Eaux, sols, climat : polluer moins, produire autant

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Les pratiques agricoles qui dégradent l'environnement peuvent être maîtrisées. Sans diminuer les quantités produites.

Les relations entre agriculture et environnement n’ont rien d’un fleuve tranquille : les premières traces de pesticides dans les eaux ont été enregistrées dans les années 1970 - une pollution dueaux méthodes de production intensives (engrais chimiques, concentration du cheptel) ; le développement de la monoculture a imposé les variétés de semences ou les races d’animaux les plus productives, nuisant à la biodiversité ; l’abandon du gel des terres, déjà encouragé par le développement des agrocarburants (lire p. 42), a été décidé à l’automne 2007 par Bruxelles pour répondre à la hausse de la demande mondiale de produits agricoles. Or la jachère était devenue un refuge pour de multiples espèces et un rempart contre l’érosion. Ce bilan est encore assombri par la menace que font courir les OGM : les risques de contamination par pollinisation des cultures traditionnelles ont été mis en avant par la France et six autres pays de l’UE pour exercer la " clause de sauvegarde " et interdire sur leur territoire la vente du maïs modifié génétiquement par Monsanto, la seule variété aujourd’hui cultivée en Europe et autorisée par Bruxelles.

Face à ces dégradations, la Commission européenne tente de faire avancer la réglementation : la directive nitrates de 1991 a ainsi fixé un seuil maximal de 50 mg par litre d’eau dans les nappes et les rivières. Reste que plusieurs Etats membres ne la respectent toujours pas - dont la France. Et en 2001 a été adopté un " plan biodiversité " encourageant les actions telle la mise en place de zones protégées. Une directive plus contraignante est aujourd’hui à l’étude.

" Tous ne jouent pas le jeu "

Depuis 1999, les réformes de la PAC ont elles aussi cherché à inverser le mouvement : les aides au revenu des agriculteurs, dites du premier pilier, ont été complétées par un deuxième pilier en faveur du développement rural. Certaines des subventions qu’il prévoit sont accordées en contrepartie de pratiques environnementales : par exemple, elles rémunèrent la réintroduction de haies pour favoriser la biodiversité. " Ces aides agroenvironnementales, pas très importantes (2 milliards d’euros par an, contre près de 34 milliards d’aides directes aux revenus en 2005, N.D.L.R.), ne concernent que les volontaires, critique Pierre Dupraz, chercheur à l’Institut national de recherche agronomique (Inra). Et le résultat est limité : un producteur peut augmenter la taille des bandes herbées le long des cours d’eau, censées faire barrage aux nitrates. Mais si son voisin n’a pas pris les mêmes engagements, sa conduite n’a quasiment aucun impact, continue-t-il. Et ce sont souvent les moins productifs, donc les moins polluants, qui ont souscrit à ces dispositifs, pour compléter les sommes perçues par ailleurs. " En 2003, une étape est franchie : les aides directes, l’essentiel des subventions, sont conditionnées au respect de normes environnementales. " Les contrô­les étant peu nombreux - 1 % des exploitations chaque année -, tous ne jouent pas le jeu. Une augmentation des taxes sur les produits phytosanitaires s’adresserait à tous et serait difficilement contournable ", poursuit le chercheur.

Surcroît de travail

Cette décision de taxer les intrants n’entraînerait pas forcément une chute des rendements : une étude réalisée par l’Inra sur des exploitations céréalières souligne qu’on peut pratiquement obtenir la même production à l’hectare avec une utilisation très limitée des produits phytosanitaires (usages ponctuels, calcul le plus précis possible des doses nécessaires). Toutefois, ces techniques demandent une surveillance assidue des parcelles et impliquent un surcroît de travail. La taxation des pesticides aurait également des répercussions sur l’alimentation animale : elle devrait favoriser le recours à l’herbe au détriment du maïs et encourager l’extensification des élevages. Au-delà se pose la question de la diminution de la taille des cheptels : " Une vache produit autant de gaz à effet de serre qu’une voiture ", rappelle Stéphane De Cara, chercheur de l’Inra aussi. Outre les déjections animales émettrices de méthane, il faut en effet se souvenir que pour obtenir une calorie de viande bovine, il a fallu produire onze calories d’origine végétale, donc utiliser du carburant et des engrais, et contribuer au réchauffement climatique. Limiter les émissions d’origine animale impliquerait donc d’adopter des régimes alimentaires moins carnés.

L’agriculture représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe - 20 % en France -, et Bruxelles, dans son plan climat présenté en janvier, entend bien que ce secteur contribue à la lutte contre le changement climatique. " Les leviers sur lesquels on peut agir sont limités : réduire la taille du cheptel et la consommation d’engrais, libérer des terres agricoles pour planter des forêts. Dans tous les cas, prévoit le chercheur, les arbitrages seront complexes. "

L’agriculture biologique reste très marginale

L’essor d’une agriculture " durable " nécessitera en particulier une redistribution des subventions qui, aujourd’hui, profitent aux agriculteurs les plus polluants. Dans une note publiée par l’Inra 1, des chercheurs préconisent un renforcement des normes environnementales qui conditionnent les aides du premier pilier. Ils recommandent que les aides du deuxième pilier - qu’il faudrait par ailleurs accroître - soient restreintes au financement de pratiques volontaires vraiment exigeantes, comme la reconversion à l’agriculture biologique. " Les syndicats agricoles comme la FNSEA n’y sont pas prêts : pour eux, le deuxième pilier de la PAC doit compenser la baisse des aides aux producteurs provoquée par les différentes réformes de la politique agricole européenne. Cependant, la hausse actuelle des cours permet aux agriculteurs d’augmenter leur revenu ; cela représente de nouvelles marges de manoeuvre. Il faut en profiter ", conclut Pierre Dupraz.

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