La République tchèque déjà désabusée

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Serait-ce un nouveau coup de semonce contre l’Europe? La récente victoire électorale des conservateurs du Parti démocratique civique (ODS), connu pour son discours eurosceptique, vaudrait-elle avis de défiance des citoyens tchèques aussi envers l’Union? Le pays a beau avoir plébiscité en 2003 l’adhésion, à 77%, la question mérite d’être posée. Car le temps n’est plus de l’enthousiasme inconditionnel. Le rêve du "retour en Europe" dans le sillage de la Révolution de velours en 1989 s’est fissuré sur la réalité d’une intégration

peu amène, plus technique que philosophique, dont les modalités ont nourri le désenchantement. Les négociations ont fait émerger une "peur de l’inconnu", l’Union apparaissant souvent à l’opinion publique comme un système complexe, lointain, voire bureaucratique. Surtout, les Tchèques se sont indignés de l’asymétrie du processus: pendant que de nombreuses entreprises allemandes, autrichiennes et françaises ont racheté des pans entiers de l’industrie du pays, un agriculteur tchèque continue de toucher environ quatre fois moins de subventions qu’un Français ; un Praguois ne peut toujours pas venir travailler librement dans l’Hexagone ou en Allemagne... Le sentiment de n’être qu’un membre de seconde

classe de l’Union européenne a fait tanguer l’europhilie de la population. En passant à l’opposition après quatre années de pouvoir, en 1997, l’ODS ne s’est pas privé,il est vrai, de jouer sur la fibre souverainiste contre le "super-Etat germano-français" de Bruxelles et sur la fibre anticommuniste pour fustiger les politiques "socialisantes" de l’Europe. De là à voir dans le récent succès du parti un signe d’hostilité envers l’Europe, il y a pourtant un pas.

Car c’est le silence sur la question européennequi a caractérisé la campagne électorale de juin dernier, totalement dominée par les préoccupations intérieures.

Et ce sont des affaires de corruption, pas son europhilie, qui ont conduit le Parti social-démocrate (CSSD) à la défaite. Les récentes législatives ont en fait reflété l’évolution de la relation entre la société tchèque et l’Europe: il s’agit moins d’euroscepticisme que d’une sorte de langueur confinant à l’indifférence. L’appartenance à l’Europe se vit ici comme une évidence. Le pays est fier de cette identité et l’Union reste aux yeux

de la population un vecteur d’ouverture auquel toute société postcommuniste est très attachée. Et, comme la plupart de leurs voisins d’Europe centrale, les Tchèques voient dans l’intégration économique l’instrument de leur désir de rattrapage. La remise en cause de l’appartenance à l’Union est donc hors de propos, y compris parmi la base sociale de l’ODS. Entrepreneurs et gagnants de la transition, les électeurs du parti sont, selon les enquêtes, parmi les Tchèques les plus europhiles. Quant à ses élus locaux et régionaux, ils sont trop sensibles aux fonds venus de Bruxelles pour ne pas être plus pragmatiques que la direction. Mais l’adhésion de la société tchèque à l’Europe ne va guère au-delà : le citoyen se méfie en particulier de toute forme d’intégration politique, tant l’Etat national symbolise à ses yeux le récent retour à la démocratie. Seuls 28% des Tchèques s’étaient déplacés pour participer aux élections européennes de 2004, quelques semaines seulement après l’adhésion de leur pays.

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