Afrique du Sud : les bénéfices des bons offices

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La première puissance industrielle du continent se rêve en pilier de la renaissance africaine. Sa médiation pour la paix au Burundi et en RDC sont des succès.Mais ses errements au Zimbabwe ont déçu les Occidentaux.

Thabo Mbeki veut voir renaître l’Afrique. Cette renaissance dont rêve le président sud-africain, et qui ne peut que profiter à son pays, exige des progrès économiques rapides. Elle a un préalable obligé: la réduction des conflits au sud du Sahara. C’est pourquoi l’Afrique du sud, première puissance industrielle du continent, s’est impliquée ces dernières années dans plusieurs médiations de paix à travers toute l’Afrique, implication rendue possible par la fin de la guerre froide, qui a largement soustrait l’Afrique aux rivalités des grandes puissances. Et par la disparition de l’apartheid en 1994. Bien qu’il n’ait été en aucune façon responsable des crimes commis par le régime raciste, le nouveau gouvernement sud-africain, dirigé par Nelson Mandela, exprime alors ses remords pour les souffrances que le pouvoir blanc a fait endurer au continent. Et promet de mettre les droits de l’homme au centre de sa politique étrangère.

Mais cette option lui vaut rapidement d’être accusé d’unilatéralisme. En 1998, Pretoria intervient militairement au Lesotho à la demande du gouvernement local qui vient de remporter des élections régulières, mais est menacé d’être renversé par l’opposition et une partie de l’armée. Bien que son intervention soit soutenue par le Botswana et la SADDC (Communauté de développement de l’Afrique australe), elle est accusée par d’autres Etats africains de comportement hégémonique, à l’instar du régime d’apartheid. Lorsqu’il accède à la présidence en 1999 et prône la renaissance de l’Afrique, Thabo Mbeki donne une orientation plus multilatérale à la diplomatie de Pretoria, quitte à sacrifier la priorité aux droits de l’homme. Ses déclarations anti-impérialistes régulières ne l’empêchent pas de chercher aussi l’appui des pays occidentaux pour asseoir le rôle de l’Afrique du Sud comme puissance régionale.

C’est au Burundi, déchiré par une guerre civile depuis 1993, que Pretoria mène sa première mission de paix. En 1996, l’Organisation de l’unité africaine a lancé une médiation entre les belligérants sous la houlette de l’ex-président tanzanien Julius Nyerere. Lorsque celui meurt en 1999, l’OUA désigne Nelson Mandela pour lui succéder. Mandela a l’avantage de ne pas appartenir à un pays des Grands Lacs, alors que Nyerere était parfois accusé de partialité. Grâce à son expérience de négociateur et à sa force de caractère, il obtient la conclusion de l’accord d’Arusha en août 2000: le gouvernement et plusieurs forces d’opposition acceptent l’instauration d’un gouvernement transitoire, avant l’organisation d’élections. Mandela persuade aussi Thabo Mbeki d’envoyer un contingent de 1500 soldats sud-africains au Burundi pour protéger les dirigeants de l’opposition de retour d’exil et aider à la future démobilisation des guérilleros hutus. Bien que les mouvements de guérilla n’en soient pas alors parties prenantes, l’accord d’Arusha ouvre la voie à un second round de négociations, animé aussi par un Sud-Africain, le vice-président Jacob Zuma. Au final, un gouvernement intérimaire dirigé par un Hutu succède en 2003 à une équipe dirigée par un Tutsi. Un référendum constitutionnel, puis des élections présidentielle et parlementaires ont lieu en 2005. Aujourd’hui seul, un mouvement de guérilla hutu, le Front national de libération, se bat encore au Burundi.Mais il est de plus en plus marginalisé.

Ce succès sud-africain ouvre la voie à une autre médiation, plus difficile, en République démocratique du Congo. Le régime Mobutu s’est effondré en mai 1997, à la suite d’une attaque de groupes rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda. Mais le nouveau régime, dirigé par Laurent Désiré Kabila, se brouille avec ses parrains. La guerre éclate en 1998. Kabila s’allie cette fois à l’Angola, au Zimbabwe et à la Namibie. L’intervention de ces trois pays est soutenue formellement par la SADCC, mais l’Afrique du Sud refuse de s’impliquer dans le conflit. Echaudée par les critiques récoltées lors de son intervention au Lesotho, mais estimant les énormes ressources naturelles (minerais, hydroélectricité, pétrole) de la RDC vitales pour la renaissance africaine, Pretoria opte pour la diplomatie. Après la signature à Lusaka en 1999 sous les auspices de la SADCC, d’un cessez-le-feu qui n’est pas respecté par les belligérants, elle devient le principal médiateur du dialogue inter-congolais qui s’ouvre en 2001. Plusieurs accords signés en Afrique du Sud (Pretoria en décembre 2002, Sun City en avril 2003) aboutissent au retrait officiel des armées étrangères en 2002, à un accord de partage du pouvoir entre les belligérants congolais ainsi qu’à l’adoption d’une Constitution transitoire. Pretoria dépêche des troupes dans le cadre de la Mission des Nations unies au Congo et soutient l’organisation des élections. Ce premier scrutin démocratique depuis quarante ans s’est déroulé le 30 juillet 2006. La situation reste des plus fragiles, mais la RDC n’a pas éclaté, malgré tous les pronostics de balkanisation.

En Côte d’Ivoire, l’implication de Pretoria n’a pas eu un effet aussi constructif. Mais, il est vrai, qu’elle n’a pas cherché à prendre part aux efforts de paix dans ce pays. En novembre 2004, après la destruction d’avions de chasse ivoiriens par l’armée française à la suite du bombardement d’une caserne française, Thabo Mbeki qui préside le Conseil de paix et de sécurité de l’union africaine, accepte de jouer les médiateurs. Et ce, à la demande du président nigérian Olusegun Obasanjo, dont les efforts de paix ont échoué. Pretoria tente de convaincre le gouvernement ivoirien et les rebelles d’appliquer les accords déjà signés, notamment ceux de Linas Marcoussis conclus sous l’égide de la France en janvier 2003. Irrité par cette incursion, Jacques Chirac déclare que Thabo Mbeki ne comprend pas "la psychologie et l’âme de l’Afrique de l’Ouest". Le président sud-africain convainc pourtant Laurent Gbagbo d’utiliser les pouvoirs spéciaux que lui confère la Constitution, au lieu d’exiger un référendum, pour amender l’article 35 de cette même Constitution sur les conditions d’éligibilité à la présidence ivoirienne. Article qui barre le scrutin à son rival Alassane Ouattara. Mais Gbgabgo tente ensuite de persuader le Maroc de remplacer l’Afrique du Sud comme médiateur. Thabo Mbeki accepte alors que le président ivoirien utilise ses pouvoirs spéciaux pour modifier d’autres dispositions législatives. Il s’aliène ainsi les rebelles des Forces nouvelles qui, en août 2005, l’accusent de partialité. Ce qui de facto met fin à la médiation sud-africaine, même si le pays reste membre du Groupe de travail international mis en place en octobre 2005 par l’ONU pour accompagner le processus de paix.

La "diplomatie tranquille"

La Côte d’Ivoire est un pays éloigné de la sphère de Pretoria. Ce qui peut expliquer en partie son échec. Il n’en va pas de même du Zimbabwe, voisin de l’Afrique du Sud. La crise qui secoue le pays, précipitée par la saisie des fermes appartenant à des Blancs en 2000 au profit de vétérans de la guerre d’indépendance et de proches du pouvoir, s’est traduite par le harcèlement de l’opposition, la manipulation des élections et la violation permanente des droits de l’homme. Mais l’ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir à Pretoria, est réticente à critiquer la ZANU-PF, le parti de Robert Mugabe, ancien mouvement frère dans les luttes de libération. Thabo Mbeki adopte donc une "diplomatie tranquille". Au lieu de forcer la main de Mugabe, en restreignant les fournitures d’électricité ou les prêts sud-africains au pays, il cherche à persuader le pouvoir de négocier avec l’opposition ou de former un gouvernement d’unité nationale. Sans aucun succès. Et cet "engagement constructif", que Pretoria justifie par souci d’éviter l’effondrement de l’Etat, n’empêche pas le naufrage de l’économie du Zimbabwe. Attitude qui, selon certains observateurs, s’explique par les profits que tirent des entreprises sud-africaines, liées à la bourgeoisie noire proche de l’ANC, de l’achat à bas prix des ressources du Zimbabwe. Selon d’autres, le pragmatique Mbeki cherche avant tout à ne pas s’aliéner la majorité des pays africains sensibles aux slogans anti-impérialistes de Mugabe. Quelle que soit sa motivation, cette politique inefficace ternit gravement, aux yeux des Occidentaux notamment, l’image de l’Afrique du Sud comme puissance régionale et comme faiseuse de paix, malgré ses réussites au Burundi et en RDC.

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