Afghanistan

Contre-insurrection ou négociation ?

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L'ampleur de la progression des talibans a surpris les forces occidentales et afghanes. Aujourd'hui, l'idée qu'il faudra peut-être négocier avec les insurgés fait son chemin. A quel prix ?

Au départ, ni les Etats-Unis ni le gouvernement afghan n’ont pris l’insurrection des talibans au sérieux. Fin 2002, Washington avait d’autres crises en tête. Quant à Hamid Karzaï et à son entourage, ils étaient essentiellement intéressé par la sécurité des villes et des grands axes routiers. Le pouvoir central ne montrait alors aucun intérêt pour ce qui se passait dans les régions éloignées. Une attitude qui n’a changé qu’en 2006 lorsque les talibans ont lancé une offensive sur Kandahar. Mais à ce moment-là, l’insurrection était déjà profondément enracinée.

La contre-insurrection est menée sur le terrain aujourd’hui à la fois par les forces de sécurité afghanes, et par les troupes étrangères de l’Isaf (Force internationale d’assistance à la sécurité) ainsi que celles de l’opération Enduring Freedom. Les forces afghanes sont très diverses. La police a porté l’essentiel du poids de la contre-insurrection et subi de lourdes pertes jusqu’en 2006, date à laquelle la jeune armée nationale afghane a été déployée en nombre dans le Sud. Mal entraînés et en sous-effectif, payés avec de considérables retards, les policiers sont souvent corrompus et patrouillent rarement dans les villages. La police a cependant livré de dures batailles aux talibans, notamment lorsque les unités engagées étaient issues de communautés ou de milices rivales de celles qui soutenaient localement les insurgés. D’autres types de forces antitalibans existent. Ainsi, des milices ont notamment été créées dans certaines zones de l’Est et du Sud-Est où les tribus locales sont encore assez soudées pour mettre sur pied des groupes armés. Leur création ne semble pas avoir ravivé les affrontements tribaux dans ces régions. La situation est différente dans le Sud, où les milices privées sont très indisciplinées.

De son côté, l’armée nationale afghane, qui compte aujourd’hui 37 000 hommes, est peu efficace. Pendant plusieurs années, elle souffert d’un taux de désertion élevé, les jeunes soldats répugnant à être affectés loin de leur village. Les pertes au combat et les menaces des talibans sur les familles de soldats ont aussi contribué aux désertions. L’encadrement des officiers afghans, assuré par des militaires occidentaux, est par ailleurs trop strict. Du coup, certains officiers, peu sûrs d’eux, hésitent à s’engager dans les combats tandis que d’autres à l’inverse ne planifient pas assez leurs opérations, au prix de lourdes pertes. Par ailleurs, certains groupes ethniques, les Tadjiks surtout qui formaient le gros des groupes armés antitalibans avant 2001, sont surreprésentés dans l’armée. Notamment dans les unités déployées au Sud, ce qui complique les relations avec la population locale pachtoune.

L’Isaf a vu ses effectifs passer de 15 000 hommes en 2001 à 47 000 aujourd’hui (voir carte ci-dessous), auxquels s’ajoutent 14 000 soldats américains de l’opération Enduring Freedom. Jusqu’en 2006, l’Isaf étaient surtout déployée à Kaboul pour protéger le régime Karzaï. Puis a commencé à être déployée en force dans le Sud, sous commandement de l’Otan.

47000 soldats pour la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf)

Des débats très vifs ont lieu entre contingents occidentaux, et au sein même des forces américaines, sur la méthode la plus efficace pour combattre l’insurrection. Ainsi, les forces spéciales américaines lancent des raids surprises ciblés en territoire ennemi, ou au contraire opèrent par petites unités qui restent plusieurs semaines au même endroit, pour créer des liens avec la population locale. L’armée régulière américaine, de son côté, réalise de très vastes opérations de nettoyage sur plusieurs districts à la fois en utilisant de grandes concentrations de troupes et en ayant massivement recours à l’arme aérienne. Ces tactiques très différentes ont été utilisées au gré de la rotation rapide des commandants de l’Isaf, ce qui rend difficile l’évaluation de leur efficacité respective.

Une présence militaire effective dans chaque village des régions où les talibans sont actifs exigerait peut-être 200 000 hommes, ce qui est hors de portée de l’Otan. En outre, une large part de l’aide au développement censée accompagner les opérations militaires et amadouer la population, disparaît dans les poches des autorités, des notables et des anciens... Il est question aujourd’hui d’utiliser des milices locales pour fixer les insurgés. Un projet très contesté en raison de la difficulté à contrôler de tels groupes.

Préalables inacceptables

La contre-insurrection n’ayant pas permis de repousser les talibans, est-il envisageable de négocier avec eux ? L’idée semble recueillir l’assentiment d’une majorité de la population. Et les belligérants afghans, qui le savent, se prononcent en faveur de telles négociations, même si chacun pose des conditions inacceptables pour la partie adverse : les talibans font du retrait des troupes occidentales le préalable absolu à toute négociation tandis que le président Karzaï s’est déclaré prêt à négocier même avec le mollah Omar, pour peu qu’il s’affranchisse de sa servitude à l’égard du Pakistan.

Du côté des Occidentaux, en dépit des dénégations officielles, des contacts avec les talibans ont bien eu lieu. Une issue favorable semble cependant très improbable au vu des différences qui séparent les deux parties. L’influence du mouvement djihadiste international, qui soutient largement les talibans, risquerait en outre de constituer un obstacle majeur. Et la place des puissances régionales serait aussi problématique. Les talibans utilisent le territoire du Pakistan comme base arrière. Islamabad pourrait donc faire pression sur les insurgés pour les amener à faire des concessions, mais en retour, exigerait de substantielles contreparties. Le Pakistan considère l’Afghanistan comme son arrière-cour et s’inquiète de l’influence croissante qu’y exerce l’Inde. Il exigerait un droit de regard sur l’action du gouvernement afghan. Ce qui pousserait les autres puissances régionales, l’Iran et la Russie, à en demander autant.

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