Environnement : le retour du géant vert

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La lutte contre le réchauffement de la planète fait partie des priorités de responsables politiques et industriels. Et les Etats-Unis pourraient bientôt redonner le la de la politique climatique mondiale.

En matière d’environnement, les Européens se sont habitués à penser l’Amérique comme un "Etat-voyou". Par opposition aux atermoiements américains sur le protocole de Kyoto et autres traités environnementaux, l’Union entretient d’elle-même une image volontiers héroïque, se posant en leader mondial de la lutte contre le changement climatique. Le réveil pourrait être douloureux. Car une transformation politique est en marche aux Etats-Unis, et le réchauffement de la planète figure aujourd’hui en tête des priorités. Tous les candidats à la présidence ont promis de renouer avec le multilatéralisme à ce sujet. Et plusieurs lois en discussion au Congrès, si elles étaient votées, feraient du pays un très bon élève en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Nul ne sait encore jusqu’où ira la conversion environnementale de la politique américaine. Mais il ne fait aucun doute que les Etats-Unis joueront un rôle majeur dans la définition de la stratégie climatique mondiale. La domination politique et économique du pays est telle en effet que ses choix pèseront lourd. Par le passé, cette domination s’est traduite en pouvoir de dire non : le refus américain de ratifier le protocole de Kyoto a singulièrement limité son efficacité. Et si les Etats-Unis, qui sont à l’origine du quart environ des émissions de gaz à effet de serre, décidaient de s’en tenir à un modèle de croissance fondé sur le tout hydrocarbures, personne ne pourrait espérer maîtriser les rejets mondiaux de CO2 dans l’atmosphère.

En revanche, une Amérique résolue à reprendre sérieusement pied dans la politique environnementale mondiale, une Amérique décidée à favoriser l’adoption d’un traité succédant au protocole de Kyoto après 2012 ferait certainement sauter bon nombre des verrous qui bloquent aujourd’hui la diplomatie climatique. En s’engageant à réduire leurs émissions, les Etats-Unis ôteraient soudain à la Chine et l’Inde la principale excuse à leur inaction. Agissant de concert avec l’Europe, la puissance américaine aurait plus de chances que l’UE seule d’obtenir des concessions importantes de la part des très gros émetteurs de CO2 du Sud, alors que les rejets chinois augmentent d’environ 10 % par an. Car même dans le gentil monde de la diplomatie environnementale, la voix de la puissance porte loin.

Quelles sont donc véritablement les chances d’assister au virage écologique de la politique américaine ? Considérables. Les climato-sceptiques demeurent certes bien présents aux Etats-Unis, mais ils ne débordent plus guère les cercles du Parti républicain. Si les démocrates gardent le contrôle du Congrès après les élections de novembre, les propositions en cours de discussion prendront force de loi.

Une telle évolution est d’autant plus vraisemblable que le vent du changement ne souffle pas seulement sur le Capitole mais aussi sur les conseils d’administration américains. Des groupes puissants rivalisent pour être les premiers à s’impliquer dans la définition de la future politique climatique du pays. Des géants comme Boeing, DuPont et General Electric ont pris volontairement l’initiative, notamment via des programmes d’échanges d’émissions très en avance sur toute législation. En outre, le mouvement écologiste commence à se faire entendre, la campagne d’Al Gore lui conférant le glamour et le soutien financier nécessaire, tandis que la droite religieuse exhorte désormais à la protection de la Création. Enfin, bon nombre de villes et d’Etats ont depuis longtemps pris leurs distances à l’égard de la politique fédérale pour mettre en oeuvre leurs propres dispositifs écologiques.

Les obstacles à la mue verte des Etats-Unis n’en restent pas moins gigantesques. George Bush peut bien avoir parlé de sevrer l’Amérique de sa dépendance pétrolière, il n’a rien fait pour empêcher la réduction des fonds fédéraux consacrés à la recherche en matière d’efficacité énergétique. Et la consommation américaine d’hydrocarbures a explosé au cours des dix dernières années. Il faudra un effort monumental pour adapter les infrastructures du pays, fondées sur le double pari erroné d’un pétrole bon marché et du tout automobile, à un avenir de sobriété carbonique.

Il serait donc insensé d’attendre un miracle du prochain Président. Mais ceux qui ne peuvent s’imaginer un monde où l’Amérique serait leader en matière d’environnement souffrent d’une forme au moins partielle d’amnésie historique. Dans les années 1970, le mouvement écologique mondial ne s’est-il pas largement inspiré du mouvement écologique américain ? Washington n’a-t-il pas adopté des lois et créé des institutions pionnières comme l’agence de protection de l’environnement ? Dans les années 1980, n’est-ce pas l’administration Reagan qui a guerroyé pour résoudre le problème de la diminution de la couche d’ozone - s’opposant alors aux intérêts des géants de l’industrie chimique européenne ?

Pour peu qu’elle soit canalisée dans la bonne direction, la capacité d’innovation américaine est porteuse de nombreux espoirs.

Après avoir cédé du terrain à l’Europe et au Japon dans les technologies propres, certaines des entreprises les plus innovantes du pays y investissent massivement. Ce potentiel devra être dûment exploité si nous voulons réduire la part de carbone dans le cocktail énergétique mondial, en particulier dans les économies émergentes. Les Européens ont des raisons d’être soulagés du revirement écologique des Etats-Unis, mais ils peuvent aussi s’en inquiéter. Car un regain de leadership américain les obligera à regarder en face quelques vérités dérangeantes : il révélera au grand jour la fuite en avant rhétorique de l’UE sur le changement climatique, l’obligeant à tenir ses ambitieux objectifs en prenant des mesures plus radicales en faveur d’un profond changement de politique énergétique et économique. En d’autres termes, l’Europe devra reconnaître qu’elle a pu jusqu’à présent revendiquer son leadership dans ce domaine à très bon compte.

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