Ukraine : gages pour l’Europe

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Les deux millions d’Ukrainiens qui travaillent en Europe renvoient chaque année au pays natal environ 19 milliards de dollars. Une manne que l’Ukraine espère bien conforter grâce à l’accord signé avec l’Union, le 27 octobre dernier, dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV) 1.

Ce texte prévoit une délivrance des visas facilitée pour les Ukrainiens dans l’Union et gratuits pour certaines catégories de la population. En contrepartie de cet avantage, l’Europe en a obtenu deux : d’abord des assurances quant à son approvisionnement en gaz russe (qui passe par l’Ukraine) en hiver. Ensuite, un accord de réadmission par lequel l’Ukraine s’engage à récupérer les immigrés clandestins ukrainiens entrés dans l’Union, mais aussi ceux issus de pays tiers (ex-URSS, Asie, Afrique...) et soupçonnés d’avoir transité par l’Ukraine pour pénétrer sur le territoire d’un Etat membre.

Ce dernier point marque une avancée substantielle dans la guerre menée par l’Europe contre l’immigration irrégulière sur son flanc est. Par ses côtes de la mer Noire, l’Ukraine est plus perméable que l’hermétique Biélorussie ou que la Moldavie enclavée. Près de 26 000 migrants irréguliers ont été arrêtés sur le sol ukrainien en 2006, soit 44 % de plus qu’en 2005, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). Près d’un quart d’entre eux, Chinois, Indiens, Turcs, Pakistanais ou Caucasiens, l’ont été alors qu’ils tentaient de franchir ses frontières occidentales. Bien que la Commission européenne ait récemment douché les espoirs du président ukrainien quant à une éventuelle adhésion de son pays à l’Union, Kiev reste convaincu que la Politique européenne de voisinage est une manière de préparer sa candidature. L’Ukraine devrait donc ratifier l’accord d’octobre dernier dans un délai maximum de deux ans. C’est animé d’un espoir similaire, agrémenté de fonds d’assistance européens, que le pays avait ratifié en mai 2004 des accords de réadmission, bilatéraux ceux-là, avec la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie, qui entraient dans l’Union.

Chinois et russes d’abord|

Principaux pays d’origine des immigrés illégaux interceptés aux frontières ukrainiennes (2004)

Chinois et russes d’abord|

Principaux pays d’origine des immigrés illégaux interceptés aux frontières ukrainiennes (2004)

L’accord du 27 octobre dernier intervient alors qu’un rapport de Human Rights Watch vient de rappeler combien l’application de ces trois accords bilatéraux viole gravement le droit international 2. L’ONG témoigne d’expulsions sommaires des migrants et des demandeurs d’asile vers l’Ukraine " sans que les polices des frontières slovaque et polonaise aient déterminé, au préalable, leurs besoins de protection en tant que réfugiés ". Refoulés de l’Union, ces migrants finissent dans des camps de détention ukrainiens. Et le rapport de HRW décrit des conditions de surpopulation épouvantables dans les anciennes casernes de Chop et de Pavshina, aux confins de la Transcarpatie. Selon l’association de défense des droits de l’homme, les personnes détenues y subissent des " abus physiques ", des " agressions verbales ", des " extorsions ". Grâce à des fonds de l’Union européenne, l’OIM vient de construire deux nouveaux centres de " réception et de protection " à Lutsk et Cernihiv au nord du pays.

Les interpellations aux frontières de l’Ukraine

Depuis les élargissements de l’Union à l’Est, en mai 2004 et janvier 2007, l’Ukraine est devenue frontalière de la communauté européenne. Dès 2004, Kiev a conclu avec la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie des accords de réadmission qui l’obligent à reprendre les clandestins ayant transité par son territoire vers ces Etats.

Les interpellations aux frontières de l’Ukraine

Depuis les élargissements de l’Union à l’Est, en mai 2004 et janvier 2007, l’Ukraine est devenue frontalière de la communauté européenne. Dès 2004, Kiev a conclu avec la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie des accords de réadmission qui l’obligent à reprendre les clandestins ayant transité par son territoire vers ces Etats.

"Les gardes frontières ne peuvent détenir les migrants plus de six mois, explique l’avocat Olexandr Sergeyev, qui officie dans le camp de Pavschina. Entretemps, ils doivent les identifier. 90 % des détenus finissent par demander l’asile, car c’est la seule façon pour eux de sortir du camp. " Certains, cependant, sont déportés comme les Tchétchènes du fait d’un accord informel liant les services de sécurité russes et ukrainiens. Sauf à obtenir rapidement l’assistance d’une ONG qui avertit à son tour le HCR, il est quasiment impossible à un Tchétchène de déposer une demande de statut de réfugié en Ukraine. Les détenus des camps de rétention qui, eux, sont autorisés par l’administration ukrainienne à déposer une telle demande sont libérés et munis d’un droit de séjour provisoire, pendant que leur requête est examinée. " En réalité, la plupart d’entre eux tentent de passer en Europe, poursuit l’avocat. Et après deux ou trois semaines, on les voit revenir en détention pour des mois. " Quant à ceux qui espèrent obtenir le fameux statut, ils doivent patienter. Car la procédure peut durer jusqu’à quatre ans et l’administration reconnaît comme réfugiés à peine 1 % par an des demandeurs d’asile, selon le HCR à Kiev. " En théorie, reprend Olexandr Sergeyev, tous ceux qui voient leur demande rejetée devraient être reconduits vers leurs pays d’origine, mais l’Etat ukrainien n’en a même pas les moyens. Du coup, beaucoup restent illégalement dans le pays et vivent d’expédients. "

Accord avec la russie

L’Union estime que l’accord de réadmission d’octobre est un pas important, mais il contraint toujours les Etats membres voisins de l’Ukraine à consacrer beaucoup de moyens pour surveiller leurs frontières avec ce pays. Elle entend donc aider Kiev à interpeller les clandestins sur son sol avant qu’ils gagnent l’ouest du pays. Pour ce faire, la Commission européenne prépare notamment avec le ministère ukrainien des Affaires intérieures une vaste réforme de la police. " Un département en charge de la lutte contre l’immigration illégale et le trafic des personnes va être créé courant 2007, explique Bernhard Bogensperger, chargé d’affaire à la délégation de la Commission à Kiev. Il s’agit d’élever l’arrestation des immigrés clandestins au sein du territoire ukrainien au même niveau d’efficacité que sur les frontières européennes de l’Ukraine. " L’Ukraine a intégré la logique européenne. Dans l’espoir de se défausser à son tour des migrants clandestins sur l’un de ses voisins orientaux, elle a conclu en décembre 2006 un accord de réadmission avec Moscou. La Russie a signé avec beaucoup de réticence ce texte l’obligeant en principe à récupérer les migrants clandestins soupçonnés d’avoir transité par son territoire. Encore faut-il qu’elle le ratifie et l’applique.

  • 1. Elaborée en vue des élargissements de 2004 et 2007, la PEV offre à ses voisins de l’Est, des côtes Sud et de la Méditerranée, une intégration économique, des relations politiques et culturelles approfondies, en échange de progrès dans le respect des valeurs communes. Selon des observateurs, la PEV bascule vers un mode de gestion sécuritaire des périphéries européennes.
  • 2. Octobre 2006. Site: www.hrw.org

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