Intégration : les jeunes latinos montent en puissance
Comme tous les jeunes Américains, les enfants des immigrés hispanophones votent peu. Mais sont prêts à se mobiliser. Sur la politique migratoire notamment.
De plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus divers. Aux Etats-Unis, les Latinos ont vu leurs effectifs et leur hétérogénéité croître au cours des trois dernières décennies. Ils sont désormais répartis sur l’ensemble du territoire. Aux concentrations traditionnelles du Sud-Ouest et des grandes métropoles viennent en effet s’ajouter des noyaux importants de population dans des petites villes du Sud-Est et du Midwest. Par ailleurs, si les Portoricains, ainsi que les groupes originaires du Mexique et de Cuba, influencent toujours largement l’identité, la culture et le comportement politique des Latinos aux Etats-Unis, les migrants du reste de l’Amérique hispanophone et des Caraïbes jouent aujourd’hui un rôle croissant. Autre changement majeur : la deuxième génération, née aux Etats-Unis, pèse dorénavant plus lourd que les nouveaux immigrants dans la croissance démographique de la communauté hispanique. Les Latinos sont aujourd’hui 45 millions aux Etats-Unis, sur une population totale de 305 millions (voir ci-contre). Environ 40 % (soit 19 millions) appartiennent à la première génération, 26 % (11,7 millions) à la deuxième génération, et 32 % (14,4 millions) aux générations antérieures. En 2050, en revanche, la part de la première devrait tomber à 33 % et celle de la deuxième seconde s’élever à 34 %.
Environ 750 000 nouveaux immigrants latinos, légaux ou sans-papiers, entrent aux Etats-Unis chaque année, tandis que 650 000 enfants de la deuxième génération naissent pendant la même période. Mais cette deuxième génération est plus jeune et a un taux de mortalité plus bas que les immigrants. Au final, ses effectifs augmentent donc plus vite que ceux de la première génération.
Les Latinos de deuxième génération sont citoyens américains. Le 14e amendement de la Constitution accorde en effet la citoyenneté à tout enfant né sur le sol des Etats-Unis, quel que soit le statut de ses parents. Et c’est une génération jeune : en 2000, l’âge médian de ses membres était de 12,4 ans. En 2030, cet âge médian s’élèvera à 24 ans, soit trois ans de moins que celui des Latinos aujourd’hui.
Beaucoup de jeunes de la deuxième génération ne sont pas encore en âge de voter. Et ceux qui peuvent participer aux scrutins ont souvent une vingtaine d’années, un âge où le taux d’abstention est élevé, tous groupes ethniques confondus. Seule la fraction la plus âgée est donc réellement active sur ce plan, ce qui limite les enseignements que l’on peut tirer pour prévoir le comportement des plus jeunes dans les années à venir.
Certains Américains s’interrogent sur la loyauté politique de la deuxième génération, comme d’ailleurs des Latinos en général. Rien ne prouve pourtant que ces enfants d’immigrés sont plus loyaux envers le pays d’origine de leurs parents qu’envers les Etats-Unis. D’ailleurs, lorsqu’ils deviennent adultes, 5 % d’entre eux seulement participent à des activités transnationales (soutien à des projets de développement dans les pays d’origine, activités culturelles liées à l’ambassade, etc.). Et presque aucun ne fait usage de la double nationalité que certains pays latino-américains accordent aux enfants nés aux Etats-Unis. Même s’il est probable qu’à l’avenir, à l’instar de ce que l’on observe aujourd’hui chez tous les migrants, ces jeunes auront davantage de liens avec le pays d’origine de leurs parents, aucun élément ne permet de penser que cela réduira pour autant le soutien qu’ils apporteront à la défense des intérêts américains à l’étranger ou leur engagement civique aux Etats-Unis.
Les enquêtes pratiquées aux Etats-Unis depuis des décennies montrent de façon constante que les enfants d’immigrés nés sur le sol américain participent davantage à la vie politique et civique que la première génération. Et notamment qu’ils votent davantage que les immigrants naturalisés (qui représentent 27,5 % de la première génération, soit environ 5 millions de personnes). La troisième génération et les antérieures sont en moyenne plus participatives encore que la deuxième. Mais cette différence disparaît souvent lorsque l’on prend en compte le critère d’âge, et que l’on compare par exemple des jeunes de vingt ans de la deuxième et de la troisième génération.
La deuxième génération est également plus encline que la première à se déclarer proche d’un parti politique. Dans leur ensemble, les Latinos soutiennent très majoritairement le Parti démocrate. Cette tendance est moins prononcée cependant dans la première génération, y compris chez ceux qui ont acquis la nationalité américaine : ces immigrants tendent à ne se déclarer proches d’aucun des deux grands partis politiques. Probablement est-ce dû au sentiment qu’ils ont de mal connaître la vie politique américaine. En revanche, deux tiers des membres de la deuxième génération s’identifient à l’un des deux grands partis. Et parmi eux, deux tiers penchent pour les démocrates. Les républicains sont plus populaires dans la deuxième génération que dans la première, mais aussi que dans la troisième et les antérieures. Ce phénomène n’a pas échappé au parti de George W. Bush qui lors de sa campagne de 2004 a fait des efforts pour conquérir l’électorat latino des pratiquants réguliers, via les Eglises pentecôtistes et catholiques notamment. Et c’est bien la deuxième génération qui a le mieux répondu à ces appels. Dans un Etat, le Nouveau-Mexique, son vote pourrait bien avoir fait pencher la balance vers les républicains. Cependant, les dernières années du mandat de G. W. Bush et la montée de sentiments anti-immigrés au sein du Parti républicain pourraient bien avoir hypothéqué ces efforts.
Comportement traditionnel
En participant davantage à la vie politique, en votant plus que leurs parents, en étant plus proches d’un parti, en se montrant loyaux aux Etats-Unis plutôt qu’à leur pays d’origine, les Latinos de la deuxième génération ne font que suivre le comportement traditionnel des deuxièmes générations précédentes aux Etats-Unis. Les termes mêmes de Latinos et d’Hispaniques ont été d’ailleurs été forgés aux Etats-Unis par ces enfants d’immigrants. Les fils de Mexicains, de Cubains, de Salvadoriens, etc. se sont découverts "Latinos" sur le sol américain et aussi dans le regard portés sur eux par les autres Américains. De la même façon que les immigrés venus de Rome, de Naples ou de Sicile au XIXe siècle ne s’étaient découverts tous italiens qu’aux Etats-Unis, l’unité de l’Italie étant à cette époque balbutiante et les identités locales encore très fortes.
A tous les échelons de l’état
Trois différences entre la deuxième génération latino et les précédentes vagues d’immigrants méritent d’être soulignées. D’abord, la migration latino est plus ancienne que les précédentes. Les vagues venues des différents pays d’Europe notamment ne duraient généralement que le temps d’une génération. A l’inverse, les Latinos, et notamment les Mexicains, immigrent massivement aux Etats-Unis depuis plus d’un siècle. Et ce mouvement est appelé à se poursuivre. Cette ancienneté signifie que l’actuelle deuxième génération n’est pas, à la différence des précédentes, l’avant-garde de l’intégration de sa communauté dans la vie politique américaine. Elle rejoint la troisième génération et les générations antérieures qui ont déjà assuré la place des Latinos dans cet univers politique. Et qui de fait sont représentés à tous les échelons de l’Etat.
Ensuite, les Latinos de deuxième génération bénéficient aujourd’hui de protections légales dont les précédentes vagues migratoires ne disposaient pas. Le Voting Rights Act de 1965 a en effet accordé nombre de droits politiques aux groupes ethniques dont ceux-ci ne bénéficiaient pas jusque-là. Avant 1965, les Etats pouvaient organiser de façon très autonome les élections, et certains, au Sud notamment, privaient de vote des minorités raciales ou ethniques.
Enfin, une certaine prudence s’impose. Au XXe siècle, l’intégration des migrants de deuxième génération dans la vie politique a été stimulée par les débats politiques du moment, depuis les lois anti-immigration jusqu’à celles qui, dans les années 1920, interdisaient la consommation de l’alcool. Ces lois en effet étaient largement dirigées contre les migrants, en majorité catholiques, que les protestants les plus puritains accusaient d’être portés sur la boisson et de favoriser l’alcoolisme dans la société américaine. Les immigrants de l’époque et leurs enfants sont entrés en politique pour combattre à la fois cette image et la prohibition. De la même façon, les débats en cours aujourd’hui autour de la politique migratoire ont provoqué un début de mobilisation des Latinos de la première et de la deuxième génération, comme l’ont montré les grandes manifestations de 2006 sur cette question. Si le débat se durcissait et que le Congrès notamment rejette une loi de régularisation massive des sans-papiers (qui représentent un peu plus d’un quart des Latinos), la deuxième génération, souvent formée de leurs enfants, pourrait en prendre ombrage. Et décider de peser de tout son poids dans les urnes. En consolidant ainsi leur place dans la société américaine, les jeunes Latinos inscriraient alors leurs pas dans ceux de précédentes générations de fils d’immigrés.