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Birmanie : les grandes puissances ne trouvent pas prise

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Les Occidentaux ne s'entendent pas sur la manière d'infléchir la politique des généraux birmans, qui comptent sur la passivité de leurs voisins asiatiques.

En pleine répression des manifestations par la junte birmane à l’automne dernier, les dirigeants occidentaux se sont déclarés prêts à déclencher de nouvelles sanctions contre le régime de Rangoun. Rencontrant le 26 septembre le chef du gouvernement en exil formé par la Coalition nationale de l’Union de la Birmanie (opposition), Nicolas Sarkozy demandait que des mesures soient prises " sans tarder " et appelait les entreprises françaises, Total notamment, à cesser tout nouvel investissement sur place. Une revendication répétée depuis des années par nombre d’ONG, dont les Amis de la Terre qui, le 11 octobre dernier, faisaient paraître dans Libération une tribune intitulée : " Birmanie : des sanctions, vite ! ". De fait, l’Union européenne (UE) a adopté le 15 octobre un embargo sur les bois et métaux précieux birmans, ainsi qu’une interdiction d’exporter des équipements destinés à ces secteurs. En décembre, le Canada a pris lui aussi de nouvelles sanctions économiques.Ces sanctions viennent s’ajouter à celles qui ont été progressivement instaurées depuis 1991 (embargo sur les armes, boycott des entreprises liées aux forces armées, gel des avoirs des généraux birmans). Et comme celles-ci, elles n’ont pas été adoptées aux Nations unies, mais sont strictement bilatérales. Le mandat de l’ONU lui permet en effet d’user de coercition contre un régime qui met en danger la paix et la stabilité, mais pas s’il se borne à réprimer ses propres citoyens. En toute hypothèse, la Chine, alliée de Rangoun, mettrait son veto à des sanctions onusiennes.

Ambitions revues à la baisse

Les nouvelles sanctions seront-elles plus efficaces que les précédentes ? Pour en juger, il faudrait savoir quel est l’objectif politique qui leur est assigné. Or, les déclarations des dirigeants occidentaux sont rares et imprécises sur ce point. En réalité, depuis dix-sept ans, les grandes puissances (Etats-Unis, UE, Japon) ont revu leurs ambitions à la baisse. Qui plus est, les objectifs varient d’une capitale à l’autre. En 1991, les sanctions visaient à contraindre la junte birmane à reconnaître la victoire du parti d’Aung San Suu Kyi aux législatives que les militaires avaient convoquées. Depuis, les généraux s’accrochant au pouvoir, les grandes puissances veulent plus modestement inciter la hiérarchie militaire à créer les conditions mutuellement agréées d’un processus de réconciliation nationale avec la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, ainsi qu’avec les diverses rébellions ethniques (Karens, Kachin, etc.) qui combattent le pouvoir depuis près de cinquante ans.

Certains pays occidentaux, l’Allemagne par exemple, ont des ambitions plus réduites encore. Soulignant l’enracinement des forces armées dans la société birmane et dans son imaginaire national, elles se contenteraient de rapports politiques " apaisés " (moins sanglants) et d’un meilleur respect par la junte de quelques règles de droit, comme le non-recours au travail forcé.

Des enfants prête-noms

Outre l’objectif politique qu’ils poursuivent, les Etats qui sanctionnent la Birmanie doivent déterminer sur qui précisément ils entendent faire pression. Un exercice complexe tant le régime birman est opaque. Une analyse fine de l’armée et de ses dissensions, de ses conflits avec les rébellions, de ses rapports avec l’opposition (elle-même divisée, notamment entre exilés et opposants de l’intérieur) requiert une expertise permanente. Et donc des moyens financiers substantiels. Qui plus est, le message politique que portent les sanctions ne s’adresse pas seulement aux dirigeants birmans, mais aussi aux Etats voisins tentés de se satisfaire du statu quo, pour des raisons économiques notamment. A l’instar de la Thaïlande, la Chine et l’Inde sont de gros acheteurs de gaz birman.

Le ciblage des sanctions contre les responsables birmans laisse à désirer. Les mesures édictées par les puissances occidentales traitent les officiers supérieurs comme un ensemble homogène alors que certains ont voté pour l’opposition en 1990 ou négocié secrètement avec elle, et entretiennent une distance critique avec l’homme fort du régime, le général Than Shwe. Les sanctions, par ailleurs, visent les entreprises contrôlées par l’armée birmane ou dont les recettes profitent considérablement à celle-ci. Or il est difficile de recueillir des informations précises sur de tels sujets. L’UE, puis les Etats-Unis ont ainsi dû ajuster discrètement leurs listes après avoir acquis la conviction que certaines sociétés incriminées n’étaient ni birmanes (mais japonaises), ni directement liées au régime. Autre méthode de sanctions, le gel des avoirs financiers des généraux pose des problèmes plus redoutables, surtout quand certains officiers utilisent leurs enfants mineurs comme prête-noms.

Emplois condamnés

Outre leur complexité, les sanctions qui visent les secteurs énergétique et textile, dans l’espoir de priver de revenus la junte birmane, manquent en partie leur but politique. D’abord, parce que les généraux disposent d’autres sources de financement (commerce du teck, contrôle des sociétés de télé­communication et d’informatique, etc.).Ensuite parce que, dans le cas du textile, ce secteur procure de nombreux emplois à la population. En interdisant l’accès à leur marché aux produits birmans après l’adoption, le 28 juillet 2003, du Burmese Freedom and Democracy Act, les Etats-Unis ont condamné des entreprises à fermer. On ne peut pas dire, comme le font certaines ONG occidentales, que ces mesures ont jeté des milliers de jeunes femmes dans la prostitution. Mais les géné­raux ont beau jeu de proclamer que " si le pays est pauvre, c’est à cause des sanctions ".Sans doute, Aung San Suu Kyi a-t-elle manifesté dans les années 1990 son souhait de voir prohiber les relations économiques (tourisme compris) susceptibles de légitimer la junte. Les démocraties occidentales, cependant, doivent soigneusement mesurer l’impact politique et social des sanctions qu’elles prennent. D’autant qu’Aung San Suu Kyi a depuis lors nuancé sa position, et qu’elle n’est pas la seule. Les responsables de la Free Burma Coalition, qui avaient poussé les multinationales (Pepsi, Motorola, Apple, etc.) à ne plus faire d’affaires en Birmanie, jugent aujourd’hui nécessaire d’ouvrir le pays. Une prise de position qui leur vaut d’être ostracisés, voire menacés de mort, par d’autres opposants en exil.

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