Entretien

Martin Koopmann : La CDU n’a pas de plan B sur l’Europe

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Martin Koopmann Chercheur à la Société allemande de politique étrangère (DGAP).

L’Allemagne pourrait changer de majorité à l’issue des législatives du 18 septembre. Angela Merkel, l’actuelle chef de l’opposition, a défendu, à plusieurs reprises, des positions favorables à la Grande-Bretagne sur les dossiers européens... Un virage de la politique allemande, alors que Berlin prendra la présidence de l’Union en janvier 2007, est-il en train de se préparer?

Martin Koopmann. Les Britanniques attendent beaucoup d’un gouvernement chrétien-démocrate, surtout sur la politique agricole commune et le financement de l’Union à partir de 2007. Mais il ne faut pas surestimer l’impact d’un changement de majorité à Berlin. Car s’il y a consensus en Europe sur la nécessité de réformer la PAC, la question est de savoir qui sera à même de proposer un compromis acceptable par Paris. Or, je doute fort de la volonté des acteurs politiques français qui seront en campagne électorale jusqu’en 2007 de proposer à leurs électeurs une réforme de fond de la PAC. Cela dit, si elle est élue, Angela Merkel aura plus de liberté pour adopter un ton ferme avec la France. Et elle pourra plus facilement que l’actuel chancelier allemand endosser le rôle d’intermédiaire entre Paris et Londres. D’abord parce que les chrétiens-démocrates critiquent depuis deux ans déjà les relations franco-allemandes à la Chirac-Schröder, jugées trop exclusives, trop peu ouvertes aux petits pays et à ceux de l’Est. Ensuite parce qu’Angela Merkel sera confrontée à un gouvernement français affaibli, peu stable en interne et isolé à l’international.

Quelle vision a Angela Merkeldes relations franco-allemandes ?

M. K. De manière générale, la CDU est convaincue que la relation franco-allemande restera le partenariat le plus important au sein de l’Union. Les chrétiens-démocrates sont les acteurs politiques qui, depuis des décennies, entretiennent les relations les plus étroites avec la France. Ce sont eux qui ont lancé l’intégration européenne dans les années 50 avec Paris. Et le gouvernement chrétien-démocrate d’Helmut Kohl (1982-1998) a incarné la vision d’une Allemagne intégrée au sein de l’Europe, comme partenaire à la fois des petits pays et de la France. La légitimité de la relation entre les deux capitales reposait alors sur leur capacité à élaborer ensemble des projets à long terme: union politique, union monétaire...

Hélas, cette relation manque aujourd’hui de vision. Elle a été marquée ces dernières années par des soucis très germano-allemands et franco-français, liés à l’élargissement de l’Union et à la crise économique dans les deux pays.

La CDU a-t-elle un projet pour l’Union après l’échec de la Constitution ?

M. K. La CDU n’a pas de "masterplan" pour la période de réflexion décidée par le Conseil européen en juin 2005. Pas plus que la France ou la Grande-Bretagne, d’ailleurs. Mais nous n’avons pas eu de référendum sur la Constitution en Allemagne. Et du coup, pas de débat à ce sujet. De fait, ln’est pas au centre de la campagne électorale. Ce sont l’économie et le social qui prévalent.

Angela Merkel a, à plusieurs reprises, répété que l’Europe devait avoir des frontières claires. Son opposition à l’adhésion de la Turquie est connue. Avec la CDU au pouvoir, que peut-on attendre de l’Allemagne sur l’élargissement de l’Union ?

M. K. La CDU est très sceptique vis-à-vis de toute forme d’élargissement à l’avenir, y compris envers la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie. Même si sa position officielle est le respect des traités signés. Le projet européen des chrétiens-démocrates repose avant tout sur l’approfondissement de l’existant. Selon eux, l’élargissement ne peut être envisagé qu’une fois assurés le bon fonctionnement et l’efficacité des institutions communautaires. Cette position est différente de celle des sociaux-démocrates, qui ont pour l’Union européenne un projet stratégique passant par l’élargissement à la Turquie. Mais concernant ce pays, la position du gouvernement allemand n’est pas décisive. Le plus important sera dans un premier temps la position adoptée par la France. Va-t-on à Paris accepter ou non le démarrage de négociations avec la Turquie, prévu le 3 octobre prochain? Pour la CDU, il est clair que l’ouverture des négociations ne doit pas échouer à cause de l’Allemagne. C’est une question de principe. En revanche, une fois les négociations entamées, un gouvernement Merkel cherchera sans doute à déboucher sur une solution qui ne soit pas une adhésion pleine, la CDU envisageant depuis longtemps avec Ankara un "partenariat privilégié" aux contours peu précis. De son côté, l’opinion allemande voit la question de l’adhésion de la Turquie de façon plus détachée que l’opinion française. Là encore parce que nous n’avons pas eu de référendum. Et donc pas de débat sur l’Europe.

Les chrétiens-démocrates, très critiques envers la politique russe de Schröder, dénoncent la récente "prolongation" de l’axe Paris-Berlin vers Moscou. Quelle politique russe peut avoir un gouvernement Merkel ?

M. K. La politique russe de Berlin changera si l’opposition arrive au pouvoir. On notera sûrement de nouveaux accents, sur la défense des droits de l’homme notamment. La CDU a toujours affirmé que la dépendance énergétique de l’Allemagne envers Moscou ne doit pas obliger Berlin à être aussi conciliant que l’a été Gerhard Schröder à l’égard de Vladimir Poutine. L’axe Paris-Berlin-Moscou est né de la guerre en Irak. Les critiques à son égard, très vives au sein de la CDU, sont liées aux inquiétudes qu’il suscite chez les pays de l’Est, où les sommets trilatéraux réveillent de vieilles craintes.

Le gouvernement Bush mise sur le départ de Gerhard Schröder. Angela Merkel cherchera-t-elle à se rapprocher de Washington ?

M. K. La crise irakienne a cassé beaucoup de choses entre l’Allemagne et les Etats-Unis. Mais il ne faut pas attendre de grands changements sur les dossiers difficiles, tels que le Protocole de Kyoto ou la Cour pénale internationale. Car, à cet égard, les positions de la CDU ne sont guère différentes de celles des sociaux-démocrates. Les chances de dialoguer avec Washington seront meilleures. Mais pas celles de parvenir à un consensus.

Propos recueillis par Nathalie Versieux

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