participaient d’un même mouvement. "Nous avons montré que nous étions capables de discuter ensemble, d’être ouverts, d’être globaux et de l’être sur la durée, constate Yannick Jadot, directeur des campagnes de Greenpeace. Et si, pour certains, le mouvement semble s’essouffler, c’est parce que cette phase est acquise."

De fait, en quelques années à peine, l’acquis est considérable. D’abord sur le plan de la géographie. Alors que l’initiative du FSM était largement "latine", le mouvement s’est étendu au monde anglo-saxon et a gagné l’Afrique et l’Asie, comme l’a illustré le succès de la réunion de Mumbaï en 2003. S’il ne faut pas mythifier cette extension et l’impact des altermondialistes dans l’opinion -très différent d’un pays et d’une région à l’autre-, le mouvement est, à l’évidence, devenu plus global aujourd’hui.

Ensuite, il a progressé dans sa compétence, son expertise. On l’a vu lors de la dernière conférence de l’OMC, à Cancun, où les ONG ont aidé certains Etats du Sud à mieux formuler leurs revendications face aux représentants des pays riches. Enfin, la logique d’échange, de travail en réseau, sur laquelle le mouvement fonctionne, a permis à des organisations aux cultures différentes de mieux se comprendre et de s’inffluencer mutuellemnt. Du coup, leurs militants ont pris conscience que leur cause s’inscrivait dans un cadre plus large. De quoi mieux penser ses revendications, pour qu’elles soient portées par de plus larges alliances,condition de leur succès.

La question du programme

Reste le reproche constamment ânonné par les médias : " Vous dénoncez, mais qu’est-ce que vous proposez ? ". D’abord, dénoncer, c’est, en creux, déjà proposer. Ensuite, pour qui veut chercher, on trouve, en fait, un programme réformiste qui reprend les revendications tiers-mondistes de meilleure répartition des richesses au niveau international (annulation de la dette, accès aux médicaments, par exemple) modernisées au vu des dégâts du modèle néolibéral (défense de taxes globales, lutte contre les Paradis fiscaux). Au niveau plus local, on retrouve la volonté de redonner au politique -comme expression démocratique de la volonté collective-, la mission d’encadrer l’économie : défense d’une protection sociale solidaire et des services collectifs. Enfin, un large consensus existe pour agir en faveur d’une autre croissance. Tout cela constitue bien un programme politique clair, une manière de social-démocratie adaptée aux exigences de notre temps. Reste maintenant à avancer dans la réalisation de cet agenda. Et c’est là que les divisions du mouvement se révèlent. Exemple : le devenir des forums sociaux. La formule commence à vieillir, chacun le reconnaît. La juxtaposition de mouvements ne suffit pas à engendrer le dialogue, comme le notait, aux lendemains du FSE (Forum social européen) de Londres, Jacques Nikonoff, le président d’Attac, dans un récit humoristique où il décrivait la lutte des différents intervenants pour accéder... au micro. Mais comment sortir par le haut?

La difficulté, comme l’explique Dominique Plihon, président du conseil scientifique d’Attac (lire page 9), est de réussir à formuler, sinon un programme, ce qui n’aurait pas de sens, du moins quelques revendications précises allant plus loin que la charte de Porto Alegre, dont les principes demeurent très généraux. La démarche est à manier avec précaution, car les différentes composantes du mouvement ne partagent pas la même vision du monde... Le risque est, en fermant le jeu, de casser sa dynamique, comme le redoute Bernard Pinaud, délégué général du Crid1 (lire page 8).

En fait, la plupart des composantes du mouvement, qui s’inscrivent dans une logique de contre-pouvoir, voient désormais dans les FSM une opportunité pour organiser des alliances et faire avancer des campagnes d’information et d’action. A leurs yeux, sortir par le haut, "c’est réussir à formuler des propositions positives, pour aller au-delà de rassemblements réalisés sur une base "anti" (anti-guerre, anti-OMC, anti-OGM...)", explique Yannick Jadot. Ce qui est évidemment plus compliqué mais convient à toutes les organisations qui défendent une cause particulière (environnement, droits de l’homme, solidarité internationale).

Face à cette ligne du contre-pouvoir, on trouve ceux qui n’ont pas fait leur deuil d’une intervention plus directe dans le champ politique, au sens étroit du terme. Souvent déçus des partis existants, ou soucieux de leur donner une nouvelle jeunesse, ils pensent que le mouvement a vocation à devenir, à terme, une organisation politique à part entière. Ces divisions, qui opposent les organisations, existent aussi en leur sein. On le voit bien avec Attac : aux élections européennes du printemps dernier, une partie de l’association était prête à soutenir des listes se revendiquant de l’altermondialisme, tandis que d’autres s’y opposaient violemment, soit parce qu’ils redoutaient la concurrence avec les organisations politiques dont ils se sentaient proches,2 soit parce qu’ils pensaient que le mouvement avait tout à perdre en se posant en concurrent des partis existants.

Crise de croissance

Le débat sur le rapport au politique se double d’un débat sur la vision du monde. Et, là encore, le besoin de clarification est net. Le mouvement enracine son histoire dans quelques mythes fondateurs : le retrait du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement, l’échec des conférences de l’OMC de Seattle. Ces succès s’expliquent, en partie, par l’action des altermondialistes mais tiennent aussi aux contradictions entre puissances. Exemple, l’échec, en septembre 2003, de la conférence de l’OMC à Cancun, qui a d’abord tenu à l’alliance entre le Brésil, la Chine et l’Inde. Si ce nouvel axe a pu apParaître comme un contrepoids heureux au pouvoir des Etats-Unis et de l’Union européenne, il est loin de converger avec les objectifs des altermondialistes sur de nombreux points, notamment en matière agricole, où le Brésil défend une position libre-échangiste favorable à son secteur agro-exportateur.

Or, l’unité du mouvement se réalise encore trop souvent sur une vision du monde opposant les intérêts indifférenciés des "peuples" aux tenants du néolibéralisme et/ou de l’hégémonie américaine, source de tous les maux de la planète. Ce qui, parfois, ferme le champ de la réflexion : face à la crise du Darfour, au terrorisme, à la crise de la protection sociale, cette vision peine, et chacun le sent bien, à rendre compte de la complexité des situations.

Des divisions historiques

Le rapport à la démocratie est aussi ambigu. La critique radicale de la démocratie représentative, captive des élites, n’est pas sans rappeler la disqualification de la démocratie bourgeoise par le communisme d’hier. Comme si une société enfin réconciliée avec elle-même pouvait naître demain du dialogue sympathique et festif qui règne dans les forums sociaux, comme si la démocratie participative pouvait décider de tout. Or, si la démocratie représentative est en crise -une crise se nourrissant de la montée des inégalités sociales produites par le néolibéralisme-, elle est un bien à défendre plutôt qu’à enterrer.

Ces clivages, qui ne font en fait que refléter les divisions historiques de la gauche, sont-ils inquiétants? Pas vraiment. Au-delà des querelles, l’existence même du mouvement altermondialiste, envoie un signal positif à l’opinion mondiale. Mohamed El-Sayed Saïd, journaliste égyptien, explique ainsi que l’essor du mouvement anti-guerre dans les pays occidentaux est un des facteurs majeurs qui a évité le basculement général de l’opinion arabe dans une vision de l’intervention américaine en Irak comme un "choc des civilisations" à la Huntington3.

De même, en affirmant la possibilité d’une économie non dévoreuse de ressources, le mouvement contribue à écarter l’idée que l’accès au bien-être s’inscrirait dans une logique de jeu à somme nulle où tout ce qui est gagné par certains serait nécessairement perdu par d’autres.

Dans cette perspective, le mouvement contribue à forger une conscience mondiale, soucieuse d’une gestion non conflictuelle des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Face à la puissance américaine, face à l’émergence de nouvelles puissances au Sud, cette expression autonome de la société, malgré ses contradictions, est plus nécessaire que jamais.

Trois questions à Bernard Pinaud : "De nouvelles alliances se construisent"

Trois questions à Dominique Plihon : "Nous voulons être un contre-pouvoir positif"

Trois questions à Jean-François Trogrlic : "La mondialisation a rattrapé les syndicats"

  • 1. Le centre de recherche et d’information pour le développement regroupe 47 associations françaises de solidarité internationale.
  • 2. L’appellation de ces listes "100% altermondialistes" n’étant pas sans rappeler celle des listes trotskystes de la LCR qui se veulent "100% à gauche".
  • 3. "Global Civil Society 2004/2005", Sage publications, wwwpub.co.uk/Bookhome.aspx

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