Un premier abri pour les demandeurs d’asile

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Les centres d'accueil de réfugiés coûtent moins cher que les hôtels dans lesquels ils s'entassent, parfois au risque de leur vie. Pourtant, l'Etat privilégie les seconds.

Par Amar Nafa

C’était très pénible... Nous ne savions pas si nous allions avoir les papiers et nous nous demandions pourquoi ils ne répondaient pas. Je restais dans la chambre toute la journée à discuter avec ma femme et à regarder la télévision. Un homme, ça doit travailler pour nourrir sa famille... " Roger Nzadi, réfugié congolais, raconte son histoire au passé, assis sur le canapé de sa chambre du Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Villeurbanne. Il y a retrouvé son épouse, Marie, qui a fui le pays avant lui. L’ancien ingénieur électricien et sa femme ont obtenu le statut de réfugié en janvier dernier, après respectivement un et trois ans de procédure.

Pour qui a la chance d’être admis dans un Cada, structure dépendant de l’Etat, le statut de réfugié n’est plus un mirage. Huit fois sur dix, les personnes hébergées obtiennent une réponse positive de la part de l’Ofpra (Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides) ou de la CRR (Commission de recours des réfugiés), contre deux fois sur dix pour les autres, qui habitent à l’hôtel ou se logent comme ils peuvent. "Quand vous avez un toit, que vous ne vous demandez pas comment vous allez manger le lendemain, quand vous êtes aidé dans vos démarches, vous vous occupez plus sereinement de votre demande d’asile", explique Malika Benzineb, chef de service du Cada de Villeurbanne. Mais les places sont rares. Au niveau national, la capacité d’accueil en Cada a été multipliée par trois depuis 1998, mais les 15300 lits sont tous occupés, alors que plus de 50000 demandeurs ont été enregistrés en 2004.

Avec quatre centres (à Lyon et dans les communes voisines de Bron, Vaulx-en-Velin et Villeurbanne), l’association Forum réfugiés gère 440 places. Financée par la DDASS pour son activité d’hébergement, elle fournit aussi aux demandeurs un soutien juridique et administratif. Ici comme ailleurs, les capacités d’accueil sont insuffisantes et une commission locale d’admission, réunie sous la présidence du préfet, établit les priorités. "Nous privilégions les familles et les personnes ayant des gros problèmes de santé", indique Malika Benzineb. Ceux qui ont été retenus se voient dès lors attribuer, outre une allocation pour leurs repas, un logement dans des foyers de type Sonacotra, loués par l’association: deux pièces de 9 m2 pour un couple avec un enfant. Cuisine et sanitaires sont partagés avec les autres occupants.

Nombre de demandes d’asile par régions et principaux pays (en 2004)
Les haïtiens premiers acceptés : évolution du taux d’accord par région

Augmenter les places en Cada ne coûterait pourtant pas plus cher au contribuable, l’Etat hébergeant plus de demandeurs dans des hôtels que dans ces structures spécialisées: 17000 en 2004. Avec le service en moins: à l’hôtel, pas question de cuisiner et, à la différence d’un Cada, ni prise en charge des transports en commun ni accès gratuit aux interprètes ou assistance administrative. Pour tout pécule, une allocation d’insertion de 295,80 euros par mois pour un adulte avec ou sans enfants, valable six mois et renouvelable une fois, quand la procédure d’asile dure parfois des années. Mais pour l’Etat, La solution de l’hôtel a un avantage: éviter de prendre une décision politique et financière de long terme. "Comment voulez-vous que des familles entières vivent deux ans dans des chambres d’hôtel sans cuisiner? s’indigne Malika Benzineb. Les pouvoirs publics organisent une précarité dangereuse."

De l’art de déplacer le problème

Limiter l’offre de logements implique Parallèlement de réduire la demande, d’où l’accélération d’interminables procédures annoncée dès mai 2002 par le gouvernement Raffarin. En 2003, l’Ofpra a embauché. Le stock des dossiers en attente a pu être apuré. Aujourd’hui, les demandeurs sont convoqués dans un délai de deux mois après le dépôt de leur dossier, contre plusieurs mois, voire des années, auParavant.

Cette accélération n’a fait pourtant que déplacer le problème. En traitant plus de dossiers, l’Ofpra a multiplié les réponses, aussi bien positives que négatives. En cas de réponse négative -90% des cas en 2004-, les déboutés se tournent alors pour la plupart vers la Commission de recours des réfugiés (CRR). Or la CRR, qui a accordé 44% des statuts de réfugié en 2004, est débordée. Conséquence, les Cada sont de plus en plus occupés par des déboutés qui attendent que la CRR statue sur leur sort en appel. Le 6 juillet dernier, un rapport adopté par la commission des finances de l’Assemblée nationale préconisait, entre autres mesures, de ramener de un mois à 15 jours le délai permettant de saisir la CRR. Mais accélérer encore les procédures -quitte à écorcher davantage un droit d’asile largement présenté comme une porte ouverte à l’immigration clandestine- peut-il vraiment désengorger les Cada?

A Villeurbanne, dans la cuisine collective, Najat et son mari Khair, originaires d’Afrique de l’Est, prennent le thé. L’ancienne étudiante en philosophie, lunettes rondes et foulard noué autour du cou, donne le biberon à la petite Sarah, le bébé de Roger et Marie, ses voisins congolais. Najat et Khair vivent là depuis trois ans. Ils ont obtenu leur statut en juillet dernier, un an et demi après le rejet de leur première demande par l’Ofpra. Certes, depuis cet été, ils ne comptent plus parmi les déboutés qui surchargent les Cada. Mais ils n’en font pas moins partie des statutaires qui, faute de moyens, n’arrivent pas à quitter les lieux.

Les associations otages

"Avec la pénurie de logements sociaux, nous avons de plus en plus de mal à leur trouver un toit, explique Malika Benzineb. La situation autour de Lyon est catastrophique. Quand une personne a obtenu son statut, nous ne pouvons humainement pas la mettre à la porte. Nous lui donnons six mois pour trouver une solution. Pour l’instant, nous y parvenons, mais pour combien de temps encore?" Roger a obtenu son statut en janvier dernier, ce qui lui donne enfin le droit de travailler et de bénéficier de l’APL (aide personnalisée au logement), mais il est toujours logé par Forum réfugiés, en attendant mieux. "Je recherche un appartement en HLM. L’assistante sociale m’a dit que ce serait plus facile un fois que j’aurai un travail..."

Les réfugiés statutaires occupent 20% des places en Cada, autant de possibilités d’accueil en moins pour les nouveaux arrivants, qui en ont pourtant le plus besoin. "Il est inadmissible de n’avoir rien prévu pour les accueillir, tempête Olivier Brachet, directeur de Forum réfugiés. Les associations se retrouvent otages de cette situation." Les 5000 nouvelles places prévues par le plan de cohésion sociale voté en décembre dernier sont loin de faire le compte: pour les seuls demandeurs, il faudrait créer environ 30000 lits au niveau national. Il faudrait en outre veiller à leur répartition sur le territoire: il y a 460 places en Cada en Rhône-Alpes contre 34 dans le Pas-de-Calais et 26 dans le Lot. "Aujourd’hui, les départements gagnants sont ceux qui n’ont jamais rien fait et ne font jamais rien, indique le directeur de Forum réfugiés. Ils renvoient leurs demandeurs vers des régions déjà surchargées comme l’Ile-de-France ou Rhône-Alpes sous prétexte qu’elles ont des infrastructures. Il faut rompre avec cette logique."

Car l’hébergement en Cada n’est pas une solution pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugiés. Ne pouvant s’éterniser dans ces structures, ils doivent pouvoir s’insérer durablement dans la société, ce qui implique d’obtenir un logement social. Mais là encore, "la volonté politique fait défaut, regrette Olivier Brachet. Au contraire, le gouvernement mélange la question du logement des réfugiés avec celle de l’hébergement des demandeurs d’asile. Il mélange des problèmes qui appellent des réponses différentes et, finalement, n’en règle véritablement aucun. "

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