Entretien

Pouvoir, guerre et affaires

3 min
Bernard Conte Chercheur au Centre d'études d'Afrique noire (Bordeaux).

"Pour beaucoup d’hommes politiques ivoiriens, le pouvoir est d’abord un moyen d’accéder aux rentes du pays (cacao, pétrole, aide internationale...) et d’enrichir leur clan politique. A cet égard, Laurent Gbagbo agit comme ses prédécesseurs, notamment Henri Konan Bédié (1993-1999). Mais avec plus d’urgence sans doute, pour rattraper le temps perdu sous les régimes passés et parce que le terme de son pouvoir est incertain.

Le chef de l’Etat ivoirien a adopté le discours libéral du FMI et de la Banque mondiale en se prononçant pour la libéralisation de la filière cacao, principal produit d’exportation du pays. La Caisse de stabilisation des prix agricoles, l’organisme public créé par Houphouët-Boigny après l’indépendance pour assurer un prix garanti aux producteurs, mais qui servait aussi à financer les activités clientélistes et redistributives du régime, a été dissoute en 1999. En théorie, cela devait permettre à la "société civile", aux planteurs eux-mêmes, de contrôler la filière et d’être mieux rémunérés. En pratique, le régime de Laurent Ggbagbo, élu fin 2000, a suscité la création d’une multiplicité de fonds opaques supposés émaner de ces planteurs, mais à la direction desquels il a nommé des amis politiques, souvent issus de son parti, le Front populaire ivoirien, et de son ethnie, les Bétés. Ces structures, qui financent le pouvoir, sont incapables de garantir le prix aux planteurs... La fin de la protection que la Caistab accordait à des entreprises ivoiriennes notamment, dans la commercialisation du cacao, a en outre provoqué l’arrivée en force de multinationales américaines (Cargill, ADM...) en Côte d’Ivoire. Des firmes américaines et canadiennes sont également dominantes dans l’extraction du pétrole, dont les perspectives semblent prometteuses. Cette irruption des Etats-Unis, dans le secteur primaire, ne signifie pas la disparition des entreprises françaises de la scène économique. Certes, Gbagbo prononce des discours contre Paris. Et les violences de novembre 2004 ont provoqué la fermeture de nombreuses PME française, mettant des milliers d’Ivoiriens au chômage et privant l’Etat de recettes fiscales. Mais une entreprise comme France Télécom reste dominante dans son secteur. Bouygues contrôle l’eau et l’électricité, même si le régime fait jouer la concurrence avec des entreprises chinoises pour la construction d’un futur pont à Abidjan. Et même si Bouygues s’est plaint du racket fiscal qu’il subit. Surtout, le groupe Bolloré, dominant dans les transports, s’est vu attribuer la cession du terminal à conteneurs de Vridi. Une décision très contestée par certains milieux d’affaire ivoiriens. De leur côté, les Forces nouvelles (FN) qui, depuis septembre 2002, contrôlent le nord du pays où est produit le coton, taxent les entreprises présentes dans la région, comme la CIDT (Compagnie ivoirienne de développement textile) et font payer leur "protection". Du sucre est importé illégalement par des hommes d’affaires proches des FN alors que la Côte d’Ivoire est autosuffisante. Dans cette région, pourrait se développer demain une économie de chefs de guerre, comParable à celle du Libéria voisin dans le passé ".

Propos recueillis par Yann Mens

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !