Entretien

Colombie : "Nous avons réussi à sortir l’IVG du champ de la morale"

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Cristina Villareal docteur en psychologie et directrice générale de la Fondation Orientame en Colombie

"Au debut des annees 70, les avortements clandestins étaient la première cause

de mortalité maternelle en Colombie. C’est ce qui a poussé mon père, gynécologue, à créer en 1977 la fondation Orientame, pour venir en aide aux femmes devant faire face à une grossesse non désirée, quel que soit leur choix. Depuis son ouverture, notre centre médical a ainsi accueilli plus de 430000 femmes. Si l’avortement est interdit, la loi nous autorise à prendre en charge les avortement "inachevés". Par ailleurs, nous aidons les femmes qui le souhaitent à trouver une famille d’adoption pour leur bébé. Enfin, nous apportons un soutien à celles qui, parce qu’elles décident de garder et d’élever leur enfant, se retrouvent isolées. Renvoyées de l’université ou rejetées par leur famille, les mères célibataires ne peuvent trouver de travail, car la plupart des employeurs exigent un test de grossesse, bien que la loi l’interdise. Par le biais d’Orientame, elles peuvent être accueillies dans un couvent de religieuses jusqu’à l’accouchement. La militante féministe brésilienne Yvonne Guevara qualifiait les Etats sud-américains de "pays avorteurs": l’IVG "à la demande" y est interdite, mais la société rejette les mères célibataires... En Colombie, l’avortement clandestin reste ainsi, en 2006, la 3e cause de mortalité maternelle. Le 10 mai 2006, la Cour constitutionnelle a dépénalisé l’avortement, mais de manière restrictive: comme au Brésil ou au Mexique, la loi autorise désormais sa pratique en cas de viol ou lorsque la vie de la mère ou de l’enfant est menacée. Ce premier pas est le résultat de plusieurs années de travail d’une coordination d’organisations et de militants colombiens, appuyée par une organisation internationale de juristes. Cette avancée est importante à deux titres. Nous avons, d’une part, contré l’opposition de l’Eglise en sortant cette question du champ de la morale pour la placer sur le terrain du droit et de la santé publique. Ensuite, nous sommes parvenus à imposer ce sujet tabou dans le débat politique, en pleine période électorale. Les candidats à la présidentielle de mai dernier, tenus de prendre position sur cette question délicate, ont réagi plus souplement que par le passé, tenant compte de l’évolution de l’opinion publique, majoritairement favorable, selon les sondages, à la dépénalisation dans les cas extrêmes. Mais la bataille n’est pas finie, car les décrets d’application peuvent encore mettre de sérieux freins à la mise en oeuvre de la loi. Le gouvernement se rangera-t-il à l’avis du ministère de la Santé, favorable à ce que la sécurité sociale couvre les frais des IVG? Ecoutera-t-il les médecins qui invoquent le droit à l’objection de conscience ou certains juges qui refusent d’instruire des plaintes pour viol? Nous nous attendons aussi à une offensive musclée des mouvements anti-avortement, qui reçoivent des fonds des groupes religieux conservateurs américains."

Propos recueillis par Sarah Marechal

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