les défis d’Obama

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La crise économique appelle des décisions rapides mais Bush est en fonction jusqu'au 20 janvier. Et les urgences bousculent les priorités annoncées lors de la campagne du nouvel élu.

La route sera longue. Le chemin sera escarpé. Nous n’atteindrons peut-être pas notre but en un an, voire en un mandat, mais il n’y a jamais eu autant d’espoir que ce soir. Le peuple américain y arrivera. Je vous le promets : nous y arriverons. Il y aura des revers et des faux départs. Nombreux sont ceux qui ne seront pas d’accord avec chaque décision que je prendrai en tant que président (...) mais je serai toujours honnête avec vous quant aux défis que nous affrontons. Je vous écouterai particulièrement lorsque nous serons en désaccord (...). Mais, avant tout, je vous demanderai de prendre part au travail nécessaire à la reconstruction de notre nation."

Plus qu’un programme, c’est un état d’esprit qu’a décrit Barack Obama le soir de sa victoire du 4 novembre, dans son discours de Chicago. Il décrivait ainsi son propre état d’esprit, bien sûr, mais aussi et surtout celui qu’il souhaite voir animer au moins tous ceux qui lui ont fait confiance en votant pour lui. Car le quarante-quatrième président des Etats-Unis connaît l’immensité de la tâche qui l’attend et la diversité des intérêts à court terme qui l’ont porté au pouvoir. La première exige à la fois détermination, lucidité mais aussi patience. Quant à la diversité des intérêts, elle doit trouver sa solution dans la réconciliation de l’Amérique avec elle-même car "il n’y a pas une Amérique libérale et une Amérique conservatrice ; il y a les Etats-Unis d’Amérique".

Taux de chômage aux Etats-Unis depuis 2000
Déficit public au Roy­aume-Uni, en France et aux Etats-Unis, depuis 2000

Autant le savoir et le garder en tête pour éviter toute désillusion : Barack Obama n’est ni un messie, ni un révolutionnaire. C’est un centriste réformiste, un grand orateur et un excellent tacticien qui a fait ses armes depuis longtemps dans une des plus efficaces (et des dernières) "machines" politiques démocrates des Etats-Unis, celle de Chicago, rebaptisée par les politologues "ville du parti unique" puisqu’on s’y succède à la mairie pratiquement de père en fils depuis des lustres. L’image d’un Barack Obama s’imposant grâce à ses seuls mérite et charisme est séduisante. Mais elle est fausse. Car Barack Obama est aussi un adroit politicien comme l’atteste sa première victoire électorale. L’affaire remonte à 1996 : pensant qu’elle serait désignée pour un poste plus prestigieux, une parlementaire sortante du Sénat de l’Etat d’Illinois, propose son siège au jeune Obama, puis se ravise lorsque la fonction promise lui échappe. Refus d’Obama de se retirer qui fait éliminer de la course son ex-protectrice en dénonçant des irrégularités de signatures sur sa déclaration de candidature. Désormais candidat quasi unique, Barack Obama est élu sans problème avant d’accéder, huit ans plus tard, au siège de sénateur (fédéral, celle fois-ci) de l’Illinois. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’il ait choisi comme secrétaire général de la Maison Blanche - l’homme le plus influent après le président et chargé de jouer le rôle du "méchant flic" - un pur produit de Chicago et du clintonisme, le représentant Rahm Emanuel.

7 000 hauts fonctionnaires à choisir

Derniers signes particuliers : Barack Obama, qui a promis de pratiquer l’ouverture, est patriote et affiche volontiers ses convictions religieuses. Enfin, c’est un vrai intellectuel et il n’a pas à s’en cacher, dans un pays où l’anti-intel-lectualisme a pourtant toujours été un argument électoral : le fait qu’il ait la peau noire l’a mis jusqu’à présent à l’abri des accusations de "tête d’oeuf" qui ont coûté si cher dans le passé à des hommes comme John Kerry ou Adlai Stevenson 1. Le bon côté - si l’on peut dire - des clichés racistes selon lesquels un Noir ne peut être qu’analphabète, pasteur illuminé, musicien de jazz ou sportif d’exception...

La toute première difficulté rencontrée par le président élu est ce qu’on appelle aux Etats-Unis la transition : cette longue plage, presque un trimestre, qui sépare l’élection de l’entrée en fonction, le 20 janvier. Jusqu’à cette date, tous les pouvoirs formels restent entre les mains du sortant, y compris le pouvoir d’opposer le veto présidentiel aux initiatives du Congrès. Autre bizarrerie : ce n’est que le 6 janvier que le nouveau Congrès - où les démocrates ont amélioré leur majorité aussi bien à la Chambre des représentants qu’au Sénat - entrera en fonction. En période calme, ce long temps mort ne pose pas trop de problème et permet au nouveau pré­sident de former ses équipes. Un travail considérable puisqu’il s’agit de choisir, outre les collaborateurs de la Maison Blanche et les membres du cabinet, plus de 7 000 hauts fonctionnaires dont beaucoup seront passés sur le grill des commissions parlementaires chargées d’approuver leur nomination.

Mais nous ne sommes pas dans des temps normaux. Comme l’a rappelé Barack Obama le 4 novembre, "les défis que nous affronterons demain seront les plus grands de notre vie : deux guerres, une planète en péril, la pire crise financière depuis un siècle, des mères et des pères qui se demandent comment ils vont rembourser leur emprunt, payer le médecin, économiser pour l’université des enfants." Le président élu aurait pu ajouter à la liste des maux qu’il va rencontrer l’augmentation du chômage, passé rien que pour le mois d’octobre de 6,1 % à 6,5 %, et qui devrait atteindre bientôt les 8 %, la baisse drastique du revenu des retraités (de 20 % à 40 %) suite au krach de Wall Street, l’effondrement du marché immobilier (dans plus de 30 % des cas, la valeur des maisons ou appartements achetés à crédit est désormais inférieure au montant des prêts hypothécaires à rembourser).

Et tous les commentateurs américains d’évoquer à l’envi les deux plus difficiles arrivées au pouvoir de l’histoire américaine : celle d’Abraham Lincoln, en 1860 et celle de Franklin Delano Roosevelt, en 1932, en pleine Dépression. Pour rappeler que le premier eut la sagesse de coopter plusieurs de ses adversaires dans son cabinet et que le second fit preuve d’un activisme législatif sans précédent pendant ses cent jours. Leçon à tirer de ces deux précédents : ce sont les circonstances qui dictent les priorités.

Zoom Evolution de la carte électorale américaine (1992-2008)

Barack Obama a inversé la polarisation croissante de la carte électorale américaine au profit des républicains. Une polarisation compensée par le fait que ceux-ci sont influents dans de nombreux Etats moins peuplés que les grands bastions du Parti démocrate. Le nouvel élu a régulièrement proclamé sa volonté de dépasser le clivage entre Rouges et Bleus.

1992 - Clinton triomphe de Bush senior
1996 - Clinton confortablement réélu
2000 - l’élection contestée de Bush
2004 - vague républicaine pour le sortant

L’urgence va donc contraindre Barack Obama à revoir la liste de ses priorités intérieures, qu’il a toujours énoncées dans cet ordre pendant la campagne : énergie propre, assurance médicale, éducation et réductions fiscales pour les classes moyennes. A peine était-il élu que se profilait le spectre d’une faillite de General Motors, Ford et Chrysler, malgré les 25 milliards de dollars de prêts à faible taux d’intérêt déjà votés par le Congrès pour venir en aide à l’industrie automobile. Le dossier est véritablement explosif ; outre qu’il concerne un secteur industriel emblé­matique de l’Amérique et représente plus de quatre millions d’emplois, il oppose l’administration sortante à celle qui n’est pas encore en place : pour les conseillers de George W. Bush en effet, toujours adeptes du libéralisme, il serait vain de voler encore une fois au secours des entreprises de Detroit (Michigan) dont les directions sont largement responsables, du fait de leur incompétence, de ce qui leur arrive ; ce serait de l’acharnement thérapeutique sur des "dinosaures" condamnés et de l’argent public gâché car le même problème se poserait de nouveau dans six mois. Mieux vaudrait donc la faillite et la reconstruc-tion d’une industrie automobile performante sur de nouvelles bases.

Une position qui a été vivement combattue par les leaders démocrates du Congrès, fortement aiguillonnés par les responsables du puissant syndicat des travailleurs de l’automobile, United Auto Workers Union, qui a activement fait la campagne de Barack Obama. Lequel, le 16 novembre, qualifiait de "désastre" l’hypothèse d’une faillite mais ajoutait que toute nouvelle aide à l’industrie automobile ne devait pas apparaître comme "un chèque en blanc" et devait ainsi être conditionnée à une réforme en profondeur du secteur - notamment à la production de modèles moins polluants, plus économes en carburant, ou à propulsion électrique.

Rien ne garantit que George W. Bush finisse par se rallier à cette position tant il est vrai que le dossier des trois grands de Detroit est pourri. Il y aurait mis comme condition l’adoption par les démocrates d’un accord de libre-échange avec la Colombie, bloqué depuis des mois par le Congrès et dont Barack Obama ne veut pas, officiellement en raison du non-respect par la Colombie de standards syndicaux et environnementaux - c’est pour les mêmes raisons qu’il a évoqué, sans en faire une priorité, la révision de l’Alena, l’accord de libre-échange qui lie depuis la présidence Clinton les Etats-Unis, le Canada et le Mexique.

Un plan de relance colossal

En fait, Bush aura de plus en plus de difficultés à faire la sourde oreille alors que la récession s’installe et s’aggrave. Au-delà de la crise du secteur de l’automobile, il doit faire face aux demandes démocrates, déjà soutenues par certains économistes républicains, d’un plan de relance d’urgence d’une centaine de milliards de dollars, qui serait destiné à financer des chantiers de travaux publics, les indemnités de chô­mage, l’aide alimentaire pour les plus démunis et à subventionner les Etats et les municipalités les plus endettés alors que leurs ressources fiscales ne cessent de fondre. Un tel plan, selon l’équipe Obama, devrait être adopté par le Congrès avant la fin de l’année, quitte à ce que George W. Bush y mette son veto et ternisse encore plus un désastreux bilan. Selon les mêmes sources il ne devrait que précéder un plan plus ambitieux encore que les experts évaluent entre 300 et 600 milliards de dollars. Une somme colossale mais, comme l’a écrit l’économiste Paul Krugman qui vient de recevoir le prix Nobel : "Lorsque la récession est là, les règles habituelles de l’économie politique ne s’appliquent plus : la vertu devient vice ; la précaution est risquée ; la prudence est folie."

Des promesses devenues intenables

Malgré ce dernier conseil, il est probable que l’ampleur de la crise économique et financière et des déficits budgétaires abyssaux contraindront Barack Obama à étaler dans le temps sinon à réduire certains de ses engagements électoraux. Ainsi a-t-il déjà remis dans les cartons son projet d’impôt sur les émissions de gaz carbonique qui était censé rapporter des milliards de dollars ; en lieu et place, il envisage maintenant des subventions de quinze milliards de dollars par an pour favoriser le développement des énergies renouvelables et les économies d’énergie.

Les contraintes budgétaires risquent aussi de retarder les promesses autour de l’éducation (notamment la généralisation des classes maternelles et des crédits d’impôt de 4 000 dollars pour faciliter l’entrée à l’université) ainsi que l’extension d’un système d’assurance-maladie aux 45 millions d’Américains environ qui en sont dépourvus. Il pourrait, en revanche, réorienter une partie des 700 milliards de dollars du plan Paulson - à l’origine destinés à racheter les produits financiers "toxiques" dérivés des subprimes - pour aider les propriétaires en difficulté à renégocier leurs emprunts. Le gel du plan Paulson, annoncé par le secrétaire au Trésor le 18 novembre, rend probable une telle initiative puisque seule la moitié des fonds votés par le Congrès ont été dépensés ; et ceci sans aucun effet significatif.

La crise, au moins pour le moment, a renvoyé au second plan des sujets dits "de société" qui occupaient le devant de la scène au début de la campagne : la fermeture de Guantanamo et l’interdiction de la torture, engagements pourtant réaffirmés par Obama au lendemain de son élection ; les entorses aux libertés publiques découlant du Patriot Act adopté après les attentats du 11 septembre 2001 pour lutter contre le terrorisme, un sujet sur lequel le président élu a été nettement moins prolixe. Même chose pour le droit à l’avortement et le mariage gay, défen-dus du bout des lèvres et manifeste-ment contre ses convictions intimes par le candidat démocrate. Même prudence sur la peine de mort, dont non seulement il n’a pas réclamé l’abolition mais s’est prononcé pour l’extension aux violeurs d’enfants même s’il n’y a pas eu meurtre ; il n’en a pas moins soutenu le moratoire des exécutions dans son Etat de l’llinois, où les erreurs judiciaires sont extrêmement nombreuses.

Barack Obama, enfin, va devoir gérer avec prudence et doigté ses rapports avec les communautés noire et hispanique. A la première, il a pris garde de ne rien promettre de spécifique. Mais il est clair qu’il y a soulevé d’immenses espoirs qui seront difficiles à satisfaire à moyen terme. Même chose pour les Hispaniques, qui ont voté pour lui à près de 70 %, essentiellement du fait de son appui à un système de régularisation des millions de clandestins qui vivent aux Etats-Unis. Une promesse qu’il lui sera difficile de tenir aujourd’hui, avec la montée en flèche du chômage, et ceci, même s’il a pris également position pour un renforcement des contrôles à la frontière avec le Mexique et pour des peines exemplaires à l’encontre des employeurs de clandestins.

  • 1. Candidats démocrates malheureux à la présidence, en 2004 pour le premier, en 1952 et 1956 pour le second.

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