Entretien

Malika Zeghal : "Les islamistes sont aux portes du pouvoir"

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Malika Zeghal Malika Zeghal enseigne à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales et à l'université de Chicago. Elle est notamment l'auteur de Les islamistes marocains, le défi à la monarchie (La Découverte, 2005).

Au Maroc, les islamistes légalistes frappent aux portes du gouvernement. Le Parti de la justice et du développement est la troisième force parlementaire depuis les législatives de 2002. Et, à l’issue du prochain scrutin, en 2007, il espère obtenir des portefeuilles ministériels de poids. Mais rien ne prouve que le roi Mohamed VI soit prêt à lui accorder une place importante au sein du gouvernement. D’autant que les attentats de Casablanca de mai 2003 ont contraint les mouvements islamistes du pays à se faire discrets. Le PJD a "accepté" de ne pas présenter de candidats dans certaines villes, lors des municipales de septembre 2003, alors que les sondages lui présidaient un bon score.

Cette obéissance au Palais illustre les relations ambiguës que le parti entretient depuis toujours avec le pouvoir. Hassan II avait autorisé la création du PJD en 1998 pour contrebalancer l’influence des socialistes de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) qui avaient remporté les législatives. Le PJD est né de l’alliance entre d’anciens militants de la Chabiba islamiyya, un groupe clandestin réprimé dans les années 70, et une petite formation déliquescente, le Mouvement populaire démocratique et constitutionnel, dirigé par Abdelkarim Khatib. Convaincus que la confrontation avec le régime était une voie sans issue, instruits par la débâcle du FIS en Algérie, les anciens de la Chabiba ont choisi l’accommodement avec le régime pour s’approcher du pouvoir. Et obtenir peut-être des postes de responsabilité.

Les militant du PJD appartiennent en majorité aux classes moyennes urbaines. Issus en général du système d’enseignement en arabe, ils ont été bloqués dans leur ascension sociale par les élites francophones. La base électorale du PJD se trouve dans les quartiers défavorisés des grandes villes que le parti a quadrillés via un réseau d’associations islamiques caritatives.

Le PJD, qui n’a jamais été au gouvernement mais a participé à la gestion de quelques villes, cultive son image de probité par opposition à la classe politique traditionnelle. En revanche, il n’a pas de projet politique d’envergure. A ses yeux, l’application de la morale "islamique" (disparition de la corruption, interdiction du prêt à intérêt...) résoudra les maux du Maroc. Très axé sur les moeurs (séParation des sexes, port du voile, dénonciation des modes de vie occidentaux....), il n’a accepté la réforme libérale du code de la famille fin 2003 que parce que les attentats de Casablanca l’avaient contraint à la modération. Pour autant, le parti ne prône pas l’application des peines telles que l’amputation des mains des voleurs ou la lapidation des femmes adultères.

Le PJD se veut un parti à "référence religieuse" et non un parti religieux, refusant tout monopole d’une formation politique sur l’islam. Sur son propre terrain, il est concurrencé d’abord par le mouvement Justice et Bienfaisance d’Abdessalam Yassine. Organisé comme une confrérie soufie autour de la figure charismatique de son leader, (78 ans), celui-ci refuse tout compromis avec le pouvoir. Par ailleurs, des prédicateurs influencés par les courants radicaux du Moyen-Orient prêchent aujourd’hui à travers le pays, même s’ils ont été très réprimés depuis 2003. Dans le passé, certains d’entre eux se sont exprimés dans des journaux proches du PJD, mais la direction du parti veille à ne jamais mettre en cause ouvertement la monarchie. Alors qu’il était responsable du mouvement Unicité et Réforme (proche du PJD), Ahmed Raïssouni, avait contesté les qualifications religieuses du roi, officiellement commandeur des croyants. Il a été désavoué par le parti.

Cette critique de la légitimité islamique du monarque est très minoritaire au Maroc. La vraie question porte sur son rôle politique. Mohamed VI veut-il diriger le pays? Ou est-il prêt à céder progressivement le pouvoir à un Premier ministre issu des élections? Nul ne le sait. Mais certains tabous ont été levés. Il aurait été impensable il y a quelques années qu’un journal publie des informations sur la liste civile et le salaire du roi, comme cela a été le cas récemment. La liberté d’expression reste contrôlée, mais l’ouverture politique est réelle au Maroc. Les islamistes légalistes entendent en profiter."

Propos recueillis par Yann Mens

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