Inde : quand l’échographie se retourne contre les filles

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Elles ont entre 9 et 17 ans. Façon "Bollywood", bien qu’avec un reste de timidité, elle chantent et dansent devant des étudiants du campus de Delhi. Mais ici, pas de romance. Le sujet est grave:il ne naît plus assez de filles en Inde. On y compte 93 filles pour 100 garçons parmi les moins de six ans. Un demi-million de fillettes manquent à l’appel chaque année en raison, principalement, de l’avortement sélectif après détermination du sexe par échographie.

Le spectacle de ces jeunes de Delhi a été monté par une petite ONG locale, la CAPF (Campagne contre l’élimination prénatale des femmes) qui, comme d’autres, s’emploie à sensibiliser la population contre ce fléau. Bijayalaxmi Nanda, professeur d’université et à la tête de la CAPF explique: "Cette pratique, liée au développement de l’échographie, touche surtout les classes moyennes et aisées. Elles ont, plus que les pauvres, intégré le modèle de la famille restreinte, mais ont conservé la préférence traditionnelle pour les garçons. Avec l’obligation de verser une dot d’autant plus élevée que l’on est riche, marier sa fille revient très cher. Inversement, le garçon qui se marie rapporte une dot confortable à sa famille. C’est lui qui héritera de l’entreprise familiale et c’est la belle-fille qui s’occupera des parents quand ils seront vieux." Certes, depuis 1994, la loi interdit de dévoiler le sexe de l’enfant à naître lors d’une échographie, mais les scancenters clandestins se sont multipliés... accessibles à ceux qui peuvent en payer les "services". La CAPF travaille surtout auprès de ces futurs parents aisés que sont les étudiants. "Nous sommes sans cesse sur le fil du rasoir, entre affirmation du droit à l’avortement dans un pays où l’accès à la contraception estloin d’être généralisé, et lutte contre la détermination du sexe de l’enfant, explique Bijayalaxmi Nanda. " Sur les campus, mais aussi dans les quartiers populaires où la CAPF organise des débats, les jeunes femmes sont sensibles au discours de l’ONG, mais affirment: "Pourquoi est-ce mal de vouloir un garçon?" Quant aux hommes, ils ne se sentent pas concernés: "Ce sont les femmes qui avortent et les belles-mères qui les poussent", déclarent-ils souvent. "Nous devons leur faire comprendre que dans notre société patriarcale, la femme n’a pas le choix", répond Bijayalaxmi. Sunita, Poonam, Trisha, les petites chanteuses de la CAPF, sont aimées par leurs parents, mais elles sont marquées à jamais par ces petites phrases assassines qu’elles entendent à la maison: "Notre fils est notre avenir", "élever une fille, c’est arroser le jardin du voisin". Transformer des mentalités si ancrées tient du travail de Sisyphe. Mais Bijayalaxmi persiste à imaginer Sisyphe heureux: "On ne peut pas faire l’économie de ce combat. Et tous les jeunes n’ont pas perdu leurs idéaux."

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