Entretien

Mario Dehove : "L’Europe permet la paix"

3 min
Mario Dehove Professeur associé à l'université de Paris XIII

A priori, tout oppose la construction européenne et l’idée de "puissance internationale". Le refus de la"grande politique" et de ses violences est le trait congénital d’un projet dont l’ambition, après la Seconde Guerre mondiale, était d’apporter la paix par la coopération économique et par le droit. Aujourd’hui, hormis la France et de la Grande-Bretagne, la plupart des Etats membres craignent l’usage de la force.

Pourtant, au lendemain de la guerre froide, le temps semblait venu d’affirmer une puissance politique à la mesure de la puissance économique européenne. En 1992, le traité de Maastricht posait la première pierre d’une politique étrangère commune. Mais il y eut loin de la coupe aux lèvres. En 1991, la guerre du Golfe avait révélé l’immense retard militaire de l’Europe. En 1992, la crise yougoslave révélait son impuissance politique. A l’évidence, la construction économique commune n’a pas (encore?) débouché sur une communauté politique, exprimant une unité de vue et sachant se faire entendre. L’Europe n’est pourtant pas restée complètement l’arme au pied. En 1998, le sommet franco-britannique de Saint-Malo crée une force européenne de projection rapide de 60000 hommes, devenue réalité en 2003. Elle peut mener seule des opérations du type de celle du Kosovo. Elle a pris le relais de l’Otan en Bosnie. Et la restructuration des industries de défense a créé des pôles industriels de dimension européenne (EADS, Thales, BAE systems). Enfin, les Européens ont obtenu de haute lutte la possibilité d’utiliser des moyens militaires de l’Otan (chaînes de commandement, planification, renseignement) qui lui font encore défaut.

Le Traité constitutionnel offre aux Européens des "plus" en matière de politique étrangère et de défense. Un poste de ministre des Affaires étrangères est créé qui réunit les diplomaties économique et politique, donnant à l’Union un embryon d’exécutif dans ce domaine. Une agence de l’armement, de la recherche et des capacités militaires voit le jour. Et la "géométrie variable" est rendue possible dans le domaine de la défense, via la "coopération structurée" qui permettra aux Etats le souhaitant, de progresser plus vite que les autres dans une défense commune. Cela ne fera pas tout. Les efforts budgétaires sur la recherche et le développement militaire restent insuffisants. L’Union doit se doter d’une doctrine stratégique autonome et crédible. Et rassurer les petits Etats souvent atlantistes, parce qu’ils craignent la domination des grands et préfèrent la protection lointaine et sûre des Etats-Unis à celle, proche et incertaine, de leurs voisins. L’Union n’en est pas moins, d’ores et déjà, un acteur majeur de la scène internationale. Son existence même prouve que l’affrontement des nationalités n’est pas une fatalité. Et cette improbable réussite, qui contredit les théories sur l’anarchie du monde des Etats, fait sa force d’attraction. L’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale est de ce point de vue une réussite inestimable. Cela n’allait pas de soi. Au début des années 90, nous redoutions tous l’implosion de ces pays, mosaïques de peuples humiliés et fractionnés par les traités du passé. En leur proposant d’adhérer, l’Europe a pu relativiser l’enjeu des frontières. Son rôle a été décisif dans l’enracinement de la démocratie. Et elle a aidé ces pays à réussir leur transition économique. Quelle autre puissance est aujourd’hui capable de cela?"

Propos recueillis par Sandrine TOLOTTI

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