Education : le diplôme, inaccessible sésame
Les inégalités d'accès à l'éducation se sont aggravées. Les élèves des milieux modestes atteignent rarement les filières qui garantissent les meilleurs salaires.
Etudier à l’université est un bon investissement pour un jeune Américain. En 2000, le revenu médian d’un jeune diplômé ayant fait au moins quatre ans d’études supérieures était plus du double de celui d’un simple bachelier 1. Dans le futur, l’investissement sera plus décisif encore, car 40 % des nouveaux emplois qui seront créés aux Etats-Unis requerront un diplôme de l’enseignement supérieur.
L’opinion publique attend traditionnellement des universités qu’elles assurent la formation de tous les jeunes Américains ayant la capacité et la motivation nécessaires pour décrocher un diplôme. Pourtant, en dépit des efforts réalisés en faveur des jeunes issus des milieux les plus modestes, le fossé ne cesse de s’accroître entre riches et pauvres pour l’accès aux études et l’obtention d’un diplôme. Même si l’acharnement, la résilience et la chance permettent à une minorité de jeunes issus des familles à bas revenus de réussir, les vents leur sont de plus en plus contraires.
Aujourd’hui, environ 85 % des élèves en fin de cursus scolaire aux Etats-Unis aspirent à décrocher un diplôme de l’enseignement supérieur. Mais en 2001, seuls 44 % des lycéens appartenant aux 20 % des familles aux revenus les plus bas entraient rapidement dans ses filières. A l’inverse, près de 80 % des jeunes issus des 20 % de familles les plus aisées y accédaient. La concentration de jeunes issus des familles les plus riches est patente dans l’ensemble du supérieur, surtout dans les meilleures universités - les plus sélectives.
Le fossé entre étudiants de milieux socio-économiques opposés s’est même agrandi au cours des dernières décennies. Selon les travaux de deux chercheurs, David Ellwood et Thomas Kane, parmi les étudiants qui sortaient du lycée en 1980-1982, 80 % de ceux qui appartenaient aux 20 % de familles les plus aisées accédaient à l’enseignement supérieur. Contre 57 % pour ceux des 20 % de familles les plus défavorisées. Les premiers entraient à l’université, et les seconds surtout dans des établissements techniques et professionnels.
Entre 1980-1982 et 1992, le taux global d’accès à l’enseignement supérieur a crû de 7 %. Mais cette augmentation a été de 10 % pour les jeunes des familles aisées et de 3 % seulement pour ceux des milieux défavorisés. Et en ce qui concerne l’accession aux universités proprement dites, le fossé a même augmenté. La part des jeunes issus des familles à faibles revenus a légèrement baissé (de 29 à 28 %) alors que celle des plus riches a beaucoup augmenté (de 55 à 66 %). L’écart entre les deux groupes est donc passé dans cette décennie de 26 % à 38 %.
Pourquoi les jeunes des milieux favorisés sont-ils surreprésentés dans les universités?? Parce qu’aux Etats-Unis, il faut surmonter de nombreux obstacles pour entrer dans l’enseignement supérieur. Et que cela commence très tôt. Aujourd’hui, les parents des familles aisées consacrent de plus en plus de temps, d’argent et de relations pour assurer la réussite de leurs enfants depuis l’école maternelle jusqu’au lycée. En 2000, les 10 % de familles ayant les revenus les plus élevés disposaient en moyenne d’un budget de 50 000 dollars pour la scolarité de chacun de leurs enfants, contre 9 000 dollars pour les 10 % de familles les moins favorisées. Par ailleurs, les lycées des quartiers pauvres, ou habités par des minorités noires et latinos, sont souvent de mauvaise qualité et n’ont pas les moyens de préparer correctement leurs élèves aux études supérieures. Il est rare qu’un enseignement solide y soit dispensé dans toutes les matières. Surtout en mathématiques. Ces établissements envoient peu d’étudiants à l’université et manquent donc d’expertise pour aider leurs élèves à s’y préparer dans des conditions satisfaisantes. D’autant que les jeunes des familles les moins favorisées, dont les parents eux-mêmes ne sont pas allés à l’université, ont du mal à évaluer ce que leur coûteront des études et à comprendre les arcanes des procédures d’admission.
Tous les établissements de l’enseignement supérieur font payer des droits d’inscription à leurs étudiants. Mais ces droits varient de quelques milliers de dollars par an dans les établissements à scolarité courte, jusqu’à 25 000 dollars annuels dans les meilleures universités privées. Et des frais administratifs divers viennent alourdir la facture. Plus grave encore, cette barrière financière s’est élevée au cours des dernières décennies. Le coût des études universitaires était constant, en valeur réelle, dans les années 1970, mais il a rapidement augmenté dans les années 1980 et 1990 (voir infographie p. 34) : les droits d’inscription ont augmenté deux voire trois fois plus vite que les biens de consommation courante. Cette tendance, combinée à une inégalité croissante des revenus entre les familles, a renchéri le coût des études supérieures pour les jeunes des familles défavorisées. Car si au début des années 1970, la scolarisation d’un jeune à l’université représentait 42 % du revenu d’une famille à bas revenu, en 2000, ce pourcentage est passé à 60 %. Mais dans le même temps, l’augmentation pour les familles aisées n’a été que de 1 % (de 5 % en 1970 à 6 % en 2000).Plusieurs facteurs ont provoqué cette hausse des coûts, notamment des droits d’inscription. L’un des plus importants a été la réduction progressive du soutien financier de l’Etat fédéral à beaucoup de grandes universités publiques. Et les Etats fédérés, qui consacrent leurs ressources à d’autres priorités (soins médicaux pour les familles défavorisées, justice pénale, enseignement primaire et secondaire), ne sont pas parvenus à compenser cette baisse. Les établissements publics ont donc été contraints de faire feu de tout bois pour trouver de l’argent : appel à des dons privés, création de fondations, réduction de leur prestations, et bien sûr augmentation des droits d’inscription.
Moins de bourses, plus de prêts
Bien que ces coûts croissants aient été en partie compensés par l’augmentation des aides accordées aux étudiants, des disparités majeures subsistent. Mais surtout, les modalités de l’aide ont changé fondamentalement. D’abord, ces aides sont de plus en plus accordées sous forme de prêts, et non de bourses. Au début des années 1980, ces dernières représentaient 55 % des aides aux étudiants. En 2001, elles ne comptaient plus que pour 41 % : le montant des prêts accordés aux étudiants et à leurs parents s’élevait alors à 40 milliards de dollars, soit plus de cinq fois le volume financier du programme de bourses Pell Grant qui, à l’origine, devait constituer la principale forme d’aide aux étudiants à bas revenus. Et alors qu’au début des années 1980, le montant maximum d’une bourse fédérale couvrait 60 % du coût de quatre ans d’études universitaires, en 2001 il n’en représentait plus que de 40 %.
En 2003-2004, selon des chiffres officiels, l’aide financière aux étudiants des universités s’élevait à 122 milliards de dollars. Les prêts accordés par l’Etat fédéral en représentaient la moitié, et les autres aides fédérales 20 % dont les trois quarts sous forme de Pell Grants). Les Etats fédérés et autres institutions assuraient l’essentiel des 30 % restants.
Qui plus est, une partie de l’aide fondée sur des critères de ressource a été progressivement remplacée par des aides au mérite. Car si l’Etat fédéral fixe les conditions d’éligibilité aux différentes formes d’aide, celles-ci ne sont attribuées à un étudiant qu’après qu’il a été admis dans une université. Et cette dernière est souveraine en la matière. Or les meilleurs établissements américains publics ou privés, soucieux d’être bien placés dans les classements internationaux, ciblent de plus en plus les étudiants qui ont obtenu les meilleures notes à leurs tests d’entrée ou au lycée. Ces étudiants, de fait, sont généralement issus des milieux les plus favorisés. Une part importante des aides fédérales (prêts garantis, réductions d’impôts, etc.) qui, à la différence des bourses (Pell Grants), ne sont pas liées à des conditions de ressources, sont ainsi attribuées à des étudiants de familles aisées.
Organiser l’aide dès le lycée
Plusieurs orientations politiques pourraient faciliter l’accès des étudiants issus des familles modestes à l’université, sans faire baisser le niveau des établissements. Un plus grand soin devrait ainsi être apporté dès le lycée à la préparation des élèves aux études supérieures. Et l’Etat devrait accroître son aide aux écoles qui accueillent les enfants des milieux modestes. Par ailleurs, les aides fédérales mises à la disposition des étudiants scolarisés dans les universités les plus riches devraient être plafonnées, car ces établissements ont les moyens d’aider eux-mêmes leurs étudiants. Enfin, l’Etat fédéral et les Etats fédérés devraient attribuer directement aux étudiants l’aide qu’ils versent aujourd’hui aux établissements universitaires. Et elle devrait être ciblée sur les étudiants qualifiés des milieux modestes. Si l’enseignement supérieur américain entend vraiment accroître les chances de succès des enfants issus des familles défavorisés, il doit être radicalement réorienté. Et le plus tôt sera le mieux.
- 1. Le revenu médian partage la population en deux parties égales : la moitié gagne moins, l’autre moitié gagne plus. Il est différent du revenu moyen qui est influencé par les revenus les plus élevés.