Maroc : notre plus fidèle allié

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Au Maroc, il n'y a plus guère d'endroit où les jeunes hommes, mais aussi de plus en plus de femmes et même de mineurs, ne rêvent du hrig. Le hrig (brûler, en arabe), c'est griller les feux rouges aux frontières de la misère, pour passer en Europe.

Trop tard. Car depuis quelques années et surtout après les morts de Ceuta et Melilla en 2005, la nasse s’est refermée. Aussi bien sur les Marocains eux-mêmes que sur les Africains venus du sud du Sahara pour tenter le passage. Ces derniers seraient environ 10 000, originaires pour la plupart du Nigeria, du Mali, du Sénégal ou du Cameroun à se retrouver dans le cul-de-sac marocain. Concentrés dans les quartiers populaires des villes ou les camps d’Oujda (proches de la frontière algérienne), ils vivent de petits boulots, mendicité et trafics divers.

Les principales routes migratoires vers l’Europe

Les Etats frontaliers de l’Union ne sont plus seulement de simples zones de transit vers l’Europe. En raison du durcissement de la politique communautaire, les candidats à l’émigration clandestine vers l’Ouest s’y installent dans la précarité, avec l’espoir de pouvoir, un jour, traverser la frontière.

Les principales routes migratoires vers l’Europe

Les Etats frontaliers de l’Union ne sont plus seulement de simples zones de transit vers l’Europe. En raison du durcissement de la politique communautaire, les candidats à l’émigration clandestine vers l’Ouest s’y installent dans la précarité, avec l’espoir de pouvoir, un jour, traverser la frontière.

Séparé de l’Espagne continentale par 14 km et par 80 de l’île de Fuerteventura (Canaries), le royaume chérifien a longtemps représenté l’ultime étape des migrants en route vers un monde meilleur. Mais après avoir quasiment fermé sa porte aux immigrés légaux dans la foulée des accords de Schengen, l’Union européenne s’est attaquée au dossier des " migrations irrégulières " sans lésiner sur les moyens. Elle dispose entre autres d’un Fonds pour les frontières extérieures doté de 2,1 milliards d’euros pour 2007-2013. Au Maghreb, l’UE oeuvre à la formation d’un " cordon sanitaire ", avec le Maroc comme meilleur allié. Le royaume chérifien, qui a bien compris que l’aide européenne était désormais conditionnée à sa politique migratoire, est entré en action. Tandis que l’Espagne déployait le Sive (Système intégré de vigilance extérieure), un dispositif quasi militaire visant à verrouiller ses côtes (estimé à 260 millions d’euros), Rabat créait une direction chargée de la migration et de la surveillance des frontières au sein du ministère de l’Intérieur, dotée de 11 000 hommes et de moyens sophistiqués. Selon ses responsables, cette force spéciale a fait chuter de 98 % le nombre de tentatives de traversée depuis les côtes du Sahara Occidental en 2006. Au nord, des patrouilles mixtes hispano-marocaines " sécurisent " la zone du détroit depuis 2004, et les enclaves de Ceuta et Melilla ont été transformées en forteresses.

Catastrophe humanitaire

Sur le plan juridique, la loi 02-03 sur les migrations irrégulières a été promulguée au Maroc le 11 novembre 2003, dans la foulée de la loi contre le terrorisme. Elle prévoit jusqu’à trente ans de prison pour les passeurs et des " zones d’attente " pour les clandestins. La même année, Rabat a entamé des négociations avec l’UE sur la signature d’un accord de réadmission. Cet instrument devrait autoriser les Européens à expulser vers le royaume les clandestins marocains ou ayant simplement transité par le Maroc. En échange, Rabat recevrait des fonds pour gérer la réinsertion des premiers et le retour des seconds dans leur pays. Longs et complexes, les pourparlers sont à leur onzième round, indique le ministère des Affaires étrangères.

Courant 2006, le représentant de l’UE à Rabat a adressé un satisfecit au Maroc pour sa politique migratoire et rappelé que ce pays était le premier bénéficiaire, à hauteur de 20 %, des fonds destinés aux pays méditerranéens (Meda). Au total, l’UE accorde au royaume près de 150 millions d’euros d’aides par an, sans compter les prêts. Quelques semaines plus tard, à Rabat, la conférence euro-africaine sur la migration consacrait l’approche sécuritaire du dossier. Elle a été suivie en août par le déblocage d’un appui budgétaire européen à la stratégie marocaine de 67 millions d’euros.

La campagne de l’UE et de son partenaire marocain contre les passages clandestins est absurde et tragique. Absurde parce que seuls 2 % à 3 % des étrangers en situation irrégulière en Europe arrivent clandestinement par voie de mer. Les autres entrent munis d’un visa touristique, trouvent un emploi qui répond en général à une demande de main-d’oeuvre bien réelle, puis " oublient " de rentrer chez eux.

Mais surtout, cette guerre se solde par une catastrophe humanitaire. Car les migrants embarquent désormais depuis les côtes mauritaniennes et sénégalaises. Plus long et plus cher, le voyage est beaucoup plus dangereux. Selon l’Association pour les droits humains d’Andalousie, près de 1 200 personnes l’ont payé de leur vie en 2006, soit trois fois plus qu’en 2005. L’autre " dommage collatéral " de la campagne contre les migrations illégales est le droit. En confiant la besogne à son allié marocain, peu regardant sur les méthodes, l’UE entérine de facto la violation systématique des droits des migrants et, au-delà, l’annihilation du régime de l’asile politique. Fin décembre 2006, quelque 500 "Subsahariens ", dont des femmes enceintes et des enfants, ont été raflés, reconduits à la frontière algérienne et abandonnés dans le désert glacial. Soixante-dix réfugiés politiques se trouvaient parmi les personnes embarquées. Malgré les attestations du HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) qu’ils pouvaient produire, ils ont subi le même traitement que leurs compagnons d’infortune. Et il a fallu l’intervention de ce dernier pour qu’ils puissent finalement regagner Rabat. Car si le Maroc accepte d’endosser l’uniforme de supergendarme que l’Europe lui assigne, il refuse de se muer en pays d’accueil des réfugiés politiques africains, pour la plupart originaires de Côte d’Ivoire et de République démocratique du Congo. Le royaume craint un " appel d’air " ingérable, alors qu’il est déjà confronté à de graves problèmes sociaux.

On peut se demander si l’Etat marocain s’interroge autant sur l’effet que le bouclage des frontières pourrait avoir sur ses propres citoyens, eux aussi privés de hrig désormais. Aujourd’hui, les 2,5 millions d’émigrés marocains en Europe, dont 10 % seraient en situation irrégulière, rapatrient 3,6 milliards d’euros par an (près de 9% du PIB) et font vivre des millions de familles pauvres. Dans un pays où plus du tiers de la population vit avec moins de 13 dirhams par jour (1,1 euro), la migration vers le nord a toujours représenté une soupape de sûreté sociale.

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