Palestine : "notre seule richesse c’est le capital humain"

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En 2005, 98 % des élèves de primaire étaient scolarisés. Grâce au soutien international et à une volonté politique de l'Autorité palestinienne. Reportage.

Les nuées d’enfants vêtus de la traditionnelle blouse à rayures bleues et blanches ont réapparu dans les villes et les villages des Territoires occupés. Fermées depuis septembre dernier du fait la grève des employées de l’Autorité palestinienne, les écoles publiques ont finalement rouvert leurs portes au début du mois de janvier. Les professeurs, privés de salaires par l’embargo financier auquel est soumis le gouvernement palestinien dirigé par les islamistes du Hamas, ont cédé devant les promesses de paiement du ministre de l’Education et le début de grogne des parents. Avec quatre mois de retard, la Palestine a donc fait sa rentrée des classes. Mais il est encore beaucoup trop tôt pour parler de retour à la normale. " Imaginez la situation, soupire Cairo Arafat, en charge de la coordination de l’aide au ministère de la Planification. Les donateurs étrangers, comme l’Unicef, nous offrent des dizaines de milliers de cartables mais nous n’avons pas d’argent pour y mettre des manuels et nos classes sont surpeuplées ".

Depuis le début de l’Intifada, les responsables du ministère de l’Education jonglaient déjà avec les bouclages, les check-points, les couvre-feux et le mur de séparation qui entravent le déplacement des professeurs et des élèves entre leur domicile et leurs classes. Selon l’Unicef, durant l’année 2005-2006, 144 écoles et 65 000 élèves (environ 13 %) ont été affectés d’une manière ou d’une autre par la répression de l’Intifada. " Avec l’arrivée au pouvoir du Hamas et la mise en place de l’embargo international, tous nos projets de développement sont gelés, dit Cairo Arafat. Nous n’avons eu que six années, entre 1994 et 2000, pour bâtir un système éducatif digne de ce nom. "

600 établissemnts ouverts en dix ans

L’Autorité palestinienne n’a pas à rougir des résultats obtenus durant cette période. En septembre 2005, 480 000 enfants étaient inscrits en primaire, soit un taux de scolarisation de 98 %, filles et garçons à égalité. Près de 60 % de ces élèves étudient dans le système public, 30 % dans les écoles gérées par l’Unrwa, l’agence des Nations unies en charge des réfugiés et 10 % dans le privé. Ce score est méritant car le régime de feu Yasser Arafat a hérité en 1994 d’une administration en lambeaux. Négligées par les autorités militaires israéliennes, responsables de l’éducation en leur qualité d’occupant, les écoles dans les Territoires occupés manquaient de tout : espace, équipement et personnel compétent. En dix ans, près de 600 établissements ont été ouverts ou réhabilités. La soif d’apprendre des Palestiniens était d’autant plus grande que, durant la première Intifada (1987-1993), l’armée israélienne avait fermé les écoles durant deux ans.

Ce renouveau n’aurait pu exister sans la communauté internationale qui a assumé, en 2006, 41 % des 240 millions de dollars dépensés dans le secteur éducatif, ce qui permet au ministère de l’Education de couvrir le traitement de 38 000 enseignants. " Grâce aux donateurs, nous avons pris un véritable élan ", dit Basri Salah, directeur des relations internationales au ministère de l’Education. Au premier rang de ces partenaires, les pays européens, notamment l’Allemagne et la Norvège, qui a payé par exemple la construction du ministère à Ramallah. " Avec ce soutien, ajoute Basri Salah, nous avons développé la formation permanente et commencé à équiper les écoles en laboratoires informatiques. A la fin des années 90, nous étions à la pointe de l’innovation dans la région. "

A l’inverse des secteurs de l’agriculture et de la santé, où une véritable rivalité existe entre les ONG et l’Autorité palestinienne, dans l’éducation la coopération fonctionne relativement bien. L’organisation Tamer par exemple, financée depuis près de vingt ans par la coopération suédoise, mène auprès des instituteurs une campagne de lutte contre les châtiments corporels. Elle anime aussi des ateliers parascolaires pour développer le goût de la lecture chez les jeunes (concours de nouvelles, rédaction d’un journal, création de bibliothèques dans les villages...). " On ne se marche pas sur les pieds car les ONG sont de petite taille et les rôles définis, dit Cairo Arafat. A nous le travail d’éducation élémentaire, à elles le soutien scolaire et les pédagogies informelles. ".

Des manuels made in palestine

L’un des principaux chantiers éducatifs menés en partenariat avec les donateurs fut le remplacement des manuels jordaniens et égyptiens utilisés respectivement dans les écoles de Cisjordanie et de Gaza par des livres made in Palestine. Cette entreprise se heurta au harcèlement de certains organismes pro-israéliens, décidés à voir dans la moindre lacune ou maladresse une incitation à la haine et à la négation de l’existence de l’Etat juif. " Bien que de nombreux rapports indépendants nous aient lavés de tout soupçon, ces accusations ont eu un impact sur les donateurs et ont ralenti notre travail, dit Basri Salah. Ce n’est qu’à la rentrée 2000 que nous avons mis en service le premier manuel 100 % palestinien." Six ans plus tard, le programme scolaire palestinien est achevé. Des ouvrages ont été élaborés pour toutes les disciplines. Y compris en matière d’éducation civique et d’instruction religieuse chrétienne.

Mais depuis la victoire du Hamas, le financement de l’éducation a été revu à la baisse. "Surtout, l’Autorité palestinienne n’a plus vraiment le contrôle de l’usage des fonds, précise Cairo Arafat. Leur plus grosse partie est gérée par le TIM (Temporary International Mechanism), [circuit de financement mis au point pour contourner le gouvernement Hamas, NDLR] et compense la confiscation par Israël des droits de douane qui alimentaient son budget ". Les agences de coopération et les institutions internationales ne se risquent plus dans les locaux du ministère, de peur de devoir y serrer la main de Nasser Shaer, le ministre, islamiste, mais non membre du Hamas. Lorsqu’une réunion s’impose, elle se déroule dans un hôtel de Ramallah, avec des hauts fonctionnaires " neutres ". "Nous régressons, dit Cairo Arafat. Nous ne construisons plus d’écoles. La formation est à la traîne. C’est une situation typique de dé-développement. Pour nous Palestiniens, c’est tragique, car notre seule richesse, c’est le capital humain. "

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