Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais, (1959-1994)

Par Gabriel Périès et David Servenay (La Découverte, 415 p., 25 euros).

Deux livres en un, sur le thème controversé des causes - et donc, des responsables - du génocide rwandais de 1994. D’une part, les auteurs consacrent un long développement - peu convaincant - à la défense de leur thèse, fil d’Ariane de l’ouvrage  : "  Les règles intimes ayant présidé au déclenchement du génocide des Tutsis appartiennent à la grande famille des doctrines militaires dites de la guerre antisubversive.  " Autrement dit, ils établissent "  une filiation intellectuelle  " entre les conceptions du colonel français Charles Lacheroy pour contrer la stratégie du Vietminh en Indochine, le "  dispositif antiterroriste" mis en place par le colonel Roger Trinquier dans la Casbah lors de la bataille d’Alger et le génocide rwandais.

D’autre part, l’universitaire et le journaliste de RFI ont mené un minutieux travail d’enquête - recueil de témoignages et dépouillement d’archives - dont ils livrent les résultats avec une grande honnêteté. C’est-à-dire sans occulter les éléments qui peuvent contrarier leur analyse. Si tout atteste du soutien indéfectible de François Mitterrand au régime de Juvénal Habyarimana, les documents cités montrent qu’à l’Elysée, on est conscient des risques de dérapage et que l’on mesure l’appui militaire au régime en place à Kigali. Ainsi, début octobre 1990, au lendemain de la percée du FPR en provenance d’Ouganda, le président rwandais tire la sonnette d’alarme et réclame à Paris "  des avions de chasse Jaguar  ". Demande rejetée. Dans une note à François Mitterrand du 11 octobre 1990, l’amiral Lanxade, alors chef d’état-major particulier, écrit  : "  Nous ne devons pas paraître trop impliqués dans le soutien aux forces rwandaises si des exactions graves envers la population étaient mises en évidence...  " L’attaché de défense à Kigali, le colonel René Galinié, fait part - douloureuse prémonition - des risques de génocide le 24 octobre 1990  : "  Le retour au pouvoir des envahisseurs tutsis entraînerait selon toute vraisemblance l’élimination physique des Tutsis de l’intérieur (de 500 000 à 700 000 personnes) par les Hutus.  "

L’enquête souligne l’implication des militaires français - successeurs des Belges - dans la formation des gendarmes, puis de l’armée rwandaise. Dès les années 70, des officiers français dispensent des cours à leurs jeunes collègues de Kigali. Les anciens élèves confirment que les méthodes de la lutte antisubversive étaient étudiées par le menu. Peut-on considérer pour autant que les galonnés français ont armé le bras des génocidaires  ? Les auteurs semblent eux-mêmes en douter, puisqu’aujourd’hui, signalent-ils dans une conclusion en forme de contre-pied, les officiers (du Rwanda de Paul Kagamé) ont droit à un cours de guerre révolutionnaire à l’Académie militaire de Nyakimana...  "

Sans être sûr de mieux approcher la complexité rwandaise, on suggère aux auteurs un second volume  : une enquête sur les responsabilités indirectes de l’Empire du milieu, de l’Union européenne et de la Banque mondiale. La Chine n’a-t-elle pas exporté au Rwanda 500 000 machettes entre 1992 et 1994, payées grâce au détournement de l’aide des grands bailleurs de fonds occidentaux  ?

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