les irakiens racontent

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Plusieurs dizaines de milliers de civils sont morts depuis 2003. Mais que savons-nous de l'état réel de l'Irak? Comment y vit-on au quotidien? Ce dossier donne la parole à des Irakiens, qui décrivent et analysent le chaos de leur pays. De l'intérieur.

Par Yann Mens

Ils apparaissent chaque jour dans nos médias, mais nous ne les voyons plus. Ou à peine. Leurs visages, leurs existences, leurs identités individuelles sont remplacés par des expressions atroces, presque convenues désormais à force d’être répétées, et qui disent la mort au quotidien : " victimes d’un attentat à la voiture piégée ", " corps abandonnés le long d’une rue ", " cadavres décapités ".... Les Irakiens sont devenus des fantômes hagards qui traversent les écrans des télévisions dans un décor de gravats et de tôles tordues.

Ils avaient subi dans la quasi-indifférence du reste du monde la tyrannie sanguinaire de Saddam Hussein. Depuis quatre ans, par l’irresponsabilité d’une administration américaine qui prétendait refaire le Moyen-Orient à son image, ou plutôt à l’idée qu’elle s’en fait, ils ont été précipités sous nos yeux dans une anarchie où la violence peut frapper n’importe qui, n’importe quand. Leur pays, et surtout sa capitale, évoquent le spectre du Beyrouth de la longue guerre civile (1975-1991) où, à son corps défendant souvent, chacun s’est retrouvé enfermé dans une communauté sous la contrainte des armes. Et bientôt confiné dans un quartier où ne vivent que d’autres membres de ce groupe confessionnel ou ethnique. En Irak, les premières victimes de la violence sont désormais les civils plus que les guerriers. Et chaque faction convoque à sa convenance la religion, l’histoire et la mémoire pour justifier le sang ainsi versé. Comme au Liban enfin, les milices s’appuient sur des parrains étrangers qu’elles manipulent autant que ces Etats les contrôlent, car elles tiennent un terrain où leurs protecteurs intéressés veulent s’engager eux-mêmes le moins possible. Ni Washington, ni Téhéran, ni les Etats arabes de la région ne semblent capables de rétablir un minimum de sécurité dans les rues de Bagdad. Et les pays qui, à juste titre avaient prédit la catastrophe, restent eux-mêmes muets, car à part ressasser qu’ils avaient raison, ils n’ont aucun remède à suggérer, aucune aide à proposer tant l’Irak est un cauchemar que le reste du monde cherche à fuir. Les Irakiens aussi. Et quelques-uns, souvent les plus aisés, le font. Mais tous les autres sont enfermés dans leur pays comme dans une prison où il leur faut non seulement échapper aux bombes, mais se démener chaque jour pour trouver l’eau potable, les médicaments, la nourriture, et même l’essence dans ce grand pays pétrolier...

C’est pourtant cette nation irakienne à genoux qui devra soigner elle-même les blessures que la dictature, puis l’occupation et la guerre lui ont infligées. Pour cela, il lui faudra trouver la force de se réunir malgré le souvenir des morts que chacun ne peut oublier et malgré les immixtions étrangères. C’est sa voix, ténue, plurielle, que nous devons écouter aujourd’hui par-dessus le fracas des armes, par-delà les cris de haine ethnique ou confessionnelle.

L’épuration confessionnelle

Services publics : "Les blessés meurent, faute de médicaments"

L’effondrement d’un pays pétrolier

"Les etats-unis sont manipu lés par leurs alliés chiites"

"La partition n’est pas une solution pour les Kurdes"

Tous les articles de ce dossier ont été écrits ou coécrits par des auteurs irakiens vivant dans leur pays ou à l’étranger (Liban, Jordanie). Ils sont universitaires, chercheurs ou journalistes, comme les jeunes reporters formés par l’Institute for War and Peace Reporting, qui a perdu deux de ses collaborateurs depuis 2003.

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