Entretien

Jean-Paul Hébert : « L’Union européenne se protège mal »

4 min
Jean-Paul HEBERT économiste à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Les Etats-Unis représentent la moitié des dépenses militaires mondiales. Et leur marché est impénétrable.

Le marché de l’armement mondial est dominé par les firmes américaines (cf tableau). Et en la matière, les Etats-Unis sont tout sauf libéraux. Cette domination s’explique d’abord par la taille de leur marché intérieur. Les Etats-Unis représentant aujourd’hui la moitié des dépenses militaires mondiales, contre 18% pour l’Union. Les firmes américaines sont moins dépendantes de l’exportation que leurs homologues européennes. En outre, si les unes et les autres sont de farouches rivales en Asie et au Moyen-Orient, le gigantesque marché américain est quasiment fermé aux entreprises étrangères. Les firmes européennes ne peuvent espèrer vendre leurs matériels au Pentagone qu’au sein d’un consortium dirigé par une firme américaine. Au cours des trente dernières années, seuls trois grands contrats d’armement ont été conclus aux Etats-Unis par des firmes européennes. Les Etats-Unis en ont conclu huit fois plus en Europe dans la même période. En 1992, Matra a tenté de contourner la difficulté en rachetant l’avionneur américain Fairchild pour s’implanter outre Atlantique. Curieusement, en quatre ans, les commandes du Pentagone à Fairchild ont été divisées par quatre... Et Matra a dû revendre l’avionneur. Aujourd’hui, la firme française Thalès (électronique) s’associe avec l’américain Raytheon dans l’espoir de décrocher des marchés au Pentagone.

A l’inverse des Américains, les Européens se protègent peu ou mal. Certains parce qu’ils croient aux vertus de la libre concurrence. D’autres, comme les Pays-Bas ou les nouveaux membres de l’Union, parce qu’ils préfèrent dépendre pour leurs approvisionnements d’un protecteur puissant, mais lointain comme les Etats-Unis plutôt que de leurs voisins européens (France, Allemagne, Grande Bretagne....) rivaux des Américains dans ce secteur. Les grands pays de l’Union, eux-mêmes, ne se sont réveillés qu’assez tard pour contrer l’offensive des Etats-Unis, qui date du début des années 90. En effet, entre 1993 et 1997, le gouvernement fédéral a organisé la concentration de l’industrie de l’armement en quelques grandes firmes (Loockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman, Raytheon, General Dynamics...).

Ces groupes, qui bénéficient de l’essentiel des contrats du Pentagone, ont pris une longueur d’avance sur un secteur européen qui restait éclaté selon des clivages nationaux. Les Etats-Unis ont alors été tentés d’imposer leur monopole au monde. Ce qui a fini par susciter des réactions au sein de l’Union. La Grande-Bretagne a rejoint l’agence franco-allemande de l’armement. Mais surtout, entre 1999 et 2001, un mouvement de rapprochement et de concentration, impulsé à la fois par les Etats et des industriels, a abouti à la création de grands groupes dans les secteurs aéronautique, de l’espace et de l’électronique, soit au niveau européen (EADS) soit au niveau national (le britannique BAe Systems, le français Thalès). Cette concentration les protège des convoitises de firmes américaines. En revanche, les secteurs terrestre et naval, comme celui des motoristes restent éclatés dans l’Union. Il est question de constituer un grand groupe européen dans le secteur naval. Mais le projet se heurte à des susceptibilités nationales. A tort ou à raison, EADS apParaît comme dominé par la France. Et l’Allemagne voudrait donc être meneur dans le naval. Cette désunion et cette passivité ont permis à des firmes américaines de réaliser ces dernières années des acquisitions spectaculaires dans les secteurs encore éclatés en Espagne, en Autriche, en Suède, mais surtout en Allemagne... A la suite du raid d’un fonds de pension américain sur le chantier naval HDW, Berlin s’est dotée en 2004 d’une loi qui donne au gouvernement un droit de veto en cas d’acquisition par une firme étrangère d’une société d’armement allemande. De telles législations existaient déjà en France et au Royaume-Uni. En revanche, l’Agence européenne d’armement née en juillet 2004 a pour l’instant, un budget si faible (77 millions d’euros) qu’il ne lui permet pas d’animer le marché européen."

Propos recueillis par Yann Mens

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !