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Liberia : la longue traque d’un chef de guerre

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L'embargo onusien sur les armes imposé dès 1992, doublé de sanctions sur le bois et les diamants, a contribué à la chute de Charles Taylor en 2003.

Le Liberia a été l’un des premiers Etats à faire l’objet d’un régime de sanctions ciblées. Leur contenu a varié dans le temps, mais elles ont été appliquées sans discontinuer depuis 1992, pendant trois périodes successives.

La première série de sanctions contre le Liberia est adoptée à partir de novembre 1992 avec la mise en place d’un embargo sur les armes (résolution 788 du Conseil de sécurité de l’ONU). Si, à l’origine, aucun mécanisme ne prévoit le contrôle de cet embargo, un comité des sanctions, rattaché au Conseil de sécurité, est créé en 1995 pour collecter des informations et formuler des recommandations visant à améliorer l’efficacité des mesures coercitives.

Au moment où cet embargo sur les armes est décidé, la guerre civile fait rage au Liberia depuis 1988 et le pays a vu l’émergence de plusieurs mouvements rebelles, dont le Front national patriotique du Liberia, dirigé par Charles Taylor. Après sept ans de guerre civile et plusieurs tentatives d’accord avortées, ce premier conflit prend fin en 1995 avec la signature d’un accord de paix. En 1997, Taylor est élu président du Liberia. De 1992 à 1997, l’embargo sur les armes a eu globalement peu d’effet sur le comportement de ceux qu’il ciblait. Cependant, la mesure n’a pas été sans impact sur l’approvisionnement en armes des forces de Taylor, notamment en 1993 lorsque les forces de maintien de la paix d’Afrique de l’Ouest (Ecomog) ont pu la faire respecter.

Interdiction de voyager

Malgré l’arrêt des combats en 1995, les sanctions dirigées contre le Liberia restent en vigueur. Leur objectif est de limiter la marge de manoeuvre de Taylor dans les pays voisins. Et notamment en Sierra Leone déchirée par la guerre. Ainsi, en 2001, le Conseil de sécurité de l’ONU met en garde le Liberia contre la fourniture d’armes (en échange de diamants) aux rebelles sierra-léonais du RUF (Front révolutionnaire uni). A cette époque en effet, la Sierra Leone est soumise à un embargo onusien sur les diamants. Mais les gemmes sortent via le Liberia, dont les exportations dépassent largement les propres capacités de production... En réponse à cette transgression, par Taylor, des sanctions édictées par l’ONU contre la Sierra Leone, le Conseil de sécurité adopte en 2001 à l’endroit du régime libérien un dispositif de sanctions dites secondaires. Il comprend l’interdiction de voyager pour certains Libériens, ainsi que deux nouveaux embargos touchant les diamants (résolution 1343) et le bois (résolution 1521). L’application de ces nouvelles sanctions contre le Liberia est contrôlée par un panel d’experts qui mènent des enquêtes pour le compte du comité des sanctions.

Si, en 2001, ces mesures visent expressément à empêcher Taylor de soutenir les rebelles du RUF, elles vont avoir bientôt d’autres objectifs, car la guerre civile a repris au Liberia en 1999, pour atteindre son paroxysme en 2003.

Conflits contenus

Pendant toute cette deuxième période (2001-2003), les sanctions ont des effets positifs sur les deux parties libériennes. Elles contribuent à limiter la circulation des armes et munitions destinées aux forces de Taylor, alors que, comparativement, les armes parviennent plus aisément aux rebelles libériens qui sont soutenus par les Etats voisins. Ayant de plus en plus de mal à tenir tête à ces insurgés, Taylor doit faire des concessions. Le fait que les rebelles libériens optent au final pour une solution pacifique du conflit, alors qu’ils gagnaient du terrain, montre que les sanctions externes ont aussi contribué à tempérer leurs exigences.

Les objectifs explicites des sanctions changent en décembre 2003 avec la fin du conflit armé au Liberia. Taylor quitte le pays et un gouvernement de transition est mis en place. Les sanctions perdurent afin de consolider les nouvelles autorités et institutions libériennes, et de maintenir la stabilité du pays. Elles sont complétées en 2004 par une tentative de gel des actifs financiers de certains hommes politiques du pays. Le conflit étant terminé, il est évidemment plus facile de faire respecter ces mesures, car le panel d’experts chargés d’enquêter sur place bénéficie d’une plus grande liberté de mouvement, grâce à l’arrivée des forces onusiennes (Unmil) dans le pays. Ce panel publie en 2004 les résultats d’une enquête, qui montre que la majorité des Libériens souhaitent la poursuite de la plupart des sanctions après l’élection d’un nouveau gouvernement.

Toutefois, la plupart des personnes interrogées estiment aussi que ces sanctions ont des effets négatifs (chômage, perte de revenus, etc.). Sur la base d’entretiens que j’ai moi-même menés au Liberia en 2006, je pense pouvoir affirmer que le sentiment général était que si les sanctions avaient globalement joué un rôle clé dans le retour à la paix, celles qui visaient le bois et, dans une moindre mesure, les diamants, devaient désormais être levées. L’embargo sur le bois sera de fait le premier à être suspendu (juin 2006) puis levé. Il sera suivi, en avril 2007, par la fin de l’embargo sur les diamants (résolution 1753).

Malgré les effets négatifs de ces sanctions sur la population civile, le fait qu’elles aient été maintenues pendant plusieurs années a eu un impact positif sur la stabilité et le développement du Liberia. Les mesures portant sur les diamants et le bois répondaient en effet à un double objectif : d’une part, réduire les moyens financiers de certains acteurs qui auraient pu fomenter de nouveaux troubles dans un contexte de paix encore précaire ; d’autre part, faciliter la restructuration de ces secteurs économiques qui étaient minés par la corruption. Si ces sanctions ont réduit les revenus à court terme de l’Etat libérien, elles ont contribué à augmenter ses recettes fiscales à long terme.

Aujourd’hui, l’embargo sur les armes est toujours en place, empêchant que ne soient attisés les conflits latents. De son côté, le gel des actifs financiers n’a eu que peu d’effet. Les avoirs de certains individus ont bien été gelés dans divers pays, mais aucune loi n’a jamais été votée par le Parlement libérien. Sans doute parce que certains de ses membres sont sur la liste des personnes visées.

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