Romans, ville ouverte

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Palestine, Maroc, Arménie: les actions de solidarité des Romanais se multiplient. Importante socialement, la coopération décentralisée a des effets politiques. Qui doivent être contrôlés.

Un mur couvert de messages de paix entre les peuples, des débats, des films, un défilé festif... Romans-sur-Isère, petite ville drômoise de 33000 habitants, organisait, au printemps dernier sa première biennale de l’international. Objectif : donner une plus grande visibilité aux liens qu’elle a su tisser avec les villes étrangères et inviter les Romanais à lancer leurs propres initiatives. Un événement qui s’inscrit dans la droite ligne de sa politique de coopération. Car si nos villes, départements et régions s’investissent de plus en plus dans l’action internationale, la tendance générale reste aux échanges entre élus et institutions municipales. Rares sont les collectivités territoriales qui, à l’instar de Romans, tentent d’impliquer leur population.

Pour gérer ses relations internationales, la ville a créé un service spécialisé : la Mission des affaires européennes et internationales (Maei). A Taroudant au Maroc, elle a soutenu la création d’une bibliothèque municipale. A El Jem, ville tunisienne célèbre pour son amphithéâtre du IIe siècle, elle a participé à la reconstitution d’une villa romaine et formé des techniciens capables d’animer des festivals de musique. A Vardenis, en Arménie, une ville montagnarde comme Romans, dont 85% des habitants sont chômeurs, elle a appuyé le développement de la production fromagère. A Beit Sahour, en Palestine, elle épaule une association tournée vers le tourisme alternatif... Des partenariats qui représentent un peu plus de 0,5% du budget municipal.

Zoom Repères : mode d’emploi

Depuis 1992, date à laquelle les collectivités territoriales y ont été autorisées, toutes les régions françaises, 80% des départements et 80% des communes de plus de 5000 habitants se sont lancés dans des programmes de coopération décentralisée, qui ne se limitent pas à l’aide au développement. La majorité des liens sont en effet établis avec

des communes de "l’ex Europe des Quinze" et concernent des échanges économiques et culturels. Ces partenariats avec les "anciens" ou "toujours" candidats à l’UE vont s’intensifiant. Du côté des actions de solidarité, l’Afrique reste le continent privilégié. Les sommes engagées par les collectivités locales pour l’aide au développement sont modestes : 40, 54 millions d’euros prévus pour 2005. (En 2003, l’aide publique de la France -hors TOM- s’élevait à 6,420 milliards d’euros).

"Notre avenir au Nord est inextricablement lié à celui du Sud", martèle Henri Bertholet, le député-maire (PS) de Romans. Un message qui passera d’autant mieux auprès de ses concitoyens qu’ils seront engagés dans la politique de la ville. "La coopération décentralisée, poursuit-il, est un excellent outil d’éducation au développement. Elle favorise une meilleure connaissance de l’autre et de la réalité de ses besoins." La Maei travaille ainsi en cheville avec un large réseau : associations de solidarité internationale, services techniques de la ville, lycée horticole, chantiers de jeunes, organisme de formation, médiathèque, troupe de théâtre... "Au sein de notre ONG, les idées sur l’aide au développement ont mûri, se félicite Bernard Cakici, président de l’Amicale des Arméniens de Romans. Notre familiarité avec la culture arménienne est un atout, mais cela ne suffit pas. Nous ne pouvons pas, par exemple, nous improviser maître d’oeuvre pour la construction d’une maternité à Vardenis, et il est plus efficace de travailler de concert avec différentes associations romanaises ou d’ailleurs." La multiplication des échanges permet aux associations d’affiner leurs démarches et de se recentrer sur leurs compétences propres. Et à l’éparpillement des actions, du temps où les ONG oeuvraient chacune dans leur coin, se substitue peu à peu une complémentarité facilitant les projets transversaux. Les associations profitent en outre de l’appui de la mairie pour leurs besoins de communication, leurs demandes de subventions (Affaires étrangères, Union européenne) ou pour renforcer leurs relations avec ces institutions.

Soutenu par la Maei, un collectif lançait ainsi en 2002, une opération de solidarité avec Beit Sahour. Pour protester contre l’avancée des colonies, Romanais et Palestiniens ont planté 1000 oliviers à la sortie de la ville. "Beaucoup de gens ont découvert la Palestine à ce moment là témoigne Elie Belle, président de France Palestine Solidarité. Lorsque nous avons invité Leïla Shahid à Romans, plus de 600 personnes sont venues l’écouter... Nous avons, grâce à la Maei, pu nouer des relations avec des décideurs tels que le préfet de la région de Bethléem ou le consul de France."

Asseoir une légitimité populaire

Autres publics auprès desquels la coopération décentralisée joue un rôle intégrateur : la jeunesse et la population immigrée ou d’origine étrangère. Selon une assistante sociale, c’est tout un quartier défavorisé qui s’enorgueillit des actions de terrain de la Plateforme d’insertion par l’humanitaire et la coopération. Cette association de formation destinée aux jeunes exclus du marché du travail a, en dix ans d’existence, réalisé de nombreuses missions: secours d’urgence après le tremblement de terre en Algérie, réhabilitation d’un dispensaire en Irak... Francis Hennetin, coordinateur de chantiers de restauration du patrimoine de l’Association drômoise chantiers animation vie locale (Adcavil ), souligne l’évolution des mentalités : "Lorsqu’un jeune d’origine non immigrée revient d’El Jem en disant qu’il ne laissera plus médire sur les Arabes, ça nous encourage." Dire que la démarche de la mairie a une incidence sur les votes d’extrême droite -25% des suffragesau premier tour des dernières élections municipales- serait un peu rapide. Mais les projets de solidarité internationale qui s’appuient sur la participation de tous les Romanais sont plus faciles à défendre vis-à-vis de l’électorat frontiste. "Avec un quart de notre population vivant en dessous du seuil de pauvreté, les élus FN ont vite fait de protester que la ville a bien assez de ses pauvres. Offrir aux citoyens l’occasion d’exercer leur solidarité nous permet de garantir la pérennité de nos partenariats au-delà des alternances politiques", explique Christian Watremez, conseiller municipal délégué aux relations internationales. Et de souligner qu’entre les chargés de mission de la Maei, ceux en poste à Vardenis, les coopérants à Taroudant et un correspondant à Ramallah, cette dynamique a permis de créer près d’une dizaine d’emplois.

Et du côté des bénéficiaires du Sud ? Frédéric Deshayes, responsable de la Maei, se réjouit de l’autonomie croissante des associations des villes partenaires vis-à-vis des pouvoirs locaux et de la plus grande ouverture des autorités municipales à leur égard.

Le politique, toujours présent

La coopération décentralisée permettrait-elle à la société civile du Sud de mieux se faire entendre ? Elle aide au moins à penser le développement en termes de retombées directes sur les populations -incarnées par les personnes que les Romanais rencontrent directement- tandis que la coopération d’Etat à Etat favorise trop souvent la performance économique, privilégiant les secteurs d’exportations contribuant à l’amélioration de la balance des paiements, sans que cela se traduise nécessairement par une améliorations des conditions de vie locales. Elle n’en demeure pas moins un outil délicat à manier. Au début des années 90, la Maei a financé une tannerie a Louga, au Sénégal, en confiant la conception du projet à un organisme privé. Mais faute d’avoir été consultés sur leurs besoins, les tanneurs locaux à qui elle était destinée ne l’ont jamais utilisée. Autre élément à prendre en compte au risque de jouer les apprentis sorciers : l’impact de la coopération sur les rivalités politiques locales. Comme le signalait le maire de Chambéry lors des débats de la biennale de l’internationale de Romans, "la coopération décentralisée ne fait pas les élections ici, là-bas si". En 1998, Romans avait envoyé du matériel de santé à Taroudant peu avant les élections municipales... sans réaliser que ce don pourrait profiter au maire sortant. "A Vardenis, après discussion avec le maire, nous avons décidé ensemble d’attendre le lendemain des élections pour démarrer notre action", indique Frédéric Deshayes. La prudence est aussi le maître-mot de Christian Watremez. "Vanter les mérites de la coopération décentralisée ne dispense pas de passer nos discours au laminoir de la critique. On en parle trop souvent en termes émotionnels ou descriptifs. Mais on ne peut faire l’économie du politique, car quoi qu’on fasse, on est dans de l’idéologie. Il faut alors prendre son temps, beaucoup discuter avec les partenaires. A Vardenis, nous avons mis deux ans avant de mettre en place un premier projet."

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