Classe Moyenne : gagner plus et vivre moins bien

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En une génération, la famille moyenne a gagné un salaire. Elle dépense moins. Pourtant, elle s'appauvrit.En cause : les coûts de l'immobilier et de l'éducation.

Les règles du jeu ont changé pour la classe moyenne américaine. Dans le passé, elles se résumaient en quelques phrases : "Etudie, trouve un bon emploi, travaille dur, ne dépense pas inconsidérément ton argent et tout ira bien." La recette ne fonctionne plus, car aujourd’hui la classe moyenne 1 vit dans un monde nouveau et dur. Un monde qui offre des opportunités inédites bien sûr, mais qui voit aussi les revenus des familles stagner tandis que leurs charges augmentent. Ce désé­quilibre a permis à un secteur du crédit, largement dérégulé, d’engranger des milliards de dollars en profitant des difficultés des ménages.

Le changement le plus important concerne les revenus des familles. Aujourd’hui, un ménage qui dispose du revenu médian 2 de la classe moyenne gagne davantage d’argent (en valeur réelle, corrigée de l’inflation) qu’un ménage de la génération de ses parents. Dans le même temps pourtant, le salaire d’un homme employé à plein temps est inférieur de 800 dollars à celui que gagnait son père dans les années 1970. Après avoir longtemps augmenté aux Etats-Unis, les salaires ont en effet stagné à partir de cette période. Si les revenus des familles de la classe moyenne sont tout de même supérieurs aujourd’hui, c’est que dans le passé, les familles vivaient le plus souvent sur un seul salaire - celui de l’homme, en général. Aujourd’hui, les femmes travaillent. Ensemble, les deux salaires d’une famille de la classe moyenne représentent un revenu annuel médian de 76 500 dollars (49 100 euros). Quant aux familles qui ne disposent que d’un salaire, soit parce que l’un des deux conjoints seulement travaille, soir parce qu’il s’agit d’une famille monoparentale, leur revenu annuel est de 42 300 dollars seulement (27 100 euros).

La situation des familles à deux salaires est-elle pour autant satisfaisante ? Pas du tout. Ainsi, au début des années 1970, une famille de la classe moyenne qui disposait d’un salaire unique parvenait à épargner 11 % de son revenu. Outre les remboursements de son crédit immobilier et de l’emprunt pour la voiture, elle disposait de cartes de crédit et d’autres systèmes de crédit à la consommation qui lui coûtaient environ 1,3 % de son revenu annuel. En 2005, le taux d’épargne dans la classe moyenne est tombé en dessous de zéro. En revanche, les crédits à la consommation ont explosé et représentent en moyenne 12 % du revenu familial. En une génération, les familles ont gagné un salaire, mais ont financièrement sombré.

Pour certains experts, la raison est simple : les familles dilapideraient leur argent en achats inutiles, tels que vêtements de marques, repas aux restaurants, four à micro-ondes et autres systèmes d’air conditionné. Cette explication paraît d’autant plus vraisemblable que les centres commerciaux regorgent de clients et les catalogues de vente par correspondance de gadgets hors de prix. Pourtant, elle est fausse.

Zoom Florida KidCare (Miami) : des soins accessibles pour les petits

Le système d’assurance-maladie américain est insuffisant pour assurer la couverture santé des familles dans le besoin.Des initiatives locales se multiplient pour compenser.

A 22 ans, Sonia Joseph élève seule sa fille, Abigail. Elle ne roule vraiment pas sur l’or. Et pourtant, elle n’est pas éligible à Medicaid, le système fédéral d’assurance publique destiné aux plus démunis. Heureusement, il y a Florida KidCare. "En mars dernier, Abigail a eu une pneumonie, explique la jeune mère célibataire. Grâce à Florida KidCare, elle a pu être admise à l’hôpital et être soignée correctement. Sans ce système, dont elle bénéficie depuis son premier anniversaire, ma fille ne pourrait pas aller chez le médecin, ni dans un établissement hospitalier". Sonia verse 20 dollars par mois pour l’assurance qui couvre, jusqu’à sa majorité, les soins et les médicaments d’Abigail. Si la jeune mère avait dû souscrire une assurance privée pour la fillette, il lui en aurait coûté 300 dollars...

Le programme KidCare est financé pour l’essentiel par l’Etat de Floride. Son objectif est de couvrir tous les enfants de l’Etat de moins de 19 ans qui n’ont pas d’assurance privée et qui ne sont pas non plus couverts par Medicaid. En effet, l’éligibilité à Medicaid est calculée en fonction d’un "taux de niveau de pauvreté" défini par le gouvernement fédéral et qui prend en compte le revenu de la famille, le nombre de parents, d’enfants, de personnes à charge, etc. Mais ce taux est très bas. De ce fait, de nombreuses familles pourtant très modestes se retrouvent sans aucune couverture maladie. De multiples initiatives locales se sont développées, pour pallier cette carence. Comme Florida KidCare, qui aide les familles dont les revenus sont compris entre une et deux fois le taux de pauvreté. Le programme a été créé en 1997, sous Bill Clinton, grâce à une loi permettant aux Etats fédérés de mettre en place de tels dispositifs. Tous ne l’ont pas fait... Outre les fonds de l’Etat de Floride, KidCare bénéficie de quelques financements fédéraux et de dons. Il est géré par Florida Healthy Kids, un organisme privé basé à Tallahassee, capitale de la Floride, mais la plupart des membres de son directoire sont nommés par le gouverneur.

"En Floride, 500 000 enfants ne sont pas du tout assurés, et près de 78 % d’entre eux sont susceptibles d’être éligibles à KidCare", explique Rich Robleto, directeur de Florida Healthy Kids. "Nous consacrons beaucoup d’efforts pour informer nos concitoyens". Il reste beaucoup à faire cependant pour rendre ces dispositifs réellement accessibles, car les familles défavorisées sont souvent perdues dans le maquis administratif des différents programmes fédéraux, locaux, associatifs... Et au final, beaucoup se retrouvent encore sans aucune protection.

Une génération pas plus frivole

Les statistiques fédérales permettent d’analyser l’évolution des dépenses des ménages depuis plus d’un siècle. Elles montrent que les familles d’aujourd’hui ne sont pas plus frivoles que celles d’hier. Prenons les vêtements?: aujourd’hui, une famille de quatre personnes dépense pour s’habiller 32 % de moins qu’une famille de la génération précédente. La différence tient au type d’habits achetés (moins de costumes et de chaussures en cuir, plus de T-shirts et de shorts), à l’endroit où ils sont fabriqués (à l’étranger) et achetés (plus de magasins de discompte). Pour manger, la famille d’aujourd’hui dépense 18 % de moins qu’il y a trente ans. Les Américains se nourrissent différemment (moins de viande, plus de pâtes), achètent désormais plutôt dans les grandes surfaces. Et l’agro-industrie a accru l’efficacité de la production alimentaire.

Certes, les familles disposent maintenant de fours à micro-ondes, de machines perfectionnées pour laver et sécher, de cafetières à expresso, etc. Pourtant, elles dépensent 52 % de moins en équipements ménagers que la génération précédente, car ils durent plus longtemps et coûtent moins cher à fabriquer. Il en va de même pour la voiture?: l’achat et l’entretien d’un véhicule coûtent 24 % de moins à une famille de la classe moyenne qu’au début des années 1970.

Evidemment, il y a trente ans, personne n’était équipé du câble et les grands écrans de télé étaient réservés à une infime minorité de riches. Les ménages dépensent aujourd’hui 23 % de plus en équipements électroniques, soit 225 dollars par an (144 euros). Les ordinateurs pèsent quant à eux environ 300 dollars (193 euros) dans le budget annuel. Mais l’argent consacré à l’électronique et à l’informatique est plus que compensé par les économies en mobilier et autres équipements de la maison. Les familles actuelles dépensent aussi plus en billets d’avion et en téléphone, mais moins en tabac ou en nettoyage à sec.

Surendettement croissant

Au final, les dépenses de consommation sont en baisse. En revanche, les postes fixes du budget familial, eux, sont en forte hausse. A commencer par l’immobilier. Aujourd’hui, une famille de la classe moyenne achète une maison de 6,1 pièces (soit trois chambres) contre 5,8 pour la génération précédente. La surface a donc légèrement augmenté. Mais son prix, et donc le crédit que les familles doivent rembourser, a connu une hausse spectaculaire. En 2004, le propriétaire médian a remboursé 76 % de plus en crédit immobilier que celui des années 1970. Le principal poste de dépense familial est ainsi passé, en termes réels, de 485 dollars (311 euros) par mois à 845 dollars (542 euros).

Les prix de l’assurance-maladie ont également explosé : plus 74 % en une génération. Des prix si élevés qu’environ 48 millions d’Américains n’ont aucune couverture. Autrefois, ceux qui n’étaient pas assurés étaient uniquement les plus pauvres et les très jeunes. Désormais, des familles disposant pourtant de deux salaires sont contraintes d’arbitrer entre le remboursement des prêts immobiliers et les primes d’assurance-maladie.

Le coût de la voiture a bien baissé, mais le nombre de véhicules par famille a augmenté. Elles sont plus nombreuses à habiter en banlieue lointaine. Les conjoints qui travaillent ont donc besoin d’une voiture chacun. Résultat?: le budget transport pour une famille de quatre personnes a crû de 52 %. Le fait que les deux parents travaillent les contraint en outre à recruter des gardes d’enfant en dehors des heures d’école, ce qui n’était pas le cas quand seul le père - généralement - était salarié. Les dépenses augmentent encore quand les enfants arrivent au collège, puis au lycée?: droits d’inscription, activités sportives, etc. Qui plus est, nombre de familles, inquiètes de la qualité de certaines écoles, changent de quartier pour en trouver une meilleure. Et s’endettent ainsi davantage pour leur logement. La charge que représentent les impôts a aussi augmenté pour la classe moyenne. Progressivité oblige, ils étaient 25 % plus élevés en 2004 pour une famille avec deux salaires que pour une famille à salaire unique en 1972.

En résumé, les plus gros postes du budget familial ont tous augmenté. Desdépenses fixes qu’une famille ne peut pas reporter, même en cas de coup dur, comme la perte d’un emploi. Pour les familles monoparentales, c’est pire?: elles n’ont ni le second salaire, ni l’avantage des familles où l’un des conjoints s’occupe des enfants.

Rien d’étonnant ainsi à ce qu’un nombre croissant de ménages de la classe moyenne, même dotés de deux salaires, soient victimes de surendettement.

Dans le passé, les familles modestes qui accédaient à la classe moyenne pouvaient se sentir en sécurité. Les lois qui, au milieu du XXe siècle, ont institué la retraite de base et l’assurance-maladie pour les personnes âgées, encadré le crédit, institué des normes pour les produits de consommation, etc. visaient à protéger la classe moyenne contre les risques économiques. Grâce à ce filet, les Américains ont eu la sérénité nécessaire pour innover et développer le pays à un rythme sans précédent. Aujourd’hui, les familles de la classe moyenne doivent se battre sans cesse pour ne pas sombrer. Elles ont grand besoin d’aide pour retrouver sécurité, et être ainsi en mesurer d’assurer la prospérité de l’économie américaine.

  • 1. Nous désignons ainsi les foyers ayant un revenu annuel compris entre 20 000 et 100 000 dollars (de 12 800 à 64 200 euros), soit 60 % des foyers américains.
  • 2. Le revenu médian partage la population concernée en deux parties égales : ici, la moitié des familles gagne moins et l’autre moitié gagne plus. Il est différent du revenu moyen qui est influencé par les revenus les plus élevés.

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