Entretien

Alfred Tovias : « Israël doit adhérer à l’Union »

3 min
Alfred Tovias professeur à la Hebrew University de Jérusalem où il est titulaire de la chaire Jean-Monnet

"Israël a-t-il encore sa place au sein du Partenariat euro-méditerranéen ? Chypre et Malte sont entrées dans l’Union en mai dernier. La Turquie va négocier son adhésion. L’Etat hébreu reste le seul partenaire non arabe de l’Europe au sein du processus de Barcelone. Cette exception ne fait que confirmer un constat évident dès le lancement du Partenariat il y a dix ans : celui-ci a été conçu par l’Europe pour appuyer le développement des pays du Maghreb et du Proche-Orient. Or, sur le plan économique, Israël est un pays plus proche des membres de l’OCDE que de ses voisins. Son PNB par tête d’habitant est équivalent à celui de l’Espagne. Et l’Union est son partenaire économique naturel.

L’intégration d’Israël dans le Partenariat en 1995 était justifiée par des raisons politiques plus qu’économiques. Les accords d’Oslo avaient été signés deux ans plus tôt. Une partie des Européens et de la gauche israélienne rêvait d’un nouveau Moyen-Orient fondé sur un marché unique réunissant l’Etat hébreu et ses voisins. Ce projet ne Paraissait guère envisageable dans la pratique, car un tel marché impliquait à terme la libre circulation des hommes. Or, Israël n’est pas prêt à accepter que la main-d’oeuvre arabe puisse s’installer en masse sur son territoire, hypothèse vraisemblable au vu des différences colossales de revenus entre Israël et ses voisins. Aujourd’hui, le processus de paix est, au moins provisoirement, bloqué. Et même si la Syrie, le Liban et Israël siègent côte à côte dans le Partenariat, cela n’a aucune influence sur le conflit.

Concessions politiques

Dans ce contexte, afin de peser sur la politique de l’Etat hébreu, l’Union est parfois tentée de suspendre l’accord d’association signé avec Israël en 1995. Ce serait inefficace et contraire aux intérêts européens. D’abord, les marges de préférence douanière dont bénéficient les exportations de l’Etat hébreu en vertu de cet accord ne sont pas avantageuses au point de le contraindre à faire des concessions politiques. Ensuite, une suspension de l’accord provoquerait une réaction hostile de l’opinion publique israélienne et la pousserait davantage vers les Etats-Unis. Enfin, en termes absolus (nombre d’empois supprimés, par exemple), l’Europe souffrirait plus qu’Israël des effets d’une telle décision. L’Union bénéficie en effet d’un excédent commercial important, de 5 à 8 milliards d’euros selon les années, dans ses échanges avec l’Etat hébreu. Sur le plan économique, Israël aurait davantage sa place dans l’Espace économique européen, un accord réciproque de libre-échange de biens, services et facteurs de production qui associe l’Union à la Norvège, l’Islande et au Liechtenstein que dans le Partenariat euro-méditerranéen. Mais son intégration dans cet espace ne donnerait pas à l’Union plus de poids sur lui, le levier économique étant insuffisant. Si l’Europe voulait obtenir des concessions politiques d’Israël, l’évacuation des colonies de Cisjordanie par exemple, il faudrait qu’elle lui propose une éventuelle adhésion à l’Union. Cette proposition peut Paraître audacieuse en plein débat sur les frontières de l’Europe. Mais après tout, Chypre appartient à l’Asie et la Turquie -dont l’essentiel du territoire se trouve au-delà du Bosphore- se prépare à entrer dans l’Union. Au-delà des considérations géographiques, seule la perspective d’une entrée du pays dans l’Union pourrait faire pencher ceux qui, dans l’opinion israélienne, refusent tout retrait significatif de la rive occidentale du Jourdain et un démantèlement des colonies. Une telle adhésion poserait de gros problèmes à Israël, notamment en ce qui concerne les rapports entre la religion et l’Etat. Mais il est vraisemblable, qu’à l’image des nouveaux pays membres et de la Turquie, les Israéliens consentiraient à des changements politiques significatifs au vu des avantages qu’une adhésion à l’Union comporte."

Propos recueillis par Yann Mens

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