Israël : les homosexuels résistent aux rabbins ultras

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Dans l'Etat hébreu, les gays et les lesbiennes ont conquis de nombreux droits dont celui d'adopter en couple. Mais d'influents chefs religieux entretiennent l'homophobie dans la classe politique.

Le 10 février dernier, la communauté homosexuelle israélienne a remporté une importante victoire : le procureur général de l’Etat a affirmé que les couples homosexuels pourront adopter des enfants, estimant que le mot " couple " dans la loi en vigueur concerne tous les couples sans distinction. Depuis une quinzaine d’années, la communauté homosexuelle israélienne bénéficie d’une visibilité croissante. Sa situation est évidemment très enviable si on la compare à celle des homosexuels vivant dans les pays voisins du Moyen-Orient où ils sont souvent persécutés. Certains homosexuels palestiniens fuient ainsi vers Tel-Aviv, n’y trouvant parfois d’autres moyens pour survivre que la prostitution, tandis que les autorités israéliennes sont réticentes à leur accorder le statut de réfugié.

Dans l’armée, par ailleurs, le sort des homosexuels israéliens est plus favorable que celui des homosexuels américains. Depuis une décision du défunt premier ministre Yitzhak Rabin, les homosexuels qui servent dans Tsahal peuvent afficher librement, s’ils le souhaitent, leur orientation sexuelle. Les défenseurs de l’Etat hébreu à l’étranger utilisent cet argument pour montrer que tout militariste qu’il soit, Israël est un pays progressiste. " Yossi et Jagger ", un film d’Eytan Fox et Gal Uchovsky qui raconte une histoire d’amour entre deux soldats, a ainsi été abondamment projeté sur des campus américains et dans des festivals européens.

A l’instar de l’adoption, la communauté homosexuelle israélienne - qui est très peu organisée pour défendre collectivement ses intérêts - a conquis l’essentiel des droits dont elle bénéficie aujourd’hui devant les tribunaux, et non devant le Parlement. Le combat individuel de quelques personnes peut ainsi profiter à l’ensemble des homosexuels du pays qui, comme de nombreux juifs laïcs montrent peu d’intérêt pour la politique.

La communauté homosexuelle reste cependant l’un des boucs émissaires favoris de la droite religieuse qui bénéficie d’un pouvoir considérable au Parlement notamment. La Gay Pride de Jérusalem en 2006 a ainsi été l’occasion d’un véritable déchaînement homophobe. L’opposition au défilé, menée par des députés religieux et d’importants rabbins, a occupé la " une " des médias israéliens pendant deux semaines. Le vice-premier ministre, Eli Yishai, membre du parti séfarade ultraorthodoxe Shas - partenaire important de la coalition gouvernementale d’Ehud Olmert - n’a pas hésité à comparer la manifestation à un attentat terroriste, affirmant que " les gays et les lesbiennes sont des malades ". Le fait qu’en 2004 un extrémiste religieux ait poignardé trois participants du défilé n’a pas incité les rabbins à adopter une attitude plus responsable. Le premier ministre Ehud Olmert, qui sur le plan personnel est favorable à la cause homosexuelle (sa fille affiche publiquement son homosexualité), et les ministres du Parti travailliste se sont, au mieux, réfugiés dans le silence par calcul politique. Quant à Shimon Peres, qui depuis lors est devenu le chef de l’Etat, il a choisi de faire état de son opposition à la Gay Pride depuis le domicile du chef spirituel du Shas, le rabbin Ovadia Yossef, qui qualifie régulièrement les homosexuels de " malfaisants et haïssables ". Selon le quotidien " Haaretz ", le geste de Shimon Peres aurait en réalité fait l’objet d’un accord avec le Shas. En échange de sa prise de position contre le défilé, il pouvait compter sur le soutien du parti ultraorthodoxe lors de sa candidature à la présidence de la République. Sur la scène politique, seul Meretz, une formation social-démocrate, défend sans ambiguïté les droits des homosexuels.

Israël est une société composite où l’on trouve à la fois des villes d’esprit libéral, comme Tel-Aviv, et d’autres, conservatrices, comme Jérusalem. Ainsi, la première subventionne depuis plusieurs années des associations d’aide aux homosexuels et un centre communautaire doit y ouvrir bientôt. La municipalité de Jérusalem, en revanche, est réticente à accorder de tels soutiens à un centre similaire, l’Open House. Mais elle pourrait y être contrainte si le tribunal devant lequel l’affaire est en appel estimait que les critères pour lesquelles elle s’y oppose ne sont pas transparents et équitables.

Les polémiques autour de la Gay Pride montrent que l’homophobie est encore une réalité très significative dans le pays, mais le fait que le défilé continue de parcourir les rues de Jérusalem témoigne de la force de la démocratie israélienne. n

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