Maroc : succès sur le front du planning familial

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Les Marocaines ont deux fois moins d'enfants qu'il y a vingt ans. Un résultat lié à l'accès des femmes à l'éducation et à l'emploi, et à l'efficacité de l'action d'associations comme le planning familial marocain. Voyage au centre de Témara.

Témara, une banlieue populaire de Rabat: de nombreuses femmes se pressent au centre de santé sexuelle et reproductive de l’Association marocaine de planification familiale (AMPF). C’est lundi, jour réservé aux consultations gynécologiques. Dans le quartier, l’accès à la gynéco est un luxe. L’hôpital peine à faire face aux urgences, les dispensaires n’offrent pas ce type de soins. Et dans le privé, c’est hors de prix : la consultation coûte 200 à 300 dirhams contre 70 (6,50 euros) au centre de l’AMPF. Houria Khaled travaille à l’hôpital mais elle est détachée ici deux matinées par semaine et se rémunère à l’acte -30 DH par consultation. Les trois quarts de ses patientes la consultent pour des visites prénatales et un dixième pour la prescription d’un contraceptif. "La plupart prennent la pilule, explique Mme Khaled. Beaucoup refusent le stérilet, un corps étranger qui les effraie." Le préservatif masculin n’a pas beaucoup de succès non plus: "Les hommes pensent que c’est à la femme de se débrouiller pour ne pas tomber enceinte." Constat désabusé qui explique en partie les nombreux cas d’infections sexuellement transmissibles (IST). "A Témara, il y a beaucoup de prostitution et de rapports hors mariage", poursuit-elle. Et de naissances. Les femmes du quartier ont, en moyenne, quatre ou cinq enfants, plus du double de la moyenne nationale.

"Au Maroc, l’indice de fécondité a été divisé par deux en vingt ans, explique Mohammed Graigaa, directeur de l’AMPF. Une évolution qui traduit l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi -elles représentent 28 % de la population active-, la disponibilité des services de planification familiale et la modernisation des modes de vie. "Au lieu de tout sacrifier aux enfants, les femmes actuelles veulent profiter de la vie, prendre des vacances, avoir un intérieur correct", poursuit M. Graigaa. Reste que la pauvreté, l’analphabétisme -qui touche 39% de la population totale mais près de 90% des femmes rurales-, la promiscuité et les mentalités paysannes ("les enfants sont des bras ") continuent à produire des familles nombreuses dans les campagnes et les bidonvilles gonflés par l’exode rural.

Maroc : une fécondité en baisse

Ce recul est lié au relèvement de l’âge moyen au mariage -passé de 16 ans en 1960 à plus de 28 ans aujourd’hui- mais aussi et surtout au bond en avant de la contraception. Aujourd’hui, près de deux Marocaines sur trois sont converties à la planification familiale (contre une sur cinq en 1980 et deux sur cinq en 1992). Au total, plus de 40% des femmes prennent la pilule.

Maroc : une fécondité en baisse

Ce recul est lié au relèvement de l’âge moyen au mariage -passé de 16 ans en 1960 à plus de 28 ans aujourd’hui- mais aussi et surtout au bond en avant de la contraception. Aujourd’hui, près de deux Marocaines sur trois sont converties à la planification familiale (contre une sur cinq en 1980 et deux sur cinq en 1992). Au total, plus de 40% des femmes prennent la pilule.

Islam et contrôle des naissances

Ce sont elles que vise l’AMPF. Créée en 1971 et soutenue par la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF), l’association a créé 21 centres dans les quartiers défavorisés des grandes villes du pays. Spacieux, modernes, équipés d’échographes, ils offrent toute une gamme de services de qualité : consultations gynécologiques, dermatologiques, psychologiques et ORL, tests de grossesse, dépistage du sida et des IST, vente de contraceptifs à des prix trois à cinq fois inférieurs à ceux du marché. Fedoua El Alji, l’animatrice du centre de Témara est intarissable sur son travail. C’est elle qui prend la tension, encaisse le prix des prestations, tient à jour les comptes et les dossiers des clientes, appelle les maris qui refusent de faire un test afin de dépister une IST... Et surtout, écoute et console. "Je suis aussi assistante sociale, conseillère matrimoniale... Si l’on veut des résultats, il faut gagner la confiance des gens." En zone rurale, l’AMPF s’appuie sur un réseau de 750 volontaires communautaires, hommes et femmes. "Nous identifions des personnes respectées des villageois, explique la responsable des programmes Hajar Berri, puis nous les formons. Ces volontaires, ravitaillés par des unités mobiles qui partent de nos centres, gardent 1 dirham par plaquette de pilules distribuée."

Pour faire passer leurs messages, ils s’appuient sur le bon sens paysan ou la tradition musulmane. Dotés d’un vélo et d’un mégaphone, ils sillonnent la campagne et font du porte-à-porte. Leurs slogans sont aussi primaires qu’efficaces. "Quand on sème la terre une année puis qu’on la laisse se reposer les années suivantes, on obtient de meilleurs fruits." Ou encore: "Le Coran enjoint aux femmes d’allaiter leurs bébés pendant deux ans. Si vous tombez enceinte avant, votre lait se tarira." En 2005, l’AMPF a distribué 87500 plaquettes de pilules en ville et 96600 en zone rurale. "Nous assurons notre mission en coopération avec le gouvernement. Mais nous ne sommes pas son auxiliaire", rappelle Mohammed Graigaa, dont l’ONG s’emploie aussi à faire évoluer la société.

Dès 1971, l’AMPF a organisé le premier congrès international sur l’islam et la planification familiale. Aujourd’hui, elle tente de lever certains tabous. Dans un pays où l’avortement est interdit, elle milite pour la mise sur le marché de la pilule du lendemain et compte bientôt la proposer dans ses centres. Selon l’organisation, les aiguilles à tricoter et les détergents utilisés par les femmes pour se faire saigner et avorter sont responsables de 5% à 7% de la mortalité maternelle, 227 pour mille, la plus élevée d’Afrique du Nord hors Mauritanie. L’AMPF plaide aussi pour la reconnaissance de la sexualité des jeunes. Dans les trois centres qui leur sont réservés, consultations et préservatifs sont gratuits. Les filles non mariées, qui n’ont pas accès aux contraceptifs gratuits des centres de santé publique, peuvent également rencontrer des conseillers. "On ne peut pas empêcher les jeunes de faire l’amour, alors autant leur apprendre à se protéger, milite Hanane Zbirou, responsable de la région de Rabat. Mais c’est un sujet très tabou. "

Pour pérenniser son action, l’AMPF cherche à s’autofinancer au maximum. En 2005, elle a recouvert près des quatre cinquièmes d’un budget de 6 millions de DH (550000 euros), complété par les aides de l’IPPF et de divers bailleurs de fonds. Ses recettes proviennent en grande partie de la gamme de services proposés dans les centres et de la distribution des contraceptifs. Un cycle de pilule, par exemple, est acquis 2,8 DH auprès de l’IPPF et revendu 6 DH.

A chacun selon ses moyens

"Par le passé, nous avons été critiqués sous prétexte que nous "vendions" nos services et contraceptifs, ajoute le directeur financier Mohammed Bensehli. Or notre objectif n’est pas de faire du profit. Nous demandons juste une cotisation calculée en fonction du niveau de vie, et c’est ce qui nous permet non seulement de survivre, mais aussi de grandir." Grâce à ce système, l’AMPF vient de fêter ses trente-cinq ans d’existence et a gagné le respect des autorités nationales comme des agences internationales de coopération. A Témara, la matinée est déjà bien avancée quand un groupe de médecins irakiens fait irruption dans le centre. Ils cherchent de bonnes idées qui leur permettront, un jour peut-être, de relever les ruines de leur système de santé

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