La soif de Washington

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En quête de nouveaux approvisionnements pétroliers, les Etats-Unis misent sur l'Afrique de l'Ouest, mais leurs démonstrations de force pourraient s'avérer contre-productives.

Pour que l’Amérique reste compétitive, il lui faut une énergie à la mesure de ses moyens. Et là, nous sommes confrontés à un sérieux problème : l’Amérique est dépendante du pétrole et celui-ci est souvent importé de régions du monde très instables." Dans son discours sur l’état de l’Union en 2006, Bush finissait par reconnaître publiquement cette addiction américaine dont ses prédécesseurs n’osaient pas parler. Ce que le président américain n’a pas dit, c’est qu’en réalité la stratégie des Etats-Unis, élaborée après 1945, pour se procurer des hydrocarbures partout dans le monde, et notamment au Moyen-Orient, est en lambeaux. La rupture des relations entre Washington et certains de ses anciens fournisseurs comme l’Iran d’abord, la montée progressive des sentiments nationalistes dans les principaux Etats producteurs tels que le Venezuela ou la Russie ensuite, la concurrence récente des pays émergents, la spéculation sur les marchés de matières premières... ont signé la fin du pétrole facile. Où trouver alors de nouveaux gisements ? Réponse : en Afrique, et surtout à l’Ouest.

Certes le continent noir n’est pas aussi bien doté que le Moyen-Orient en hydrocarbures. Le continent représente environ 10 % de la production mondiale et 9,3 % des réserves connues. Les champs pétroliers sont plus petits et plus profonds qu’au Moyen-Orient, et les coûts de production trois à quatre fois plus élevés. Mais le brut africain a généralement un faible taux de sulfure qui convient bien aux importateurs américains. Surtout, au cours des cinq dernières années, une part importante des nouveaux gisements découverts hors d’Amérique du Nord se trouvaient en Afrique.

Vu des Etats-Unis, la sécurisation des approvisionnements pétroliers au sud du Sahara implique de tenir à distance de la région les nouveaux acteurs qui y ont pris pied ces dernières années. Et d’abord la Chine. Il règne à Washington une profonde inquiétude, aux marges de la paranoïa, à propos de cette présence croissante - diplomatique, économique et politique - de Pékin dans la région. De fait, les trois principales compagnies pétrolières chinoises (Sinopec, CNOOC et CNPC) qui en 1995 ne disposaient pratiquement d’aucun contrat pétrolier au sud du Sahara, en avaient conclu une soixantaine en 2007, répartis sur une quinzaine de pays. Des contrats souvent accompagnés d’aide au développement, de soutien militaire et d’expertise en matière de développement.

Outre la rivalité avec Pékin, la stratégie énergétique de Washington au sud du Sahara s’articule avec la "guerre contre le terrorisme". Témoignant devant une commission du Sénat en 2005, le général James Jones, chef du commandement des forces américaines pour l’Europe (dont dépendait alors l’Afrique sauf sa partie orientale), déclarait que les Etats-Unis devaient avoir pour objectif, dans la région, de "supprimer les zones échappant au contrôle des gouvernements, de contrer l’extrémisme et de réduire l’instabilité chronique" qui hypothèque le développement économique, car l’Afrique risquait de "devenir le prochain front de la guerre mondiale contre le terrorisme". Ces inquiétudes ont poussé Washington à créer en février 2007 un nouveau commandement des forces américaines pour la région, Africom.

Le golfe de Guinée, aux riches champs pétroliers, terrestres et maritimes, occupe désormais une place essentielle dans la stratégie de sécurisation des approvisionnements des Etats-Unis. Les compagnies américaines y ont d’ailleurs investi plus de 40 milliards de dollars au cours de la décennie passée. Le Nigeria constitue, avec l’Angola, le principal joyau de ce golfe. Les Etats-Unis sont le principal client du pays (voir carte ci-dessous) qui fournit environ 9 % des importations américaines, une part qui a sensiblement augmenté depuis 2002 (voir infographie ci-dessous). Mais sa région productrice, le delta du Niger, est secouée depuis plusieurs années par une insurrection armée qui hypothèque lourdement la production (lire article p.10).

Les principaux acheteurs de pétrole nigérian

Inquiets devant la volatilité politique du Moyen-Orient, les Etats-Unis cherchent en Afrique de l’Ouest de nouvelles sources d’approvisionnementr en pétrole. et en gaz. Ils sont déjà les premiers clients du Nigeria qui occupe une part croissante dans leurs importations. Et les troubles qui agitent le delta du Niger les poussent à s’impliquer de façon croissante dans la sécurité régionale.

Les principaux acheteurs de pétrole nigérian

Inquiets devant la volatilité politique du Moyen-Orient, les Etats-Unis cherchent en Afrique de l’Ouest de nouvelles sources d’approvisionnementr en pétrole. et en gaz. Ils sont déjà les premiers clients du Nigeria qui occupe une part croissante dans leurs importations. Et les troubles qui agitent le delta du Niger les poussent à s’impliquer de façon croissante dans la sécurité régionale.

Production suspendue

La militarisation de la politique énergétique américaine, symbolisée par la création d’Africom, s’est traduite concrètement sur le terrain nigérian. Se référant à l’immense champ pétrolier off-shore de Bonga exploité par Shell, l’amiral Harry Ulrich, commandant des forces navales américaines en Europe et en Afrique, reconnaissait dès 2006 que des bâtiments américains patrouillaient autour des installations nigérianes, à l’intérieur de la zone des 200 miles nautiques. Cette protection, cependant, n’a pas empêché les guérilleros du MEND (Mouvement d’émancipation du delta du Niger) de lancer une attaque en juin dernier contre Bonga et de forcer Shell à suspendre la production pendant plusieurs jours.

Il est peu probable que les Etats-Unis se lancent dans des aventures militaires d’envergure dans le Golfe de Guinée, mais la perspective d’une militarisation croissante de la zone est politiquement très destabilisante pour la région. Et pour les jeunes gens en colère qui forment les insurgés du MEND, elle jette encore de l’huile sur lefeu.

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