Entretien

"Ces dirigeants veulent réduire les inégalités dans leur pays"

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Francisco Panizza Enseignant à la London School of Economics. A dirigé Populism And The Mirror Of Democracy (Norton & Company, 2005) et est notamment l'auteur de Unarmed Utopia Revisited:the Resurgence of Left-of-Centre Politics in Latin America, Political Studies Journal (Royaume-Uni), Novembre 2005.

La gauche latino américaine, désormais au pouvoir dans plusieurs pays, est-elle unie?

Très peu de choses l’unissent. Les succès électoraux sont tous une réponse aux échecs des politiques néolibérales des années 90. Et ces gouvernements de gauche veulent résoudre les énormes problèmes sociaux (pauvreté, inégalités...) de leurs pays. Par ailleurs, ils entendent être plus autonomes que leurs prédécesseurs vis-à-vis des Etats-Unis. Mais dans ce domaine, leurs positions sont très variables. Hugo Chavez a adopté une attitude de confrontation avec Washington. Le Chili, lui, est proche des Etats-Unis avec lesquels il a un traité de libre commerce. Le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay sont dans une position intermédiaire.

Les intérêts nationaux surpassent-ils les convergences idéologiques?

Je le crois. Après l’arrivée au pouvoir entre 2002 et 2004 de Lula au Brésil, de Nestor Kirchner en Argentine et de Tabaré Vasquez en Uruguay, on a cru que ces gouvernements de centre-gauche allaient faire décoller le Mercosur, le Marché commun du cône Sud. Mais il s’est enlisé dans leurs rivalités, économiques noramment.

Comment classer ces gauches?

Hugo Chavez est un populiste. Il a remporté les scrutins régulièrement. Mais il concentre le pouvoir entre ses mains. Et son régime est fondé sur une relation personnelle entre le chef et le peuple. Il n’a guère de respect pour les contre-pouvoirs, juridiques notamment, au coeur des régimes démocratiques. Evo Morales, le président bolivien, est imprégné de populisme. Mais son leadership n’est pas purement personnel et sa victoire électorale repose sur une vaste mobilisation sociale. Je qualifierais Tabaré Vasquez, Michelle Bachelet, la nouvelle présidente chilienne, et aussi Lula de sociaux-démocrates, chacun à sa manière. Quant à Kirchner, sa politique économique est d’inspiration social-démocrate, mais son discours emprunte au populisme de la tradition péroniste.

Souvent très radicale dans le passé, comment la gauche s’est convertie à la social démocratie?

Ces partis ont réalisé que les politiques économiques qu’ils prônaient dans le passé avaient échoué, dans le Chili d’Allende par exemple. Et qu’elles pouvaient encore moins fonctionner dans le monde actuel. Leur but n’est plus de rompre avec l’économie de marché, mais d’assurer la croissance et l’emploi. Pour cela, il leur faut attirer des investissements étrangers. Mais ils entendent en même temps appliquer des politiques sociales au bénéfice des plus défavorisés. Comme le dit un ex-dirigeant uruguayen de la guérilla Tupamaro, "nous voulons construire le capitalisme sérieusement". L’exemple chilien a pesé dans cette conversion. Tant qu’un gouvernement démocrate-chrétien appliquait une politique néolibérale, la gauche du continent ne voulait pas entendre parler des réussites économiques, et en partie sociales, de ce pays. Quand les socialistes, élus à Santiago en 2000, ont repris cette politique, les autres partis de la région ont commencé à s’intéresser au cas chilien, sinon à le copier. Sur un plan plus politique, la participation aux élections a amené les formations de gauche à se rapprocher du centre pour conquérir les électeurs. Certains d’entre eux ont beaucoup appris en gérant des collectivités locales, avant de passer au niveau national.

Propos recueillis par Yann Mens

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