Entretien

Réforme de la PAC : " pourquoi soutenir les revenus agricoles ? "

6 min
Hervé Guyomard Agroéconomiste et directeur scientifique à l'Inra. Ses travaux portent notamment sur la politique agricole commune et les liens de celle-ci avec l'OMC.
Gérard Choplin Agronome et animateur de la Coordination paysanne européenne (CPE), qui regroupe vingt-quatre organisations paysannes et rurales dans quatorze pays (dont, en France, la Confédération paysanne et le Modef). www.cpefarmers.org

Aujourd’hui, les agriculteurs reçoivent des aides de Bruxelles, qu’ils produisent ou non. C’est légitime ?

Gérard Choplin. Les aides " découplées " de la production, introduites par la réforme de la PAC de 2003, sont devenues le principal mode de soutien des agriculteurs européens. Elles manquent de légitimité tant sur le plan international qu’intérieur. Leur instauration est liée aux règles de l’OMC : elles ont fait passer les soutiens de la PAC de la caté­gorie des aides interdites par l’OMC à celle des aides autorisées, la fameuse " boîte verte " (lire p. 30). Celle-ci est née en 1992 avec les accords de Blair House où les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) s’entendirent sur le moyen de mettre leurs aides - fondées sur le soutien des marchés -à l’abri du futur accord agricole de l’OMC, signé en 1994. Au lieu de changer de politique agricole, on a simplement changé l’instrument du dumping : les aides directes aux producteurs ont remplacé les subventions aux exportations. Le reste du monde n’était pas dupe, mais l’Europe et les Etats-Unis étaient alors assez forts pour imposer cela. Ce qui n’est plus vrai. C’est l’une des raisons du blocage actuel des négociations de l’OMC. Par ailleurs, leur répartition étant très inégale, ces aides sont dans bien des cas difficiles à justifier sur le plan social. La réforme de 2003 n’a pas non plus permis de rompre avec un modèle intensif nuisible à l’environnement. Ce manque de légitimité crée les conditions d’une baisse du soutien à l’agriculture lors de la révision, en 2009, du budget de l’UE pour l’après-2013.

Hervé Guyomard. Les réformes successives de la PAC avaient certes pour objet de rendre les aides européennes " OMC-compatibles ". Mais l’Europe ne perturbe plus autant les marchés internationaux qu’avant. Tout en conservant un important soutien à l’agriculture, elle a plutôt contenu sa pro-duction et a même perdu des marchés à l’exportation, comme sur le lait.

Si l’objectif des pouvoirs publics est le soutien du revenu agricole, le faire par des aides découplées semble être ce qu’il y a de plus efficace et de moins coûteux - du point de vue des finances publiques comme de celui des consommateurs. Mais tout autant que la question du bien-fondé de tel ou tel mode de soutien, il convient de poser celle des objectifs assignés à la PAC : faut-il soutenir les revenus agricoles - c’est-à-dire d’une catégorie socioprofessionnelle particulière ?

Avec le débat sur la réforme de la PAC ouvert en novembre dernier, la Commission ne pose-t-elle pas justement la question des objectifs ?

G. C. Non. Ces discussions portent sur des ajustements limités de la réforme de la PAC de 2003 pour la période 2009-2013. En ce qui concerne les aides directes, la Commission propose d’en transférer davantage vers les fonds consacrés au développement rural, de les plafonner et d’attribuer à chaque hectare d’une même région un même montant forfaitaire.

L’enjeu le plus important est celui de la refonte de la PAC pour l’après-2013, qui se décidera en même temps que la renégociation du budget de l’Union. Ce sera l’occasion d’un débat européen sur les objectifs de la PAC. Cependant, on peut s’inquiéter de la manière dont il sera mené. Michel Barnier, le ministre de l’Agriculture français, a convoqué ses collègues européens à plancher sur la PAC 2013 en septembre 2008, dans le cadre d’une réunion informelle du Conseil agricole. La France, qui présidera l’UE dès juillet, veut ainsi accélérer les discussions, car à partir du 1er janvier 2009, si le traité européen est ratifié, le Parlement européen aura - avec les ministres - la codécision sur l’agriculture. Paris n’a, semble-t-il, pas très envie que les parlementaires européens se mêlent de ce sujet.

Quels devraient être les objectifs d’une politique agricole commune ?

H. G. J’en vois quatre. En premier lieu, se donner les moyens de stabiliser les cours des produits agricoles - sans engendrer de distorsions excessives par rapport aux prix mondiaux ; il ne s’agit pas de renouer avec les montagnes d’excédents d’autrefois ! La stabilité n’en est pas moins un objectif public légitime : ni les producteurs, ni les transformateurs, ni les consommateurs n’ont intérêt à ce que les cours fassent le yo-yo. Or les variations observées au jour le jour sont extrê­mes. Le deuxième objectif, c’est l’environnement. L’agriculture occupe plus de la moitié des sols en Europe. Elle utilise de nombreuses ressources naturelles, et a un impact sur celles-ci. Des aides au titre de la protection de l’environnement sont justifiées si elles ont pour contrepartie le respect de contraintes à la hauteur des enjeux, qu’il s’agisse de biodiversité ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Troisième objectif : empêcher la désertification et permettre un développement harmonieux de tous les territoires. Des soutiens dans ce domaine me paraissent légitimes, et tous ceux qui y contribuent devraient en bénéficier, agriculteurs ou non. J’ajouterais un dernier objectif, qui relève non des aides mais de la réglementation : équilibrer les rapports de force dans les filières, compte tenu de la concentration élevée en aval (industrie de transformation, distribution) et surtout en amont (produits phytosanitaires, engrais) de la chaîne agroalimentaire. Il s’agit de répartir équitablement les profits entre les différents acteurs des filières.

G. C. Je vous rejoins... jusqu’à un certain point. Aujourd’hui, tandis qu’une partie croissante de la production de vin, de sucre, de fruits et légumes, de poulet se délocalise, nous continuons d’importer les trois quarts de nos protéines végétales. Trop miser sur les marchés extérieurs est un pari risqué, face aux aléas politiques et économiques. L’Europe devrait plutôt garantir sa sécurité alimentaire, tout en pré­servant ses ressources naturelles et en occupant l’espace avec des exploitations assez nombreuses. Or, on n’attirera pas de jeunes dans ce métier si leur revenu dépend d’aides promises à la réduction à chaque réforme de la PAC. Il faut au contraire qu’ils puissent compter sur des prix agricoles stables et corrélés avec leurs coûts de production, complétés par des aides directes pour les régions défavorisées et les petites exploitations.

H. G. En pratique, cette option aboutirait à fermer les frontières de l’Europe aux produits agricoles étrangers. Pourrons-nous alors demander à nos partenaires d’ouvrir leurs marchés à nos services, à nos TGV ? Je crains qu’une telle politique de repli agricole ne s’avère au final très coûteuse, car elle pourrait dégénérer en repli sur tous les produits et en guerre commerciale. Il n’y a rien de déshonorant à ce qu’une partie de votre revenu soit assurée par des aides publiques si celles-ci sont versées en contrepartie de services environnementaux et territoriaux souhaités par la société et que le seul marché ne peut pas rémunérer.

G. C. Nous ne sommes bien sûr pas pour fermer les frontières, mais il ne faut pas faire du commerce une priorité, surtout quand il s’agit de lutter contre le changement climatique.

Vous vous rejoignez sur les objectifs, pas sur la manière d’y parvenir. Mais repenser la PAC est-il, d’un point de vue politique, seulement possible ?

G. C. C’est indispensable, mais difficile dès lors que les Etats ne raisonnent pas en termes d’intérêt européen mais de considérations nationales. Dans les négociations, chacun avance calculette en poche, les yeux rivés à son " taux de retour budgé­taire " : " Vais-je recevoir plus ou moins de la PAC par rapport à ce que je donne déjà ? ". Du coup, la discussion sur le fond passe à l’arrière-plan.

Propos recueillis par Antoine de Ravignan

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