Balkans

Une identité de langue,et non de religion

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Au Kosovo, chrétiens et musulmans se côtoient traditionnellement sans heurts, et la pratique de l'islam par la majorité albanaise ne comporte pas de dimension politique affirmée.

Convertis progressivement à l’islam au fur et à mesure des conquêtes ottomanes, les Albanais n’ont pu fonder leur cohésion nationale sur une unité confessionnelle aléatoire. Aujourd’hui encore, la religion ne s’immisce pas plus dans la sphère politique qu’elle n’alimente les revendications identitaires.

Si la plupart des Albanais étaient orthodoxes jusqu’au XIVe siècle, la situation a changé sous l’Empire ottoman, où toutes les confessions étaient tolérées mais où le culte de l’islam ouvrait les portes aux droits et privilèges offerts par le pouvoir. Une grande majorité de la population s’est ainsi convertie pour éviter de payer des impôts, voire pour briguer une carrière à Istanbul, tandis que l’Empire encourageait le mouvement afin de consolider ses confins.

Avant la première guerre mondiale, les populations albanaises des Balkans rassemblaient donc un tiers de chrétiens (orthodoxes et catholiques) et deux tiers de musulmans sunnites, dont plusieurs variantes du soufisme. Dans ces conditions, la religion n’a pas représenté un facteur constitutif du sentiment national, et les premiers mouvements nationalistes du XXe siècle se sont organisés sur la base de la langue.

L’ONU prise à contre-pied

Les catholiques sont aujourd’hui une minorité (5 %) au sein de la population du Kosovo, ce qui n’exclut pas qu’ils exercent librement leur religion dans un esprit d’oecuménisme qui a longtemps été le privilège des Balkans. Beaucoup de Kosovars se rendent à la messe de minuit le 24 décembre, de même que tout croyant ou non-croyant est invité à partager le repas du soir du ramadan - iftar. A son arrivée au Kosovo en 1999, l’équipe des Nations unies a été la première surprise par la tolérance des responsables locaux, qui ont accepté - comme chaque année - de décorer les rues de la capitale pour célébrer Noël. Les leaders kosovars albanais ont ainsi ramené l’administration internationale à la réalité d’une situation où, selon leurs propres termes, " ils n’avaient pas de problèmes avec la religion, mais avec les Serbes ". Les membres de la mission onusienne ont hâtivement rapproché la situation kosovare de celle de la Bosnie-Herzégovine, oubliant, au passage, que dans cette dernière la religion a été instrumentalisée à des fins guerrières. Enfin, ils ont plaqué des schémas préconçus, parmi lesquels le mythe d’une invasion musulmane. Or, plutôt qu’à une infiltration de l’islam au Kosovo, on assiste ces derniers temps à la consolidation des Eglises évangéliques américaines, dont la puissance financière ne serait pas le moindre des atouts. Hommes de lettres et de la vie publique se sont efforcés de souligner l’absence de liens entre l’identité nationale et la religion. De l’écrivain albanais Ismail Kadaré à Bardhyl Mahmuti, membre du directoire politique de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), le message est que " la variable religieuse ne joue pas un rôle dans ce conflit " et que " le fanatisme religieux est étranger " au peuple albanais. De son côté, Bernard Kouchner, à la tête de la mission des Nations unies (Minuk), avait souligné que l’islam n’était pas une référence dans la lutte des Kosovars albanais.

L’église derrière Milosevic

Les atteintes au patrimoine orthodoxe, notamment pendant les violences de mars 2004 où vingt-neuf églises et monastères ont été détruits ou gravement endommagés, ne ressortissent pas non plus à une dynamique islamiste radicale : au plus fort de l’incertitude sur le futur du Kosovo, les crispations albanaises tendent à se concentrer sur les représentants du pouvoir serbe, politiques comme religieux. Or, l’Eglise orthodoxe a joué un rôle moteur dans la construction de l’Etat serbe, jusqu’à se compromettre avec le pouvoir de Slobodan Milosevic en soutenant les projets réactualisés d’une " Grande Serbie ". Aux XIIIe et XIVe siècles, durant le règne du prince serbe Dušan, de nombreux monastères (Gra?c anica, De?c ani) ont été construits et sont devenus des centres de la vie artistique et intellectuelle (voir la carte ci contre). Aux yeux des nationalistes serbes, la présence de ces édifices a matérialisé les " droits historiques " légitimant la reconquête territoriale et spirituelle du Kosovo. Cette présence a constitué un sujet délicat dans le processus de négociations chapeauté par l’ONU.

Etats-Unis libérateurs

Ce sont donc moins les appartenances religieuses que les prétentions politiques à gouverner un territoire qui fondent les oppositions au Kosovo. La majorité musulmane n’est en rien fanatique, et si quelques zélotes font du prosélytisme, aucun leader religieux ne brigue le pouvoir. Le Parti de la justice (Partia e Drejtësisë, PD), qui se réclame d’un islam modéré, constitue une force politique marginale, puisqu’il n’a jamais rassemblé plus d’1 % des voix. Certains imams exercent des responsabilités au sein de divers partis, mais sans qu’il y ait d’intrusion du religieux dans la sphère publique, laquelle ne cherche pas à " capter " le référentiel religieux. La pratique de l’islam n’implique aucune contestation de l’ordre international ou de " l’impérialisme américain " ; tous les responsables locaux ont d’ailleurs condamné les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, qui sont considérés comme les libérateurs du Kosovo. Dans l’ensemble, les tentatives d’introduire un islam radical ne sont pas soutenues par la population, qui apprécie en revanche les projets de développement tels que la cité de logements sociaux construite à Podujevë/Podujevo par le Koweït. Quelques ONG financées par les Emirats arabes unis ou l’Arabie saoudite ont ainsi échoué à convaincre leurs interlocuteurs de suivre les préceptes du Coran en échange d’une aide économique. Pour beaucoup de Kosovars qui ont vécu dans les pays d’Europe occidentale, le mode de vie auquel ils aspirent est totalement à l’opposé de celui qu’un régime islamiste propose. L’attachement à la religion musulmane de la majorité des Kosovars albanais ne constitue donc pas une revendication identitaire, encore moins un moyen de contestation de l’universalisation des modes occidentaux ou un obstacle au processus de construction démocratique.

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