Pologne, le poison populiste

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Face à un ex-parti communiste autobaptisé "parti du business", la droite ultra progresse sur un terreau: la misère des laissés-pour-compte de la transition.

Ce jour-là, la cible des populistes s’appelle Leszek Balcerowicz. Il est vrai que l’ancien ministre de l’Economie, père de la "thérapie de choc", est des plus impopulaires dans le pays. Alors, à la tribune de la Diète (Chambre basse), Andrzej Lepper, chef de Samoobrona (Autodéfense), n’hésite pas à l’accuser de "génocide pour motifs économiques" contre le peuple polonais et menace de le poursuivre devant les "instances internationales". Dans la salle presque vide, on opine dans les rangs de Samoobrona et de la Ligue des familles polonaises, l’autre composante -moins rurale et plus nationale-catholique- du bloc populiste. Les députés des formations traditionnelles, eux, soupirent. La scène, récente, est emblématique de la vie politique polonaise d’aujourd’hui.

Le tournant politique a eu lieu lors des législatives de 2001: après quatre années de pouvoir, la coalition de droite rassemblée autour de Solidarité (AWS) ne conserve même pas de représentation parlementaire, tant elle a déçu ses électeurs1. Les Polonais donnent la victoire à la coalition de gauche, qui recueille 40% des suffrages, mais aussi aux extrémistes de Samoobrona et de la Ligue des familles, qui entrent à la Diète avec 53 et 38 sièges.

Depuis, on ne compte plus les diatribes enflammées de Lepper contre les "libéraux" qui vendent le pays au capital étranger. Contre "Bruxelles" qui a mieux réussi à asservir la Pologne que Moscou jadis. Ou contre le gouvernement qui plonge le pays sciemment dans la pauvreté. Les populistes jouent, à la Diète comme dans la rue, une partition nationale-romantique chère à la culture polonaise. Dépourvue de sens pour les nouvelles classes moyennes, elle touche les perdants de la transition, détournant les attentes sociales de leur objet par un discours de défense de l’identité et de dénonciation des "traîtres". Le populisme séduit les chômeurs qui peuplent les campagnes de l’est du pays: le monde rural représente 25% de la population mais 42% des sans-emploi. Les victimes de la pauvreté sont aussi de plus en plus nombreuses dans des villes à la prospérité pourtant grandissante : le nombre de personnes vivant au-dessous des seuils sociaux minimums est passé de 15% en 1989 à 60% en 2004. Car, habitants des campagnes ou des petites villes, retraités, chômeurs de longue durée, salariés précaires, les laissés-pour-compte des réformes ne trouvent aucune représentation politique "respectable" dans une Pologne où la gauche ne joue pas son rôle. Désireux d’incarner une "modernité pragmatique", l’ancien parti communiste (SLD) s’est proclamé "parti du business" -de nombreux apParatchiks devenus hommes d’affaires ont conservé des liens avec leurs anciens "camarades" sociaux-démocrates- tout en jouant sur le mécontentement social.

Mais cette formule qui a assuré sa victoire en 2001 n’a pas survécu à l’épreuve du pouvoir: le parti a été incapable de proposer la moindre mesure pour stopper le décrochage d’une partie de la population. Et la SLD connaît aujourd’hui la même débâcle que l’AWS hier. D’autant que le "parti du business " s’est révélé, ces dernières années, celui de la corruption. Un champ de ruines politique fertile pour les formations populistes comme Samoobrona et la Ligue des familles. L’incapacité des partis traditionnels à réconcilier le développement économique avec la solidarité sociale est leur terreau. Car la classe politique polonaise semble résignée devant la montée inéluctable des inégalités. On voit même apParaître un "populisme de riches", incarné par le programme fiscal du parti libéral-conservateur PO (Plate-forme citoyenne). Celui-ci propose de mettre en place un taux d’imposition unique de 15% pour la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés puisque la fiscalité progressive ne sert, à ses yeux, qu’à satisfaire "la jalousie et le ressentiment" de ceux qui n’ont pas voulu travailler pour réussir.

La part de "marché" politique à prendre est considérable pour tous ceux qui en appellent aux émotions des oubliés de la transition. Et la concurrence n’oppose pas seulement Andrzej Lepper et Roman Giertrych, le leader de la Ligue des familles polonaise. La rhétorique populiste est aujourd’hui partagée par nombre de partis modérés, témoignant d’une transformation profonde de la vie politique. "C’en est fini des bonnes manières de Versailles!", a lancé un jour Andrzej Lepper. "Versailles", ce sont ces anciens dissidents arrivés à la tête du pays après 1989, une élite libérale, centriste et pro-européenne, déconsidérée aux yeux des Polonais par seize ans de transition. Pour les populistes comme pour la droite, la Pologne de 2005 n’a plus besoin d’intellectuels mais d’un homme "fort".

  • 1. Une formation politique doit obtenir au moins 5% des suffrages pour être représentée.

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